Peu mis en lumière dans le débat public, le cours moyen de l’école élémentaire avait besoin d’une visibilité révélée ici par un rapport [1]de 80 pages mélangeant considérations générales et entrées disciplinaires.
Quinze inspecteurs généraux ayant effectué des observations en 2021 dans le cadre de séances de 1h30 (issues de 160 classes de 92 écoles de 29 départements de 12 régions métropolitaines) nous livrent ici leurs conclusions. Qu’en est-il au sujet de la géographie ?
Le parti pris de vouloir renforcer les fondamentaux sans évoquer d’éventuelles modifications des volumes horaires se traduit par une survalorisation horaire des mathématiques et du français (qui lui-même survalorise hélas la dimension technique de la langue au détriment de sa compréhension tant écrite qu’orale) qui nuit à ce qui constituait déjà une « périphérie[2] » (sciences, arts et EPS). En façade, le bloc histoire/géographie/EMC semble épargné avec un volume horaire resté constant mais, les statistiques proposées étant inutilisables (pp 59-60 : comment ramener le partage d’un volume horaire à des pourcentages ?), il conviendra, on s’en doutait, de se raccrocher aux termes choisis pour les sous-titres, de constater que, dans cet ensemble, la géographie apparait en situation « préoccupante » et en « asymétrie » avec l’histoire (p 60).
Quelques points positifs sont relevés comme la préparation sérieuse, l’appétence de certains enseignants officiant dans le cadre d’échanges de service (quoi que cette façon de procéder ait été mise à mal dans les moments où les protocoles sanitaires étaient les plus rigides), la rencontre avec des séances dialoguées où l’enseignant est créateur de situations et animateur de son œuvre et où l’élève peut découvrir des documents variés, émettre des hypothèses…Mais rappelons que tout cela est chronophage[3] et fortement soumis aux équipements disponibles ! Le rapport souligne l’absence crasse de manuels dans les classes (40 % en mathématiques et français et rien dans les autres disciplines) et la présence, meilleure quoi qu’incomplète, de vidéoprojecteurs et de connexion à Internet. Le terrain me montre que certaines classes n’ont parfois pas de rideaux….
Ces quelques belles séances vues çà et là, cette partie émergée de l’iceberg contraste avec la masse d’enseignants en peine avec la discipline, convoquant l’héritage de leur propre expérience scolaire en la matière et survalorisant le recours aux repères[4] au détriment de l’analyse de l’organisation de l’espace des sociétés humaines.
Formation. Le mot est lâché à 20 reprises dans le document non sans un certain autosatisfecit de la formule « constellations » mais il n’est mobilisé que dans le début du rapport, dans les considérations générales.
Sur la forme et à l’économie, il est proposé de recourir aux enseignants de 6ème pour former les collègues de CM (p 12). Cela permettrait de conforter la toute relative cohérence du programme de cycle 3[5] mais rappelons que, bien que bivalents, les enseignants de collège restent majoritairement de culture historienne et qu’on propose justement de renforcer leur propre formation en géographie[6].
Sur le fond, rien n’est suggéré. Si les enseignants sont en peine avec les entrées notionnelles, conceptuelles et thématiques, alors formons les à cette réalité épistémologique ! Ce n’est certainement pas la proposition de réécriture de la transition CE2-CM1 du programme qui améliorera les pratiques (au passage, cette idée s’accompagnerait d’un souhait d’introduire « plus explicitement la connaissance du territoire de la France », p 62, ce qui risquerait justement de renforcer les écueils soulignés de la nomenclature et de retarder les enseignants dans une éventuelle analyse de l’organisation de cet espace tant que les élèves n’en auraient pas maîtrisés les principaux repères).
Parallèlement, on s’interrogera sur la phrase, apparemment formulée comme un reproche en comparaison avec l’histoire, disant, p 60, qu’en géographie « un travail à la maison est plus rarement demandé ». Le rapport consacre 5 pages, pp 23-28, au travail à la maison et montre qu’il est censé être interdit depuis des lustres alors que la pression sociale des parents l’autorise dans les faits à subsister. Que faut-il faire ?
En définitive, la temporalité de ce rapport questionne : postérieure à l’ère Jean-Michel Blanquer et à la réélection d’Emmanuel Macron mais antérieur à la nomination de Pap Ndiaye. Bilan de couverture ou alors premier constat réaliste avant une réelle volonté d’amélioration ? L’avenir nous le dira, sous l’œil d’historien…
[1] L’enseignement en cours moyen : état des lieux et besoins. Rapport de l’IGESR – n°2022-048 – avril 2022 https://www.education.gouv.fr/l-enseignement-en-cours-moyen-etat-des-lieux-et-besoins-341094
[2] Thierry Philippot et Gilles Baillat, « Du « maître idéal » au maître ordinaire », Éducation et didactique [En ligne], 5-3 | 2011, mis en ligne le 30 décembre 2013, consulté le 23 mai 2022. URL : http://journals.openedition.org/educationdidactique/1145 ; DOI : https://doi.org/10.4000/educationdidactique.1145
[3] Charpentier Philippe, « Le cheminement intellectuel et pratique d’un maître non spécialiste confronté à la préparation de séances de géographie au cycle 3 de l’école primaire », L’Information géographique, 2018/3 (Vol. 82), p. 132-143. DOI : 10.3917/lig.823.0132. URL : https://www.cairn.info/revue-l-information-geographique-2018-3-page-132.htm
[4] Leroux , X. (2022). The Map and the Game: Objects for Learning Geographical Points of Reference in Elementary School. In Objects to Learn About and Objects for Learning 2 (eds J. Bisault, R. Le Bourgeois, J.-F. Thémines, M. Le Mentec and C. Chauvet-Chanoine). https://doi.org/10.1002/9781119902461.ch1
[5] La formation continue en géographie, histoire et éducation morale et civique dans le premier degré
[6] Manifeste « Redonner le goût de la géographie pour mieux habiter la planète »