C’est par voie de mer que la France a accès à l’essentiel de ce que nous produisons et transformons, consommons et vendons, que ce soient des matières premières, de l’énergie, des produits manufacturés. C’est aussi la mer qui nous fournit une part importante de ses ressources, vivantes ou fossiles. C’est par voie de mer que se fait l’essentiel des échanges, licites et autres : trafics d’hommes et de biens, immigration clandestine, piraterie comme forme d’échange … sans contrepartie de paiement. Sur toutes les mers, à travers des routes maritimes mondiales qui relient les ports et les terres entre eux et entre elles, comme des lignes de vie et de mort, et sur lesquelles s’affrontent les Etats.

Autant d’enjeux et de rendez-vous pour la France.

Cette table ronde proposera un regard sur les rendez-vous historiques, liés à l’espace maritime ; un regard de géographie politique, liés à la puissance maritime et navale, entre les puissances maritimes et les autres, liées aux territoires de la mondialisation, et donc à cet espace maritime qui devient l’un de ces territoires ; un regard sur les rendez-vous environnementaux, dont une forme de prise de conscience s’adosse, pour la France, à un substratum scientifique, à des approches nouvelles, à des rendez-vous nouveaux.

La crise sanitaire et mondiale, la guerre de retour sur le sol de l’Europe, leurs conséquences dans tous les ordres que nous vivons sont aussi maritimes. Elles se déroulent dans ce contexte et renforcent les liens de dépendance de la France par rapport à la mer.

La France et la mer. Les rendez-vous de notre pays avec la mer s’expriment en relations de dépendance, d’indépendance, d’interdépendance aux mers et aux océans : maritimisation et « maritimité ». La mer est mouvement : c’est un passage, c’est un territoire, c’est une frontière, et dans l’histoire, le théâtre, l’expression et les limites de la puissance. La mer et la France ce sont aussi une somme d’expériences, d’engagements, de réussites qui déterminent une présence singulière de l’une à l’autre.

 

La France a-t-elle manqué ses rendez-vous avec la mer ? qu’il s’agisse de l’État ou des acteurs privés, la France a –t-elle su et sait-elle tirer parti des atouts que lui procurent ses façades maritimes, les Outre-mer, sa ZEE, et sa maitrise des mers et des océans ?

Le cheminement historique proposé lors de cette table ronde est composé de rendez-vous manqués, mais aussi de rencontres, de réussites et de savoir-faire. Il débute dans la seconde moitié du XVe siècle, au Traité de Tordesillas par lequel le 7 juin 1494 le Portugal et Espagne se partagent le monde, qu’il s’agisse des découvertes, de la navigation et du commerce. La France semble exclue, cependant, aujourd’hui, la France a la deuxième ZEE soit près de 11 millions de km², vestige des empires coloniaux.

Les aspects politiques, économiques, et de la recherche scientifique seront abordés successivement pour comprendre les rendez-vous manqués, les opportunités et envisager les potentialités qui se dessinent.

Intervenants :

  • Joël Cornette, directeur de publication chez Belin, professeur émérite à l’université Paris VIII-Vincennes-Saint-Denis, spécialiste de la monarchie et de l’histoire de la Bretagne, auteur de nombreux ouvrages dont l’Histoire de la Bretagne et des Bretons, grand prix d’Histoire de l’Académie Française.
  • Françoise Gaill, directrice de recherche émérite en Biologie marine au CNRS, directrice de l’Institut biologie et environnement qu’elle a créé, présidente du Conseil Scientifique Fondation de la mer, biologiste et océanographe spécialiste des écosystèmes profonds. Fraçoise Gaill est présente dans les groupes de réflexion et de négociation internationale sur les usages et les appropriations de la mer.
  • Jean-Marie Kowalski, maître de conférences en histoire à Sorbonne Université, enseignant à l’école navale, spécialiste de l’histoire maritime et navale, de la Grèce ancienne mais aussi de la Ve République.
  • Florence Smits, doyenne de l’Inspection générale de l’Éducation, du sport et de la recherche, inspectrice générale d’Histoire-Géographie, agrégée et docteur en géographie.

La table ronde de l’Inspection générale est une tradition au sein de l’histoire des Rendez-Vous de l’Histoire de Blois. La table ronde est suivie par des lycéens, puisque la Mer est présente dans les programmes du Secondaire.

Les aspects politiques

Peut-on dire que la France a manqué ses rendez-vous avec la mer ? Est-ce que les rois de France connaissaient la mer ?

Joël Cornette :

C’est une grande question. La date de 1494 est une date importante : c’est le Yalta de la mer. Ce sont deux puissances qui se partagent le monde. L’Espagne et le Portugal est déjà maitre des mers et il commence à visiter et à exploiter une grande partie des mondes.

1494 est aussi une date importante pour l’histoire de France, c’est le début de la guerre d’Italie. Joël Cornette soulève un paradoxe : le Portugal et l’Espagne se projettent vers la mer et la France regarde de l’autre côté, vers l’Est. Les rois de France et la mer, c’est une rencontre un peu manquée. François Ier a fondé le Havre, a fait un tour de France dans les années 1530-1532. Il n’a pas vraiment rencontré la mer. Henri II a encore moins rencontré la mer, tout comme Charles IX, Henri III et Henri IV non plus.

Les véritables inventions par rapport à la mer sont des inventions privées. Ce sont des négociants qui par leur fortune engagent des actions maritimes. Par exemple les Normands jouent un rôle important, en particulier la famille d’Ango qui a fait construire une construction palatiale à Varengeville grâce aux profits de la mer lointaine : les frères d’Ango sont allés jusqu’à  Sumatra en 1529. Mais ce sont des initiatives privées.

En 1550, Henri II est à Rouen, on y organise une  entrée royale le 1er octobre : une scénographie est représentée au roi Henri II. On y a fait un village de Tupinamba, avec de vrais Brésiliens et des marins rouennais qui imitent des villages brésiliens qui se font la guerre (une véritable scénographie digne du Puy du Fou). Les marchands arrivent et à leur arrivée la paix se fait : c’est un message intéressant adressé au roi, qui est que grâce au commerce nous faisons la paix, mais il faut que l’instance étatique intervienne dans l’extension maritime car cela coute cher. Voilà le rapport entre le privé et le public, qui va durer tout au long du XVIe siècle.

Il y aura des initiatives étatiques, telles que Jacques Cartier en 1532 qui découvre le Saint Laurent et nomme même le Canada et commence une ébauche de colonisation à la française.

Au XVIe siècle, la France a donc bien raté la mer. Mais au XVIIe siècle, c’est tout autre chose. C’est le siècle de l’État, et l’État prend les choses en main. Trois rois, Henri IV, Louis XIII et Louis XIV prennent les choses en main et la mer prend une place importante. Champlain, c’est le début de la vraie colonisation. Champlain fonde d’ailleurs Québec vers 1610-1620. Il fait une douzaine d’expéditions. Mais pas d’autres éléments importants.

Sous Richelieu et Louis XIII, c’est la date essentielle : en 1631, c’est la fondation de Brest, de l’arsenal. C’est le début de la projection vers la mer.

L’État français est un état terrien et pas maritime. L’histoire de la France commence par l’Île de France. Les provinces maritimes mettent beaucoup de temps à être annexées à la France (exemples : la Guyenne en 1453, la Bretagne en 1532). Louis XIV est « un roi paysan » qui considère le royaume comme son champ, la preuve est que Vauban fait le « pré carré ».

Richelieu a compris la puissance de la mer : « la première chose qu’il faut faire est de se rendre puissant sur la mer qui donne entrée sur tous les États du monde ». C’est le premier en France qui a une vision planétaire de la puissance. Il a mis en place les éléments moteurs d’une culture de la mer armée. Il fait le début d’une flotte militaire.

La suite c’est Nicolas Fouquet. Le malheureux surintendant des finances arrêté par Louis XIV à Nantes (Louis XIV a peu vu la mer … il est allé à Nantes, Marseille et Dunkerque mais pas pour des affaires maritimes. Il perd ses cheveux à Dunkerque en 1658, et c’est après cela que tout le monde porte la perruque en France).

Colbert est important, c’est vraiment la suite de Richelieu. Il a développé la Navale. Quand il arrive, il n’y a que 20 vaisseaux. A sa fin, vers 1683, on est pratiquement à 200 navires ! C’est une véritable révolution.

Le XVIIe siècle est le siècle de l’État, la France se projette dans la mer et il y a des réussites et des échecs. La Hougue par exemple en 1692 est une bataille navale perdue. La guerre de ligue est alors remplacée par la guerre de corsaires : ce sont en fait des pirates étatisés. Ils ont une lettre de commission qui les autorise à piller et châtier les ennemis. Ainsi, en 1711, René Duguay-Trouin fait une descente avec une trentaine de navires dans la baie de Rio de Janeiro pour capturer flotte portugaise et ramener à Louis XIV qui a besoin d’argent 4 millions de livres (en or et en objets) : c’est un bel exemple de pirate étatisé à la fin du règne de Louis XIV.

Le XVIIIe siècle c’est la mondialisation pour la France. C’est le siècle des Lumières, c’est le temps d’une maturation intellectuelle avec l’importance de l’Académie des sciences, de la géographie et des découvertes. Par exemple Bougainville, qui fait le premier tour du monde réussi dans les années 1760. (Magellan mort avant fin), …

Louis XVI est un roi très savant qui aime beaucoup les cartes, la géographie, les sciences et qui s’est beaucoup intéressé à la mer. Il est allé à Cherbourg, il a regardé de très près les navires et a aidé à l’indépendance des États-Unis qui est une grande affaire maritime avec La Fayette.

En conclusion, le XVIe siècle : hésitation entre le privé et le public et c’est le privé qui l’emporte ; le XVIIe siècle : tout à l’État ; le XVIIIe siècle : vive les sciences.

Et ensuite alors ? Est-ce que l’État et les autres acteurs, notamment les présidents, s’intéressent plus à la mer ?

Jean-Marie Kowalski :

Le début du XIXe siècle n’est pas reluisant. Ainsi, le tableau phare de l’époque est le radeau de la Méduse. On pense aussi à la bataille de Trafalgar.

En 1816, le tableau du radeau de la Méduse représente la conséquence d’une marine qui a perdu ses compétences, qui n’a plus de moyens, d’officiers qui ne s’entendent pas entre républicains et royalistes. C’est le naufrage de la compétence. Alors que quelques années auparavant, la marine française avait été actrice d’’un des plus grands bouleversements géopolitiques de l’époque avec la victoire navale de 1781 qui permet la création des États-Unis.

Il y a un tableau très contrasté entre la fin du XVIIIe siècle qui finit sur cet épisode brillant et le début du XIXe siècle très noir.

Ensuite, beaucoup de contrastes. Le XIXe siècle correspond à une suprématie britannique absolue partout. Et pourtant la France arrive à se refaire une place, d’une manière singulière : sous la Restauration, la France intervient dans le conflit qui oppose les Grecs aux Ottomans, et favorise l’indépendance grecque en 1827. Puis la France se retourne vers la mer avec des opérations qui font entrer la France dans la deuxième colonisation, avec la conquête de l’Algérie en 1830. On ne peut pas comprendre ce grand mouvement qui s’opère sans comprendre que la France est un pays qui innove dans le domaine naval.

Elle développe un modèle autonome, sans susciter d’inquiétude démesurée du grand voisin britannique : ainsi, la France est, avec le vaisseau de Napoléon, le premier pays au monde à envoyer un bateau à vapeur à propulsion par hélice ; elle et aussi le premier pays au monde à lancer une frégate cuirassée ; elle crée aussi l’hydrographie moderne. Scientifiquement, techniquement, politiquement, la France revient sur les mers. Elle pousse vers l’Afrique et vers l’Asie : à partir de 1853, elle s’installe en Nouvelle Calédonie ; elle est actrice de la guerre contre l’opium en 1860 ; … il y a un renouveau français sur les mers.

Ce retour est aussi celui de l’interventionnisme : concernant la colonisation mais aussi de nombreuses opérations militaires extérieures, notamment aux côtés des Britanniques. Par exemple dans la guerre de Crimée, la France avec le Royaume-Uni s’allie à l’empire ottoman pour contrer la Russie. Elle se termine avec le traité de Paris, qui a une clause de neutralisation de la Mer Noire. La France est alors vraiment une actrice. La Guerre de 1870 met un coup d’arrêt à ce développement, et elle est suivie par une période de longue hésitation.

Faut-il avoir une stratégie défensive ou offensive face à l’Angleterre ? Faut-il se refermer sur notre empire colonial ? De ces choix politiques hésitants découle que la France est dépassée par l’Allemagne, et qu’elle entre dans la Première Guerre mondiale avec un outil naval qui est très largement inadapté. La France en paye les conséquences, dans un conflit où s’affirment les puissances maritimes que sont les États-Unis et le Royaume-Uni. Le Traité de Washington assure leur suprématie sur les océans et donne un rôle à la France très secondaire, elle peine à s’affirmer.

Concernant la Seconde Guerre mondiale, le tableau est apocalyptique.

La suite est intéressante : la IVe République subit à la fois les impératifs de la reconstruction et des guerres coloniales dans lesquelles elle s’engage, mais aussi de la pression de nos puissants alliés qui voudraient cantonner la France à un rôle de puissance strictement régionale sans ambition océanique. Cette « mise sous tutelle » post Seconde Guerre mondiale coûte cher.

Une bascule océanique s’opère au début de la Ve République quand De Gaulle annonce à partir de 1963 la mise en chantier d’un sous-marin nucléaire. Cette bascule est clairement annoncée dans un discours  qu’il prononce à l’école navale en 1965 : il annonce que la marine est amenée à jouer un rôle de pivot de la Défense.

La Guerre Froide est aussi Froide car elle se déroule aussi sous les océans, avec l’outil majeur de dissuasion que sont les sous-marins nucléaires. L’entrée dans l’âge de la dissuasion fait véritablement opérer à nos dirigeants cette bascule océanique.

Concernant la période contemporaine, nous sommes actuellement dans un moment charnière. Après la Guerre Froide, toutes les grandes marines du monde ont désarmé (Les États-Unis ont plus que divisé par deux leur marine depuis 1990, la France et le Royaume-Uni ont aussi désarmé fortement), sauf la Chine : elle avait seulement 57 bateaux de premier plan en 1996 en a aujourd’hui plus de 350 : elle a plus de bateaux que les États-Unis.

Un défi naval revient sur le devant actuellement. Dans cet environnement, on peut s’interroger sur ce qui va advenir de la position de la France. Les moyens navals français restent stables jusqu’en 2030, alors que nos grands voisins vont augmenter leurs moyens : l’Italie de 30% dans les 10 ans, le Royaume-Uni d’un quart, l’Algérie va doubler sa marine. La Chine également.

L’île longue est un site militaire que tous nos présidents ont visitée. Ils ont d’ailleurs tous embarqué.

Concernant le plan diplomatique contemporain, quelle est la position de la France ?

Françoise Gaill :

Il y a eu un changement récent de la manière de se positionner pour la France : on considère l’océan comme un patrimoine commun de l’humanité, grâce à la Convention de Montego Bay. Cela a fait prendre conscience de l’importance géostratégique qu’il y a pour l’océan.

En ce moment, se décide que la 3ème conférence sur l’océan «One Ocean Summit » sera portée par la France et le Costa Rica : c’est très important. Ainsi, auparavant la position de la France aux Nations Unies était entre deux eaux : aujourd’hui, on comprend les enjeux (climat, biodiversité, géostratégie). L’avenir de la France peut aussi être l’océan.

L’océan a été préempté en partie après la Deuxième Guerre mondiale : on a décidé que la liberté de navigation sur les mers était une contrainte. La Convention de Montego Bay est la bible des grands diplomates aujourd’hui. Elle a permis d’avoir une identification du patrimoine commun de l’humanité pour tout ce qui était les ressources du fond des océans (ressources minérales). Il n’y a pas eu d’accord sur le reste des océans.

Mais depuis quelques années, l’océan a été découpé en morceaux : à la surface, liberté de transport maritime. Puis a été décidé que les États avaient le droit de préempter des ZEE sur une distance de 200 miles. Le reste de l’océan représente 60 % de la surface, et n’appartient à personne : donc c’est le premier arrivé qui est le premier servi. Donc pour les petits États insulaires, qui sont les grands États océaniques, et pour tous les États qui font partie du groupe des 77 (coalition aux Nations Unies de pays en développement), il y a eu une peur que les ressources à proximité de leurs frontières soient pillées (peurs réalistes pour la pêche par exemple) : ils ont poussé pour qu’on étende la notion de patrimoine mondial de l’Humanité à l’ensemble des océans.

Cela leur permettait de bénéficier du partage des avantages et des bénéfices que les entreprises pouvaient réaliser à partir des ressources marines. Cette négociation devait se terminer il y a 2 ans mais elle n’a pas encore abouti à cause du Covid. Cela concerne surtout des ressources qu’on ne connaissait pas avant : ce sont les ressources génétiques. C’est très abstrait. Tout ce qui peut permettre de donner naissance à des médicaments, des substances pour les industriels …

Florence Smits conclut que l’investissement de la France dans les négociations actuelles à New York montre que la France a saisi l’importance économique que représente la mer.

Est-ce que cela a toujours été le cas, si l’on revient à l’époque moderne ?

Les aspects économiques

Joël Cornette :

Oui, aux XVI-XVIII siècles, l’économie maritime est essentielle. Par exemple la Bretagne a longtemps été un État indépendant. La richesse des ducs de Bretagne repose sur l’économie maritime. Les Bretons des XIV-XVIe siècles sont les « Gouliers des mers » : l’économie est en connexion avec l’État. La Bretagne aurait pu avoir le destin du Portugal, s’il n’y avait pas eu le trop puissant voisin capétien, elle aurait eu un destin thalassocratique.

Le Duc de Bretagne est un vrai chef d’État souverain : il y a une cour, un impôt permanent dès 1360, le Fouage, 100 ans avant la Taille (1453), qui repose sur le Tiers-État, dans lequel il y a beaucoup de marins, de travailleurs de la mer. La Bretagne a été une puissance maritime très forte. Encore aujourd’hui, on en a la preuve avec les Enclos paroissiaux : c’est la traduction dans la pierre des bénéfices maritimes obtenus par cette économie de la mer (par exemple à Plougastel-Daoulas). Il y avait tout une série de marchands, aussi d’artisans textiles. Par exemple la prospérité de Locronan, magnifique ville du XVIe siècle,  vient des toiles de chanvre qui étaient exportées par la mer : c’était les toiles des navires, galions, caravelles qui ont conquis l’Amérique : les voiles de Christophe Colomb étaient bretonnes !

L’économie bretonne extravertie, où le commerce maritime était le fer de lance (Morlaix, Quimper …) a été cassée par Louis XIV. La guerre de Hollande notamment en 1672-78, avec une levée de taxes supplémentaires imposée par Colbert, mais aussi le blocus imposé par l’Angleterre et les Provinces Unies, ont eu pour résultat les révoltes des bonnets Rouges en 1675. La Bretagne était aux avancées de l’économie mondiale grâce à la mer jusqu’en 1675, et c’est cassé à partir de 1675 jusqu’en 1950 : la Bretagne entre dans une zone noire.

A-t-on réussi à réparer les dégâts depuis ?

Jean-Marie Kowalski :

Le cas de la Bretagne pose une série de questions sur le positionnement de la France sur la mer : la France est-elle un État riverain, ou est-ce une puissance navale ?

En Bretagne, il y a une situation intéressante : les flux du commerce mondial passent à côté de la Bretagne (rail d’Ouessant) mais il n’y a aucun port important.

Jusqu’à la Première Guerre mondiale, il y a un cabotage important sur les côtes bretonnes. Mais c’est aussi cassé par la Première Guerre mondiale : Brest est choisi fin 1917 pour être le port d’entrée des soldats Américains. 2 millions d’hommes y transitent, Brest devient un port majeur mais ensuite pour les transporter on développe le réseau ferré, ce qui impacte le cabotage. Ensuite, Brest redevient juste un port arsenal, et non un port de commerce important.

Dans les ambitions contemporaines françaises, de la Ve République, il y a la définition de l’océan comme une nouvelle frontière à conquérir. La Ve République naissante avait pour ambition de créer un Centre National d’Études Océanographiques (à l’image du CNES pour les études spatiales), en 1962. Il n’a pas vu le jour en raison de l’hostilité de la marine qui ne voulait pas que les activités océanographiques passent complètement dans le domaine civil.

Le CNEXO est créé en 1967, c’est aujourd’hui l’IFREMER, acteur majeur de la recherche scientifique française. Il y a alors une ambition maritime globale française de développement. On voit aussi poindre de nouveaux enjeux, tels que la capacité d’action dans les grands fonds (oléoducs, câbles sous-marins, ressources minières) : l’océan devient un espace à conquérir.

La Convention de Montego Bay est une des plus belle Convention internationale en 1982, mais elle n’entre en vigueur qu’en 1994 ! Elle a connu une longue construction.

Il y a un besoin actuel de renouvellement.

3. Les aspects scientifiques

Sur le plan scientifique, la France a-t-elle réussi ses rendez-vous avec la Mer ?

Joël Cornette :

Le XVIIIe siècle est un siècle important de redécouverte et de mondialisation pour la France. L’État a joué un rôle important. Ainsi, Colbert a mis en place l’Académie des sciences dans les années 1660, qui s’est aussi projetée vers la mer (cartographie, globe). Elle a initié une série d’explorations dans les années 1730, car il y avait une controverse pour savoir si la terre était vraiment ronde ou si les pôles étaient aplatis. Des expéditions ont été financées par l’État, en Laponie et en Amérique du Sud. Les résultats ont été sans appel, la Terre est aplatie aux pôles. C’est un bon exemple de l’État savant qui joue son rôle.

En plus, des explorateurs comme Bougainville ont un rôle essentiel.

C’est à chaque fois une nouvelle et meilleure connaissance de la mer. La France a un rôle moteur au XVIIIe siècle.

Il y a à la fois cette expansion océanique du XVIIIe siècle, mais aussi le commerce triangulaire (Bordeaux, Nantes) : il y a aussi une face sombre. Nantes est le premier port négrier d’Europe. Entre 1700 et 1800, Nantes a envoyé  1400 navires pour la traite des Noirs sur les côtes de Guinée pour les transporter vers les îles sous le vent, et les bateaux revenaient avec du sucre, du café, … il faut évoquer le fait qu’une grande partie de la richesse des grands négociants de ces villes portuaires vient de ce commerce du « bois d’ébène ». Cela a longtemps été occulté. Puis en 1992 a eu lieu une très grande exposition à Nantes, « Les anneaux de la mémoire ». Cela a permis une mise au grand jour de cette face cachée de l’expansion maritime de la France.

On voit là les liens entre découverte scientifique, économie, richesse. Qu’en est-il dans les périodes contemporaines ?

Jean-Marie Kowalski

La mer est un objet de bouillonnement intellectuel et scientifique à la fin du XVIIe siècle, notamment à l’occasion de la création de l’Académie de Marine en 1752. Brest devient une capitale scientifique de la mer française, qu’elle reste aujourd’hui. Dans cette Académie, on traite de sujets très importants comme le calcul des longitudes. On les teste lors des expéditions. Les calculs sont mauvais et par exemple en 1781 la flotte se perd, sans conséquence. Il y a des enjeux importants pour le développement du commerce.

Paradoxalement, malgré la suppression de l’Académie, la mer est un moteur de développement scientifique. Il y a une prise de conscience même récemment qu’il faut investir dans la mer pour assurer l’avenir de la France. Dans les années 1960, on se rend compte par exemple que notre flotte océanographique est très insuffisante : on la renforce donc. Le fond des océans est moins connu que la surface de Mars : c’est une connaissance à développer. Des investissements sont faits dans les grands fonds : c’est une conquête technologique et scientifique. Il y a une conjonction de tous les efforts pour faire de l’océan un moteur de progrès scientifique et un objet de découverte.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Françoise Gaill :

À la Fin XIXème siècle, l’émergence de la biologie a permis de regarder l’océan différemment, avec la question de la validité des théories de l’évolution de Darwin : il y a eu un besoin de les valider à travers la polémique sur les avantages ou désavantages acquis. La mer a été la source de découverte de formes du vivant qui a permis de voir les choses autrement : il y avait une biodiversité qu’on avait complétement oubliée. C’est le début d’une attention de la recherche par rapport à la mer. La France a été pionnière dans ce domaine, car elle a été la première à avoir créé des stations biologiques il y a 150 ans : Roscoff, Banyuls, Villefranche. Ce sont des stations qui ont été créées par des universités. Elles sont des phares du point de vue de la recherche scientifiques.

Aussi, la France est la troisième mondiale en recherche fondamentale en science de l’océan car il y a eu une connexion entre les techniques océanographiques et les techniques biologiques.

Il y a eu également l’aspect de la communication et de l’image avec Cousteau qui a été un ambassadeur remarquable donnant envie de rêver autour de la mer et d’aller voir. Cette figure a permis aux États-Unis d’identifier la France comme un pays maritime.

Il y a eu en France le Grenelle de la mer, où il y a eu la constitution d’une communauté d’esprits autour de l’océan. Mais le ministère de la recherche n’a pas suivi par rapport à cette attente.

Aujourd’hui, les étudiants en sciences océanographiques ont tendance à rester au laboratoire, en raison de l’outil numérique (simulation des mouvements de l’océan par exemple) et du coût des navires océanographiques. L’espoir de Mme Gaill est que nous avons les conditions nécessaires de réalisation d’une recherche de pointe dans les sciences de l’océan, ainsi que l’opportunité d’avoir un équivalent du Giec pour l’océan.