Du musée naval du Louvre de 1827 au port-musée de Douarnenez, jusqu’aux futurs musée de Saint-Malo et musée national de la Marine à Chaillot, l’Histoire fait partie intégrante des réflexions autour des parcours muséographiques. Ces questionnements sont notamment développés dans les projets scientifiques et culturels, étapes obligées pour tout musée, qui interrogent les établissements sur leurs objectifs et leur rapport à l’Histoire et à l’historien et développent une réflexion sur les nouveaux modes de monstration des collections.
Avec la prise en compte renforcée des publics, de leurs attentes et de leur diversité, avec également le développement de nouveaux outils de médiation, le musée souhaite s’incarner comme un acteur incontournable pour comprendre les enjeux maritimes contemporains.
L’histoire des musées maritime est elle-même révélatrice des différents courants qui ont œuvré à la création de ces établissements. À une présentation initialement très politique, volontiers idéologique, des collections, les musées maritimes se sont ouverts peu à peu à l’ethnographie, à l’ethnologie et à la sociologie. À l’heure des nouvelles mondialisations, les musées maritimes participent également aux questionnements qui agitent le monde culturel dans son ensemble.
Cette table-ronde abordera, après avoir évoqué les grandes périodes qui ont marqué la naissance des principaux établissements muséaux tournés vers la mer, les manières dont ils envisagent le l’intégration dans une histoire plus globale des nouveaux enjeux mondiaux, qu’ils soient environnementaux, sociaux, économiques ou stratégiques et, surtout, comment intégrer à cette démarche les historiens.
Intervenants
- Vincent BOUAT-FERLIER Conservateur en chef du patrimoine
- Caroline LE MAO, MCF hdr, Université Bordeaux Montaigne –
- Hélène RICHARD, Académie de marine
- Philippe SARTORI, Conservateur du patrimoine, Ville de Saint-Malo.
Un enregistrement sonore de la table ronde est disponible.
Le succès des musées de la marine
Les musées de la marine rencontrent toujours un incontestable succès auprès du public, et le modérateur a d’ailleurs rappelé très opportunément l’historique de cet engouement. En effet, plusieurs dates ont marqué, pendant la période contemporaine, l’intérêt pour ce domaine maritime, à commencer par le discours de Jack Lang de 1981, comme ministre de la culture, le colloque estuaires tenu à Nantes en 1992 et enfin la dernières présentation de Patrick Louvier, Neptune au musée.
Le paradoxe, malgré cet engouement existe pourtant, puisque plusieurs projets ont été remis en cause récemment, malgré la tenue du sommet des océans à Brest en 2022. On notera l’abandon du projet phares et balises par exemple. Les trois intervenants ont une expérience particulière concernant la muséographie autour de la mer, à commencer par Hélène Richard, représentant l’Académie de marine, et qui a été en charge de la très grande exposition tenue à Paris en 2004 et à Brest en 2005, « la mer, terreur et fascination ».
Caroline Le Mao, Maître de conférences à l’université de Bordeaux, a travaillé sur les fournisseurs de la marine de guerre sous le règne de Louis XIV, mais elle est surtout en charge actuellement de la dimension historique du musée Mer / Marine, un musée privé, ce qui est quand même assez important à souligner. Enfin Philippe Sartori est conservatoire du patrimoine est en charge de la préparation du grand projet de musée maritime de Saint-Malo.
Avant de donner la parole à ces intervenants, le modérateur, Vincent BOUAT-FERLIER, conservateur en chef du patrimoine, au musée national de la Marine fermée depuis 2017, mais qui devrait réouvrir en 2023.
Le premier musée de la marine a été créé en 1827 dans des salles du musée du Louvre où il est resté jusqu’en 1937. Pendant une brève période à partir d’un projet du directoire, des collections ont été installées à l’hôtel de la Marine. Le musée qui a ouvert au palais de Chaillot en 1827 s’inscrit dans une volonté politique de la restauration visant à réaffirmer le renouveau de la marine de guerre française. Ce musée « très politique » faisait d’ailleurs l’impasse sur la période de la révolution et de l’empire. Celle-ci n’a pas été marquée par de grandes réussites navales françaises, lorsque l’on pense Aboukir et à Trafalgar.
Ce musée avait pour vocation la présentation de collections au public, mais également l’instruction des officiers de marine.
La bataille de navarin qui aboutit à la destruction de la flotte turque le 20 octobre 1827 s’est déroulé dans le contexte du soutien des Européens au mouvement d’indépendance de la Grèce, alors vassale de l’empire ottoman.
Hélène Richard a rappelé qu’il existe toujours une présentation virtuelle de l’exposition de 2004, en ligne, qui montre le choix particulièrement audacieux de sortir des routes tracées, à défaut des sentiers battus, pour parler de la mer.
Pour ce qui concerne cette exposition, il a fallu faire des choix difficiles, en raison du fonds documentaire considérable dont dispose la BNF, avec notamment la première collection de portulans du monde.
Pour ce qui concerne le musée de Saint-Malo, Philippe Sartori rappelait toute l’importance pour la cité des corsaires, de ce patrimoine. Le projet a été développé à partir de 2007, il concerne très directement la population de cette cité de 50 000 habitants, qui a voulu associer son histoire maritime à son patrimoine, des 1827. Le projet semblerait s’orienter vers un musée hybride qui associerait la dimension historique mais également sociétale.
Pour ce qui concerne le musée mer/marine de Bordeaux, qui doit beaucoup au mécénat de Norbert Fradin, et qui a été inauguré en 2019, Caroline le Mao qui a construit le parcours historique s’est retrouvé en terrain quasiment vierge, avec tout à inventer. Le musée est sorti de terre à partir d’un nouveau bâtiment, avec une scénographie originale, est une architecture d’avant-garde qui s’inscrit dans le paysage de la cité.
Le musée d’Aquitaine était orienté sur l’histoire coloniale de Bordeaux, tandis que le nouveau musée inscrit sa démarche dans une conception plutôt globale de la mer, en associant le cadre chronologique mais également différentes thématiques. Avec ce musée Bordeaux se rappelle que la cité a été littéralement « un port de mer » avant de décliner.
Les quatre protagonistes de cette rénovation muséale, car le modérateur est également en charge de la réouverture du musée national de la marine ont donc apporté un éclairage sur les nouvelles problématiques. On notera avec le plus vif intérêt que la débauche numérique à laquelle on peut assister parfois les laisse plutôt réticents. La réalité de l’objet permet une émotion que le monde virtuel n’autorise pas forcément. La question qui se pose est évidemment celle de l’accès à tous les publics, ce qui n’est pas forcément évident.
Le modérateur a d’ailleurs rappelé que dans l’ensemble des musées, les comités d’usagers, association des amis entre autres, permettent aux conservateurs du patrimoine de s’inscrire dans une démarche vers tous les types de public, y compris des détenus, ce qui peut être un premier pas vers la réinsertion probablement.
En attendant nous sommes très impatients de découvrir le futur musée national de la marine en 2023, le projet de musée maritime de Saint Malo lorsqu’il sortira de terre et bien entendu le musée mer marine de Bordeaux. Chaque protagoniste de cette table ronde nous a assuré du meilleur accueil.