Le 8 juin 2014, le Conseil supérieur des programmes a rendu public le projet de nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Celui-ci définit la « culture commune qui permettra à chaque élève de s’engager dans un rapport positif au savoir, de s’insérer dans la société pour y jouer pleinement son rôle de citoyen et de favoriser pour chacun la poursuite de sa formation tout au long de sa vie ».
Du 22 septembre au 18 octobre 2014, les enseignants du primaire et du collège ont été invités à livrer leurs premières impressions sur les 5 domaines 1- Les langages pour penser et communiquer
2- Les méthodes et outils pour apprendre
3-La formation de la personne et du citoyen
4-L’observation et la compréhension du monde
5-Les représentations du monde et l’activité humaine constituant ce nouveau socle. Ce passage de 7 à 5 domaines s’accompagne d’un changement de philosophie générale assez fort puisque, contrairement aux « piliers » du socle précédent qui s’identifiaient souvent à une discipline, les nouveaux « domaines » sont très transversaux.
Une approche ambitieuse mais surtout un pari qui ne manquera pas d’en dérouter plus d’un si un solide guidage (formation continue, documents d’accompagnement…) ne vient pas s’adjoindre à cette nouvelle façon de concevoir les enseignements.
En attendant de voir paraître les programmes rendant opérationnel ce socle, essayons de voir comment notre triptyque géographie-histoire-éducation civique y est traité.
1. Plus scientifique, la géographie peut-elle sortir gagnante ?
De nombreux points positifs sont à relever au sujet de la géographie, notamment dans la sphère primaire.
Le premier d’entre eux tient à la place du document. Réduite à l’étude des seules cartes dans le texte originel de 2008, légèrement revalorisée lors des compléments 2012 grâce à l’analyse du « paysage » et du « document statistique simple », la géographie voit apparaître, dans le cadre du domaine 1, des « langages scientifiques » qui ne pourront que lui bénéficier. S’ajoute ici une belle liste comportant les plans, schémas, croquis, maquettes, tableaux, graphiques, et autres diagrammes…Il y est précisé l’intérêt du langage symbolique pour modéliser, le tout dans un souci de résoudre des problèmes et de traiter des données.
Ces langages scientifiques sont appuyés, second point important, par une « démarche scientifique » (domaine 4). Longtemps réduite aux seules sciences dures, l’approche raisonnée du monde prend ici corps dans une géographie permettant d’observer, d’expliquer, d’imaginer, de distinguer les faits et les hypothèses, les croyances et les opinions. L’élève peut ainsi manipuler, mesurer, calculer, expérimenter, argumenter et mobiliser différentes formes de raisonnement. Le domaine 5 précise également que les études de cas, instituées en collège, peuvent se travailler à l’aide d’enquêtes et d’entretiens.
Précisons enfin que de plusieurs thèmes dignes d’intérêt se maintiennent ou font leur apparition dans ces nouvelles lignes. En reprenant les domaines, on trouvera notamment :
– l’étude des réseaux (routiers, ferroviaires, internet et sociaux), au travers des représentations graphiques (domaine 1),
– le fonctionnement institutionnel de l’Union Européenne en lien avec la connaissance de ces pays constitutifs (domaine 3),
– les phénomènes naturels, le développement durable et l’éthique mais aussi, une compréhension des enjeux politiques, économiques et technologiques auxquels sont confrontées nos sociétés (domaine 4),
– la recherche de compréhension des organisations du monde nécessitant un regard sur la mondialisation qui avait disparu depuis les programmes de 2002 (domaine 5).
La lecture de ce projet montre que cette façon d’appréhender la géographie scolaire la rend plus en phase avec les questionnements actuels de sa science de référence. La présence de Michel Lussault à la présidence du Conseil Supérieur des Programmes y est-elle étrangère ?
2. L’éducation civique ou » l’enseignement moral et civique »
Si de nombreuses attitudes citoyennes sont présentes dans tous les domaines, le domaine 3 est le plus tourné vers les « contenus » de l’éducation civique mais perçues aussi par le biais de la personne. Cela risque d’être difficile. Un peu comme la note de vie scolaire en son temps : évaluer la « personne » reste un danger…Par ailleurs, ce domaine est assez centré sur la pratique de la citoyenneté plus que sur l’identification « traditionnelle » de ces principes et règles…Il est d’ailleurs précisé que l’enseignement civique et moral est l’occasion (ce qui signifie ?) de développer et mettre en perspective les compétences décrites dans le domaine 3.
On insiste sur le fait que le citoyen (l’élève) prend part à l’élaboration des règles et à leur modification dans le cadre de l’appartenance à un groupe…On cherche à « engager » l’élève dans ce processus et à tenir ses engagements…
Les différentes échelles sont alors déclinées : la classe, le collège, la Nation, l’Union Européenne.
Au niveau des contenus, on trouvera :
– Valeurs et principes de la constitution,
– Sentiment d’appartenance à une collectivité,
– Principes complémentaires : coexistence des libertés,
– L’identité personnelle, l’identité dans le groupe,
– Le respect, refus des discriminations, égalité des sexes et ….tolérance (qui est largement de l’attitude plutôt que du principe),
– La laïcité,
– Une société démocratique, valeurs communes pour la garantie des libertés individuelles,
– Les règles dans le système de droit, et la modification des règles selon des procédures. On insiste sur cette modification possible,
– Contenu : la connaissance des institutions de justice,
– Le cadre reprend les institutions à l’échelle nationale et européenne et le principe de perfectibilité.
– Quelles nouveautés ?
On voit l’apparition du droit, de l’éthique, des choix moraux… dans le cadre des principes républicains, de la liberté et du respect des croyances et des modes de vie.
Pour l’Education civique (ECJS ou enseignement civique et moral), étant donné qu’il n’existe pas de cursus universitaire défini dans ce domaine, on ne peut parler de relation plus étroite avec les domaines de recherche mais une ouverture claire vers le droit.
De même, la transversalité était déjà de mise dans ce domaine, sans pour autant que les compétences afférentes ne soient pointées de manière claire dans la pratique.
Enfin les équipes de vie scolaire étaient déjà intégrées au socle précédent mais dans une confusion des sphères éducative et pédagogique ce qui peut représenter un plus pour la vie scolaire mais un risque aussi de l’évaluation (évaluer la personne).
– Les Méthodes et pédagogies de projet comme nouveautés ?
La tâche complexe et mise en projet y compris dans l’évaluation correspond à la poursuite de nos pratiques par étude de cas et sujet d’étude. La différence est son omniprésence dans le socle nouvelle mouture. Certes, il est vrai que l’enseignement (et donc l’évaluation) par compétences trouve son écho dans ce type de pédagogie. Certes il est vrai que cette pédagogie favorise mieux le travail interdisciplinaire, transdisciplinaire. Cependant, l’équilibre doit être respecté entre transversalité et disciplinaire pour que les enjeux ne soient pas confondus, que les notions soient identifiées comme appartenant à tel ou tel champ disciplinaire etc…
La mise en œuvre de cette pédagogie axée sur les projets interdisciplinaires entraînerait vraisemblablement une réorganisation du service des professeurs en collège. Une partie de leur temps d’enseignement devra être consacré à l’interdisciplinarité, la mise en projet, la co intervention et non seulement à l’enseignement de leur matière.
La mise ne place d’Itinéraires de Découvertes en leur temps, dans une optique de mise en projet interdisciplinaire a conduit à la réduction des horaires en Histoire géographie. Dans presque tous les établissements, ces heures données par les disciplines au profit de l’interdisciplinarité, ont finalement servi aux chefs d’établissement à compenser les manques pour former des groupes de moindre effectif en Technologie, SVT ou Sciences Physiques. L’Histoire Géographie s’est retrouvée alors dans les classes de 5ème et 4ème ou les IDD devaient être mis en place aux horaires-planchers On comprend peut-être mieux la défiance de certains collègues à repartir dans une aventure interdisciplinaire sans l’assurance que l’Histoire Géographie gardera toute sa place dans le Collège refondu par les programmes et le Socle.
Bien que favorable à la pédagogie de projet, il faut rester vigilant quant à la confection des programmes, aux temps attribué à l’interdisciplinarité dans un équilibre juste…
– Les Tice: Une éducation aux Média (et communication) ?
Ils apparaissent dès le domaine 1 : Un travail sur la nature des supports numériques et des réseaux.
On parle de démystification et d’usage raisonné et responsable par des ateliers d’éducation aux média et à l’information, des activités de recherche (ainsi que domaine 2 maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la documentation) qui ouvre la voie à la Documentation comme discipline pédagogique à part entière.
En primaire, l’utilisation de l’outil informatique est tributaire de la dotation en matériel de chaque classe ou école, le nouveau socle préconise une initiation au fonctionnement, au processus et aux règles des langages informatiques, l’élève doit être capable de réaliser de petites applications en utilisant des algorithmes simples. Comment ? Une étude montre qu’une école sur trois n’a pas de vidéo- projecteur, une sur quatre n’a pas d’accès internet, 18% des écoles ont accès à un ENT.
L’utilisation des TICE, ENT, TBI est nécessaire, mais cela doit rester un outil parmi d’autres, une aide pour les enseignants dans leur pratique quotidienne mais pas être une pratique exclusive. Faire des TICE pour travailler dans d’autres domaines, pas des TICE pour des TICE ….
Apprendre à utiliser avec discernement, (les enfants dès la maternelle sont en contact à la maison avec les tablettes, les ordinateurs, en cycle 3, beaucoup ont déjà un compte facebook) l’outil informatique dans son ensemble et sa diversité est aussi primordial dans le monde actuel.
Mais tout cela demande des moyens, les aurons-nous ?
Le cas est le même pour les collèges où les disparités sont énormes entre les établissements. Néanmoins, il est clair que la Technologie doit être le lieu de la connaissance de l’outil et les Tice intervenir comme plus-value pédagogique. Quant à nous, professeur d’Histoire géographie, nous avons aussi à interroger ces outils dans le cadre des sociétés, de l’histoire des sciences car il est à la fois un phénomène et un sujet d’étude désormais qui doit dépasser l’éducation civique.
3. Toujours la même histoire ?
L’histoire se retrouve dans le domaine 5, « les représentations du monde et l’activité humaine », le dernier de ce nouveau socle. Ce domaine propose des pistes pour mieux construire le temps historique, appréhender l’occupation, l’aménagement et la transformation des espaces par les hommes et mieux comprendre ainsi les grands défis des sociétés modernes. Il ne sépare pas le temps et l’espace et ouvre la voie à une meilleure liaison entre géographie et histoire.
Ce nouveau socle met d’ailleurs en avant le caractère indissociable et le dialogue nécessaire entre le domaine 4 « l’observation et la compréhension du monde » et ce domaine 5
Il est à signaler que dans le socle actuel, l’histoire et la géographie se retrouvent ensemble dans la compétence 5 « la culture humaniste ». Donc pourquoi séparer ce qui était avant regroupé et demander de les travailler ensemble dans le nouveau socle?
Les Domaines 4 et 5 semblent donc plus « disciplinaires » mais le domaine 5 donne l’impression d’y avoir mis tout ce qui ne rentrait pas finalement dans le domaine 4 (étant donné qu’en plus de la géographie, on y retrouve aussi les mathématiques, l’informatique, les sciences de la vie et de la Terre, la physique, la chimie, la technologie…)
Pour en revenir à l’histoire, les élèves doivent acquérir les repères indispensables pour se situer dans l’espace et dans le temps. Ces « fameux » repères indispensables ! Dénomination que l’on retrouve régulièrement dans les IO, le socle de 2006 (les périodes et les dates principales), le palier 2 (mémoriser quelques repères chronologiques pour les situer les uns par rapport aux autres en connaissant une ou deux de leurs caractéristiques majeures) les progressions de 2012 (des repères représentatifs qui peuvent être complétés par les choix pédagogiques des enseignants)…, soit, mais lesquels ? Il en faut bien évidemment, mais il faudra attendre les nouveaux programmes pour en savoir plus. Ce que les collègues ont d’ailleurs reproché lors de la consultation, notre avis est demandé sur le socle mais en même temps, on navigue à vue car on ne peut pas le mettre en parallèle avec les programmes.
La lecture du document avec les objectifs de connaissances et de compétences ne nous en apprend pas davantage, il ne fait que présenter plus simplement le socle en reprenant les 20 objectifs. Le fait d’ailleurs de multiplier les supports pour travailler le nouveau socle n’a pas aidé les enseignants à se l’approprier.
Sur le fond, le nouveau socle n’offre pas de grandes nouveautés, certaines phrases sont d’ailleurs reprises mot à mot du socle actuel, par exemple « acquérir tout à la fois le sens de la continuité et de la rupture », ce qui est fondamental en histoire…Les mêmes idées sont reprises en termes différents par exemple dans le nouveau socle « pour comprendre notre monde, il faut être sensible à la perspective historique », dans le socle actuel « sachant d’où viennent la France et l’Europe et en sachant les situer dans le monde d’aujourd’hui, les élèves se projetteront plus facilement dans l’avenir. »
Ce qui fait donc dire aux enseignants que les nouveaux programmes ne seront pas si différents de ceux de 2008, d’où quelle nécessité de nous consulter ? En allant plus loin, certains professeurs pensent même que les programmes sont déjà prêts à être imprimées et que la consultation ne sert à rien sinon à donner l’impression aux enseignants d’avoir été entendus. La communication du rapport du CSP de décembre suite à la consultation sur les programmes de 2008 est passée inaperçu auprès de nombreux enseignants.
Ce domaine met également en avant la contribution de différents champs disciplinaires. Beaucoup d’enseignants apprécient cette mise en valeur de l’inter-trans-pluri ? disciplinarité… On peut y voir une validation de la pédagogie du projet, très souvent utilisée dans les cours multiples….Faire des liens entre les disciplines est fondamental pour les élèves, il faut éviter les cloisonnements entre les matières. Cependant cela reste encore bien vague et général quant à la mise en pratique, notamment pour les jeunes enseignants.
Cela nécessite par contre pour la mise en œuvre du socle un travail d’équipe dans les écoles, un travail entre collègues de même niveau,entre collègues d’un même cycle, ce qui n’est pas toujours le cas…ou difficile à mettre en œuvre….
En même temps, quand on relève les dates étalées de mise en application de ces nouveaux programmes, la mise en œuvre d’un travail d’équipe va être rendue bien complexe. Et encore plus dans les cours multiples, par exemple pour une classe de CE2-CM1-CM2 en 2017 : les CM1 auront une année de nouveaux programmes derrière eux, les CM2 avec un nouveau programme et les CE2 aux anciens programmes… Il est compréhensible qu’il faille étaler les nouveaux programmes mais la mise en œuvre pratique va être un casse-tête pour certains et certaines.
4. Conclusion
Globalement, pour les enseignants, il était nécessaire de retravailler sur le socle, notamment dans le fait de le mettre en adéquation avec les programmes et le Livret Personnel de Compétences.
L’idée de passer de 7 compétences à 5 domaines est intéressante mais, même si certains domaines sont recentrés, si un domaine est consacrée à la méthodologie (ce qui nécessite des moyens avec les TICE), d’autres semblent un peu « fourre-tout ».
Les enseignants sont en forte attente des nouveaux programmes pour voir si ceux-ci vont « coller » au nouveau socle mais en primaire, ils n’attendent pas une réforme profonde des IO. Ils souhaitent également des programmes clairs, précis (un peu sur le modèle des progressions de 2012) qui puissent les guider dans la pratique de tous les jours, surtout pour les jeunes enseignants.
Tout cela nécessitera, de toutes façons, une solide formation.