La femme guerrière ou la difficile conciliation du masculin et du féminin

Dans le cadre de Clio-Geek nous nous proposons de questionner la façon dont la Pop Culture utilise la femme guerrière dans ses représentations. Cet article est composé de trois épisodes qui, nous l’espérons, permettrons de nourrir vos réflexions. Bien entendu le propos ne prétend aucunement à l’exhaustivité et d’autres choix auraient pu être faits. Puisse ces quelques réflexions vous permettre de faire les vôtres.

 

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Comment utiliser le genre ?

« La nature m’a fait naître femme, mais j’ai égalé par mes actions les hommes les plus courageux » (Sémiramis dans Polyen, Ruses de guerre, VIII)

Cette question se pose de manière particulièrement aiguë pour ceux qui s’intéressent à la Grèce antique et à Rome, des sociétés où la différence de statut social joue souvent un rôle plus fort que ce que l’on nomme la différence des sexes : « Les sociétés humaines, avec une remarquable monotonie, surdéterminent la différenciation biologique en assignant aux deux sexes des fonctions différentes »[1]. Il s’agit d’étudier l’interprétation sociale et culturelle des différences entre le corps des hommes et celui des femmes, différences à historiciser car les caractéristiques appliquées aux apparences et aux comportements des individus sont variables dans le temps et dans l’espace. Le genre désigne ce que les sociétés font du sexe et la manière dont elles attribuent des rôles : « Le genre est en quelque sorte « le sexe social » ou la différence des sexes construite socialement, ensemble dynamique de pratiques et de représentations, avec des activités et des rôles assignés »[2]. Cette classification genrée recouvre la plupart du temps les trois sphères suivantes :

  • Division du travail
  • La reproduction et l’éducation des enfants
  • La sexualité et l’érotisme

Femme filant, détail d’une œnochoé attique à fond blanc du Peintre de Brygos, vers 490 av. J.-C., British Museum

 

« C’est Zeus qui a créé le mal suprême : les femmes »[3].

Voilà résumé en peu de mots par Simonide d’Amorgos le point de vue misogyne que les Grecs mais aussi les Romains arboraient à l’égard de la gente féminine. Dès l’époque homérique, les cités grecques s’affirment comme patriarcales, puis en se développant, ces cités se fondent sur une double exclusion : « club de citoyens », elle exclut les étrangers (métèques) et les esclaves ; « club d’hommes », elle exclut les femmes[4]. De fait, Aristote[5] définit la citoyenneté comme la possibilité de participer au pouvoir politique, la femme en est donc la plus éloignée : contrairement aux métèques et aux esclaves, elle ne peut jamais devenir citoyenne. Comme le rappelle Nicole Loraux[6], les femmes athéniennes n’étaient pas désignées comme « Athéniennes » mais comme « femmes attiques », le terme ἀττικός s’appliquant aux esclaves, aux animaux ou aux objets mais pas aux hommes dotés de citoyenneté[7].

Considérées comme moins utiles que les garçons, elles étaient plus souvent exposées qu’eux, c’est-à-dire abandonnées dans la nature, ou vendues comme esclaves ; elles n’étaient pas formées à défendre leur cité, du fait de leur corps jugé trop faible (sexus infirmitas) selon Hippocrate  ou Paul[8]. En Grèce antique et à Rome, les femmes du peuple ne jouissaient d’aucun droit civil ou politique direct, leur destinée se réduisant à devenir épouses et mères : Hippocrate conseille aux jeunes filles de s’installer ne ménage et d’enfanter dès l’apparition de leurs premières règles[9] ;  il leur était interdit de plaider lors de procès, de posséder, d’acheter ou de vendre des biens, si ce n’est sous la tutelle d’un kyrios qui pouvait être son père, son frère, son fils ou son mari, les jurys étant en outre uniquement composés d’hommes. La femme était donc considérée comme une éternelle mineure selon Maurice Sartre[10]. Le terme de « femme » était d’ailleurs une insulte servant à ridiculiser l’ennemi, comme ce fut les cas des Perses ou dans de nombreux procès pour diaboliser l’adversaire[11].

 

Quelle place pour la femme ?

Scène familiale de gynécée, lébès nuptial à figures rouges, v. 430 av. J.-C.

 

Dans l’Athènes classique, les femmes restent idéalement à l’écart des hommes, la porte extérieure de la maison étant leur horizon. Elle passait la plupart de son temps dans le gynécée, partie de la maison réservée aux femmes, occupées aux travaux domestiques : au chapitre VII de l’Économique de Xénophon, on retrouve les quelques tâches qui incombent aux femmes : filer la laine, préparer et réparer les vêtements et également veiller à l’état des grains et autres provisions du garde-manger et veiller aux soins des serviteurs malades. Sortir en public, au théâtre par exemple, leur était autorisé en théorie mais déconseillé en pratique afin de ne pas entacher leur réputation. Si elles régnaient sur leur maison, ce pouvoir pouvait leur être retiré à tout moment par leur époux qui disposait d’elles à leur guise : ils pouvaient les répudier pour stérilité ou pour infidélité tandis que ceux-ci ne seraient jamais inquiétés par la justice pour de tels motifs. Le mariage se passe d’ailleurs à l’instar d’une tractation marchande durant laquelle le père remet sa fille-objet à son futur époux.

 

Une histoire d’étymologie ?

En outre, l’étymologie des termes désignant l’homme et la femme est empreinte de cette misogynie. En grec, le mot ἀνήρ vient de l’indo-européen *h₂nḗr  qui désigne la force, tout comme le terme vir en latin provenant du terme indo-européen *Wiros  désignant la force du guerrier, terme qui pouvait se traduire par « l’homme », « le mari » ou « le héros ». Nous pouvons ainsi constater que toutes les qualités de l’homme lui sont consubstantielles tandis que pour la femme, différents termes la désignent selon sa capacité à enfanter ou son statut vis-à-vis de son époux. Ainsi, les deux termes qui désignent l’épouse en grec ancien, ἄλοχος  et εὖνις, se traduisent littéralement par « compagne de couche ».  En latin, le terme le plus vague, femina, traduit à la fois « celle qui enfante, qui donne la vie » (du verbe *feo « produire, enfanter » qui a donné les termes « fétus, fécond ») et « celle qui allaite ». Il existe également d’autres termes dessinant des catégories féminines, toujours liées à sa capacité à enfanter ou à se marier : puella qui désigne la jeune fille non mariée ; uxor ou conjux qui désignent la femme mariée ; matrona qui désigne la mère comme gardienne du foyer. La femme, réduite à sa matrice, lieu froid et humide, est biologiquement inapte à l’activité selon Aristote[12]. Dans l’Histoire des animaux[13], il étaye cet argument sur la croissance à la vitesse inégale de l’embryon mâle et de l’embryon femelle.

Ce tour d’horizon tracé à grands traits du statut de la femme nous a permis de voir combien celle-ci n’avait d’existence que par rapport au masculin auquel elle s’adosse, sans jamais en recouvrer les domaines. Comment expliquer alors les cas de femmes représentées comme guerrières ? Nous pouvons citer quelques cas d’inversion des rôles : les femmes prennent le pouvoir dans la comédie d’Aristophane intitulée L’Assemblée des femmes[14] ainsi que dans le film de Riad Sattouf, Jackie au royaume des filles (2014) ; elles sont également représentée comme guerrières intrépides et impitoyables dans le film Sucker punch (2011) de Zack Snyder. Mais ces exemples sont soit tournés en dérision car il s’agit de comédies dans les deux premiers cas, soit de monde fictif car les héroïnes de Sucker Punch se sont créées un monde imaginaire pour échapper à l’emprise des hommes qui contrôlent leur réalité. L’inversion des rôles est donc matière à rire ou à fantasmer sans être prise au sérieux.

Toutefois, il n’en demeure pas moins que des figures comme Artémis, Athéna ou encore les fières Amazones ont fait époque et semblent briser les bornes fixes établies entre le masculin et le féminin. Ce sont ces cas particuliers, qui paraissent aller à l’encontre de la vision genrée que les Anciens avaient sur les deux sexes, que nous nous proposons d’étudier ici et de mettre en relation avec certaines figures féminines et guerrières plus modernes comme celles de Lara Croft ou de Daenerys Targaryen. Nous étudierons ainsi successivement la naissance ou les origines familiales de ces figures légendaires ou de ces héroïnes, leurs attributs physiques, leur rapport à la sexualité ou à l’enfantement et ainsi leurs activités ou leurs exploits afin de voir si certains stéréotypes misogynes subsistent dans ces figures mythiques.

 

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I – Des activités guerrières

Athéna du Varvakeion, copie de l’Athéna chryséléphantine de Phidias

 

« Alors que l’audace ne sert à rien dans la vie courante et n’a d’emploi, si elle en a vraiment un, qu’en temps de guerre, les femmes, même en ce domaine, ont fait aux Laconiens le plus grand tort. Elles le montrèrent bien lors de l’invasion thébaine : parfaitement inutiles comme les autres cités, elles causèrent plus de trouble que les ennemis »[15].

Voilà résumée à grands traits comment les Anciens regardaient tout acte de bravoure féminin. Considéré non seulement comme inutile, il peut être pernicieux en ce qu’il empiète sur l’ ἀνδρεία virile et menace ainsi l’ordre établi selon lequel les deux sexes n’empiètent pas sur le domaine de l’autre. Pourtant certaines figures féminines sont restées célèbres notamment pour leur courage guerrier. Nous tenterons ainsi de définir la nature guerrière de ces héroïnes.

 

Athéna, un modèle fécond

Commençons par Athéna, la déesse de la guerre stratégique comme le rappelle cet extrait de l’Hymne homérique[16] qui lui est consacré :

« Je chanterai Pallas Athènaiè, puissante protectrice des villes, et qui s’occupe, avec Arès, des travaux guerriers, des villes saccagées, des clameurs et des mêlées. Elle protège les peuples qui vont au combat ou qui en reviennent. Salut, Déesse ! Donne-moi la bonne destinée et la félicité. »

Héraklès et Athena, amphora attique, 500/490 a. C. Antikenmuseum Basel und Sammlung Ludwig

 

Chez cette déesse les épiclèses, c’est-à-dire les épithètes qui désignent les caractéristiques propres à une divinité, concernant majoritairement ses qualités guerrières : θυγάτηρ Διὸς αἰγιόχοιο (« fille de Zeus porte-égide ») ; Διὸς θυγατὴρ ἀγελείη (« fille de Zeus qui apporte du butin ») ; Νίκη (« la victorieuse ») ; Ἀτρυτώνης (« l’invincible ») ; Πρόμαχος. (« celle qui combat en premier rang »). Son accoutrement (avec lequel elle serait née en sortant de la tête de son père Zeus toute en armes) est composé d’un bouclier sur lequel figure Méduse (le Gorgonéion, utilisé aussi généralement comme protection contre le mauvais œil), d’un casque et d’une lance. C’est elle qui guide de nombreux héros, tels Ulysse, Jason ou encore Héraklès  dans leurs travaux guerriers. Ce sont ses conseils qui guident les dieux lors de la Gigantomachie. Elle passe pour avoir inventé divers instruments aratoires comme la charrue ou le râteau et l’attelage du bœuf. En Arcadie, on lui attribuait l’invention du quadrige. Elle préside au travail du bronze d’art et de tous les objets d’art fabriqués par la main d’homme. Une légende célèbre[17] qui la met en scène dans un affrontement avec Arachné montre combien les arts domestiques, à savoir le tissage, ne lui siéent guère : Arachné était une jeune femme qui avait un don incomparable dans l’art du tissage. Sa réputation ne tarda pas à faire le tour du pays. Tout le monde pensait qu’elle était l’élève d’Athéna, mais la jeune femme niait ces propos. Pis même, elle demandait en quoi pouvait-elle être l’élève de la Déesse alors qu’elle était persuadée d’être meilleure qu’elle ! Irritée Athéna ne tarda pas à faire son apparition devant Arachné et de la mettre au défi. Très vite un concours s’organisa entre les deux femmes. Alors chacune de leur côté, elles commencèrent à tisser avec la plus grande concentration. Pour Athéna la victoire était évidente. Mais à côté Arachné fit un travail plus que remarquable. Il fallait se rendre à l’évidence, la plus grande tisseuse de tous les temps était une mortelle et c’était Arachné. Folle de rage par une telle insulte envers le Dieu des dieux et un si beau travail, Athéna se précipita sur la toile et commença à l’arracher, la réduisant en mille lambeaux. Puis elle frappa de son épée Arachné devant toute la population. Humiliée la jeune tisseuse se réfugia en courant dans sa chambre où elle s’enferma à double tour. Elle prit une longue ficelle, la noua autour de son cou et se pendit. Quand Athéna vit le corps suspendu et inanimé de sa rivale, elle eut pitié. Elle lui redonna ainsi la vie et métamorphosa Arachné en araignée pour qu’elle puisse tisser à jamais.

 

Artémis, la chasseresse

Diane de Versailles, copie romaine d’un original grec de 330 av. J.-C. (?), musée du Louvre

 

La déesse Artémis arbore elle aussi un accoutrement guerrier : vêtue d’une tunique courte, plus appropriée à la course et considérée comme indécente car une femme respectable ne devait pas dévoiler ses jambes. Elle est la déesse de la chasse et est affublée d’un carquois garni de flèches. Elle règne sur la nature sauvage. Comme le souligne Jean-Pierre Vernant, elle « a sa place en bordure de mer, dans les zones côtières où entre terre et eau les limites sont indécises»[18]. Aussi erre-t-elle dans les  terres en friches, incultes et peu fréquentées. Pour le chercheur français Fabien Bièvre-Perrin[19], de nombreuses similitudes existent également entre l’héroïne de The Hunger Games[20] (2012) Katniss et la déesse. Tout comme elles, Katniss est une excellente chasseuse. Elle possède d’ailleurs la même arme de prédilection que la déesse : l’arc. Souvent silencieuse, Katniss est secrète et solitaire, malgré cela généralement aimée par les résidents de son district, en raison de sa capacité à fournir du gibier qu’elle chasse dans les forêts. Katniss est une excellente chasseuse, archère, cueilleuse de baies et poseuse de pièges, tout comme l’était son défunt père, qui lui a appris tout ce qu’il savait.

 

Nous pouvons également évoquer la chasseresse Atalante : abandonnée à la naissance, et recueillie par une ourse dans la forêt du Pélion, des chasseurs enfin la trouvèrent et l’élevèrent ; elle devint une chasseuse redoutable, se distinguant notamment à la chasse du sanglier de Calydon : elle porta le premier coup, et reçut en récompense la hure de l’animal des mains de Méléagre. Elle fit, comme Artémis, vœu de virginité. Ainsi périrent sous ses flèches deux centaures, Hyléos et Rhoécos, qui tentèrent d’abuser d’elle. Elle fut l’unique femme à faire partie des Argonautes pour aller conquérir la Toison d’or aux côtés de Jason[21].

 

Atalante affrontant Pélée à la lutte aux jeux funèbres de Pélias. Hydrie chalcidienne à figures noires, 540-530 av. J.-C. Staatliche Antikensammlungen, Munich.

 

Ensuite, les Amazones avaient un comportement similaire aux hommes libres grecs, représentées comme portant des tuniques courtes, à l’instar d’Artémis, ou encore avec des pantalons bouffants asiatiques, inversant la norme qui implique que les femmes ne doivent pas combattre. Les attributs des Amazones sont le πέλτη, un bouclier léger en forme de demi-lune, la lance, l’arc et les flèches, propres aux cavaliers des steppes, le cheval et la hache, σάγαρις. L’amazonomachie, ou combat des Grecs contre les Amazones, est également un thème populaire[22]. En particulier, le combat d’Héraclès contre les Amazones est l’un des thèmes les plus populaires de la peinture sur vases attique à figures noires : on le retrouve sur près de 400 vases.

Combat entre les Grecs et les Amazones, sarcophage du Ier siècle av. J.-C., Paris, musée du Louvre.

 

Et les romaines dans tout ça ?

Parmi les héroïnes romaines nous pouvons citer Camille, reine des Volsques. Dans sa description de la guerrière, l’auteur romain Virgile insiste dans le Livre VII de l’Enéide[23] sur son apparence et son accoutrement qui n’a rien de féminin :

« Guerrière, elle n’a pas accoutumé ses mains de femme à la quenouille ni aux corbeilles de Minerve ; mais fille endurante aux durs combats, ses pieds à la course devancent les vents. Elle aurait pu survoler un champ de blé, sans le toucher, et sans abîmer, dans sa course, les tendres épis ; ou, suspendue à une vague gonflée, elle aurait pu marcher en pleine mer, sans y tremper les plantes de ses pieds agiles. Tous les jeunes sortent des maisons et des champs, la foule des matrones aussi ; tous l’admirent et la regardent passer ; l’esprit stupéfait, ils restent bouche bée en contemplant la pourpre, parure royale, qui voile ses frêles épaules, la fibule d’or qui enserre sa chevelure, sa manière de porter un carquois de Lycie et le myrte champêtre fixé sur sa lance ».

Nous pouvons également mentionner Boadicée, une reine des Iceni, un peuple celte qui vivait dans la région du Norfolk, dans le sud-est de l’actuelle Grande-Bretagne, qui se souleva contre la domination romaine et dont le nom celtique, boudīkā, signifierait « Victorieuse »[24]. De par sa personnalité et ses traits physiques, Daenerys Targaryen, personnage principal de la série Game of Thrones (2011-2019), créée par David Benioff et D. B. Weiss et adaptée de la série de romans écrits par George R. R. Martin depuis 1996, présente de nombreuses similitudes avec la guerrière celte : les deux femmes nourrissent la même haine pour l’esclavage en galvanisant les peuples opprimés contre leur oppresseur. Daenerys rassemble également une armée, libère les esclaves de la ville d’Astapor, ordonne de tuer leurs maîtres et de bruler Port-Réal tandis que Boadicée n’hésite pas à brûler des villes qui lui résistent comme Colchester ou Londres et à massacrer ses habitants.

 

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Enfin, au moment de clôturer ce premier épisode, nous ne pouvions ne pas évoquer une autre femme, impitoyable et fascinante : Artémisia. L’héroïne apparait sous les traits de Eva Green dans le film « 300, La naissance d’un empire », réalisé par  Noam Murro en 2014. Il raconte l’affrontement des Grecs contre les Perses à Salamine après la défaite glorieuse de Léonidas aux Thermopyles. Faite prisonnière et violentée durant toute sa jeunesse, Artémisia est recueillie par Darius, qui va l’élever et la former dans la haine du peuple grec. Ainsi, c’est elle qui prend la tête de la flotte perse, qui reçoit Thémistocle pour négocier les conditions de la paix. Elle se montre impitoyable envers ses propres troupes quand ils la déçoivent et n’use de ses charmes qu’à des fins trompeuses envers l’ennemi grec. Elle semble même préférée à Xerxès, le fils naturel de Darius, car elle se montre bien plus efficace dans le projet d’expansion du Grand roi. De fait, c’est en ces termes que Polyen[25] la décrit :

« Dans le fort du combat, voyant son courage et son ardeur, pendant que la plupart des hommes se comportaient mollement, il s’écria (Xerxès) : « O Jupiter, tu as rendu les femmes hommes, et les hommes femmes ».

Les Athéniens trompés par Artémise  sont des vainqueurs mâles qui risquent de passer pour des « femmes » : l’héroïne renverse ainsi par son action et son intelligence la hiérarchie genrée habituelle.

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Fin de ce premier épisode. La suite très bientôt sur les traces de figures emblématiques que nous pourrions bien retrouver dans une autre galaxie, lointaine, très lointaine …

 

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Notes

 

[1] N. – C. Mathieu, « Sexe et genre », dans H. Hirata, H. Le Doraré, D. Sénotier (dir.), Dictionnaire critique du féminisme.

[2] Thébaud, Ecrire l’histoire des femmes ; Loraux, Les Expériences de Tirésias, p. 7.

[3] Simonide d’Amorgos, Frag. 7, 21-26 : « Les Olympiens ont donné au mari une arriérée mentale. Ni ce qui est mal, ni ce qui est bien, ce genre de femme ne sait rien. Elle possède pour seul talent celui de manger. Et même si la divinité envoie un mauvais hiver, elle frissonne mais elle est incapable de tirer son siège plus près du feu. ».

[4] Vidal-Naquet, « Esclave et gynécocratie dans la tradition, le mythe, l’utopie », dans Le Chasseur noir, p. 269.

[5] Aristote, Politique, III, 1.

[6] Loraux, Les Enfants d’Athéna. Idées athéniennes sur la citoyenneté et la division des sexes.

[7] Cependant, cette thèse est contestée : Josine Blok (pp. 160-162) soutient que ce ne sont pas le service militaire ni la participation politique mais la participation à la vie cultuelle qui fait d’une personne un citoyen. Dans la plupart des cas, la femme athénienne a les mêmes droits et responsabilités que l’homme athénien. Cependant, la femme athénienne a des incapacités légales importantes par rapport à son homologue masculin.

[8] Paul, Digeste de Justinien.

[9] Hippocrate, Des maladies des jeunes filles.

[10] Sartre, Histoires grecques.

[11] Loraux, Les Expériences de Tirésias, p. 8.

[12] Aristote, Politique, I, 1259a-1259b : « l’homme est par nature plus apte à commander que la femme. ».

[13] Aristote, Histoire des animaux, VII, 3.

[14] Les Athéniennes se travestissent en hommes pour faire voter à l’Ecclésia un décret qui leur donne le pouvoir.

[15] Aristote, Politique, II, 1269 b 32-39.

[16] Homère, Hymnes.

[17] Ovide, Métamorphoses, VI, vv. 1 – 145.

[18] Vernant, La Grèce ancienne, T2, p. 17.

[19] L’Antiquité imaginée : Les références antiques dans les œuvres de fiction (XXe-XXIe siècles).

[20] Film réalisé par Gary Ross, adaptation de trilogie de science-fiction dystopique écrite par l’auteure américaine Suzanne Collins en 2008.

[21] Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, IV, 41.

[22] Quintus de Smyrne, Suite d’Homère, I, 159.

[23] Virgile, Enéide, VII, vv 805-817.

[24] Tacite, Annales, XIV, 35-36.

[25] Polyen, Ruses de guerre, LIII, 5.