De la Manche aux rivages du Canada, de la Grèce à la péninsule arabique, l’archéologie de ces trente dernières années a renouvelé les connaissances sur les rapports à la mer des populations préhistoriques. Routes commerciales ou de conquête, transferts de savoir-faire, populations migrantes: les fouilles les plus récentes montrent l’ampleur des itinéraires et leur complexité. Pour que le peuplement de la terre ait eu lieu, il faut que les hommes et les femmes aient navigué, seuls, en groupes, avec leurs troupeaux et leurs céréales, leurs outils et leurs connaissances à la découverte de nouveaux espaces.

Intervenants :

Anne Lehoerff, archéologue, spécialiste de protohistoire, vice-présidente du Conseil national de la recherche archéologique.

Gregor Marchand, professeur à l’université de Rennes, Chercheur au CNRS.

Catherine Perlès, professeure émérite de l’université de Paris- Nanterre.

La table ronde est modérée par Emmanuel Laurentin.


En préambule, les interventants sont unanimes pour reconnaître que pendant longtemps, les archéologues de la Préhistoire se sont peu intéressés au rapport des sociétés préhistoriques avec la mer.

À cela, plusieurs explications sont données. La première est liée aux débuts de la recherche préhistorique au 19è siècle, qui fut  marquée par la fouille des cavernes. Cela  imposé  dans les esprits  l’image de notre lointain ancêtre comme  « l’ homme des cavernes », bien  trop sauvage, bien trop fruste pour aller sur la mer.  La seconde provient de la rareté des vestiges préhistoriques sur les littoraux, la plupart ayant disparu sous l’effet de la mer, des tempêtes, de l’érosion et  de la variation des littoraux.

Selon les mots d’Anne Lehoerff, « tout a disparu! » ou presque… Il a donc fallu attendre longtemps pour que les préhistoriens prennent leur distance avec la  « logique cavernicole ». Selon Catherine Perlès, ce n’est que depuis une génération, soit 20 /30 ans, que les chercheurs ont changé leur regard en faveur d’une préhistoire moins continentale. Prendre en compte la mer à la Préhistoire permet donc de déconstruire les images préconçues que le grand public a de la Préhistoire.

Les traces sont rares mais elles existent!

L’obsidienne était un matériau lithique d’origine volcanique très apprécié à la Préhistoire. Les nombreux vestiges en obsidienne trouvés dans les îles de la Méditerranée prouvent, en comparant les lieux d’extraction et les lieux de découverte, qu’au Néolithique, l’obsidienne circulait en Méditerranée et faisait l’objet d’échanges maritimes organisés.

En Océanie, les témoignages archéologiques prouvent que l’occupation humaine de nombreuses îles est fort ancienne. De même, dans l’Atlantique, l’occupation de Saint Pierre-et-Miquelon aurait commencé vers 3000 avant J.C. Au Néolithique, la mer n’est donc plus un obstacle insurmontable à la circulation des hommes et de (quelques) marchandises.

Les intervenants estiment que la circulation maritime sur des dizaines de kilomètres nécessite une organisation logistique du voyage, tant sur le plan technique (quels bateaux?), logistique ( vivres, boisson  à emporter) et humain (qui part et pourquoi?), et que cela n’est pas laissé au hasard.

Sur le plan des techniques navales, un certain nombre  de vestiges de pirogues monoxyles ou d’embarcations faits de papyrus ont été retrouvés. L’archéologie expérimentale s’attache à retrouver les techniques de fabrication en usage au Néolithique et à expérimenter la capacité des embarcations à voyager sur la mer et ainsi tenter  de vérifier les hypothèses de la circulation de nos ancêtres du Néolithique, d’un point à un autre.

Reste la question la plus épineuse : pourquoi  prend-on la mer au Néolithique? Les conférenciers avouent ne pas avoir de véritable réponse. Aux motivations économiques (les échanges d’obsidienne en Méditerranée ; l’épuisement des ressources qui contraint à aller ailleurs?), Gregor Marchand évoque également un facteur culturel : l’aspiration de certains Humains (et groupes humains) à surmonter l’inconnu, à dépasser les limites de l’horizon familier.

S’ il en fut ainsi, voilà qui nous rapprocherait singulièrement de nos lointains ancêtres de la Préhistoire…