Delphine Robic-Diaz est maître de conférences à l’Université de Montpellier III, spécialiste de Pierre Schoendoerffer. Elle a constaté que la présence de la guerre d’Indochine dans le cinema français était indigente : 7 films de fiction long métrage entre 1954 et 2011. En revanche, les films où l’on parle des anciens combattants sont beaucoup plus nombreux- une trentaine- et permettent, bien que la guerre d’Indochine ne soit pas toujours nommée, de faire apparaître des facettes récurrentes de la figure de ces soldats.
L ’ancien d’Indochine est présenté comme un assassin ou un tueur en série, ainsi que Mme Robic-Diaz le montre à partir de l’étude très convaincante de deux scènes d’Ascenseur pour l’échafaud. L’ancien combattant est un héros maudit, personnifié par Maurice Ronet. D’autres films le présentent comme un malfaiteur, un ridicule, éternel raté, qui rend la défaite moins amère, causant moins de polémiques : Les Tontons Flingueurs, et notamment la scène dans la cuisine, en témoigne. Les anciens combattants d’Indochine sont également des sociopathes, inaptes à la vie civile : songeons au personnage de Biên Phu (prononcer bien fou) dans La Horse, à celui de « Bien Bien Phu » dans Scout toujours. Dans L’Horloger de Saint-Paul, l’ancien d’Indochine est le tué, une menace passée, comme la guerre. Il est également un alcoolique, l’alcool opérant comme un anesthésiant qui réveille la mémoire enfouie commune. Parfois, il est frappé d’amnésie – Cybèle ou les Dimanches de Ville d’Avray. La guerre d’Algérie est hantée par la guerre d’Indochine, qui agit comme un spectre – « venger l’honneur perdu, comme le père de Hamlet » selon Mme Robic-Diaz-. Dans les films sur la guerre d’Algérie, la guerre d’Indochine revient lors des crises, souvent durant les scènes de torture. Grande nouveauté cependant avec L’Ennemi Intime en 2007, où celui qui a fait l’Indochine est un sage, un avertisseur. Enfin, l’ancien combattant est un survivant des camps Viet-minh. Seul Pierre Schoendoerffer, ancien prisonnier de guerre lui-même, l’évoque dans ces films, mais se refuse à filmer des scènes de captivité alors qu’il n’y a pas d’images d’archives. Il montre la capture et la libération, mais pas la captivité et fait là aussi une connexion avec la torture en Algérie.
L’ ancien combattant de la guerre d’Indochine n’est pas un sujet de film, mais une présence refoulée, reléguée à la périphérie du récit. L’idée d’une comparaison avec la guerre du Vietnam est tentante, mais repoussée, car c’est le contingent qui est engagé au Vietnam, plus facile à montrer comme martyr que le soldat de métier en Indochine, bouc émissaire porteur de la culpabilité collective d’ une guerre perdue.
Evelyne Gayme