Si vous n’êtes pas un(e) grand(e) fan des réseaux sociaux et des discours de développement personnel, bien souvent mièvres avouons-le, qui pullulent sur les colonnes d’Instagram, vous n’avez certainement jamais entendu parler de cette femme au patronyme peu commun : Ayn Rand. Un nom issu d’une volonté démiurgique, à l’image de la philosophie qu’elle prône et dont elle est la mère. Et pourtant ses discours, écrits, scénarios, ont eu une influence dépassant bien largement le seul cercle éthéré des idées.
Ayn Rand : un nom étrange pour un parcours qui détonne dans le paysage philosophique et de la Pop-Culture. L’écrivaine se voulait être une philosophe de l’action et du quotidien, offrir un guide de vie et de conduite à l’instar de ses pairs grecs des temps jadis. De Jeff Bezos à Ken Levine, en passant par Edward Snowden, Sandra Bullock ou encore Brad Pitt, tous viennent communier à la Source Vive randienne, tantôt l’admirant, tantôt la raillant. Mais toujours en la lisant, la digérant, et assimilant une partie des figures littéraires et des concepts qu’elle mobilise. Il était normal que Clio Geek consacre ici quelques lignes à la vie de cette femme qui a profondément marqué notre imaginaire culturel sans que nous le sachions la plupart du temps.
I. Who is Ayn Rand ?
L’histoire personnelle d’Ayn Rand est à l’image de sa pensée, du moins pour nos contrées européennes : iconoclaste. Née Alissa Zinovievna Rosenbaum en 1905 à Saint Petersbourg, dans une famille de la petite bourgeoisie juive, la jeune Alissa se passionne très tôt pour la lecture et l’écriture, profitant de la culture de sa famille, et des moyens financiers à leur disposition, pour s’ouvrir rapidement au monde extérieur. Ainée de la famille, c’est adolescente que le cadre politique de son pays bascule avec les révolutions de 1917 et les conséquences sociales lourdes pour les Rosenbaum.
Avec l’arrivée aux pouvoir de Lénine et des bolcheviks son père, pharmacien, perd son officine et les revenus conséquents générés. Alissa a alors 13 ans. La famille quitte Pétrograd un temps pour gagner l’Ukraine, la Crimée et fuir l’avancée de l’Armée Rouge, en vain. La famille regagne en 1921 les bords de la Neva pour permettre à Alissa de poursuivre des études universitaires, à la fois littéraires puis cinématographiques. Fraichement diplômée, et profitant d’un visa en prétextant rendre visite à de la famille aux Etats-Unis d’Amérique, Alissa quitte définitivement l’URSS en 1926, pour ne plus jamais y retourner. Elle laisse derrière elle sa famille mais emporte chevillée au coeur sa haine du socialisme, sous toutes ses formes, qui va nourrir profondément sa réflexion.
Comme tous les immigrés européens, Alissa débarque aux Etats-Unis d’Amérique par Ellis Island et pose ses yeux pour la première fois, au tout début 1926, sur la richesse et la puissance de la Grosse Pomme. Pour la jeune femme en quête de liberté et d’indépendance, ayant traversé l’Enfer collectiviste, l’Amérique devient l’Eden, le paradis rêvé, mythifié par les westerns et films muets du début du siècle et qu’elle a pu décortiquer et analyser longuement durant son parcours universitaire. Déterminée à ne plus jamais revenir en Europe et à bâtir son avenir dans les pas des pionniers du Mayflower, Alissa parvient assez rapidement à intégrer le monde du cinéma en se faisant remarquer par Cecile B DeMille, intrigué, parait-il, par cette jeune femme qui arpentait l’entrée de ses studios new yorkais.
La rencontre est providentielle : DeMille, en pleine préparation pour son prochain film The King of Kings, lui offre un petit rôle sur le tournage et lui ouvre ainsi les portes du monde du cinéma. La diplômée de littérature et de cinématographie en URSS enchaîne les tâches et les missions pour s’intégrer et se faire repérer. Elle devient correctrice de scripts pour son mentor DeMille tout en restant petite main dans les coulisses des plateaux. Au cours du tournage de The King of Kings elle rencontre l’acteur Franck O’Connor. Le charme opère immédiatement : elle l’épouse en 1929 et obtient de ce fait la nationalité américaine en 1931. C’est à cette période qu’elle change de nom et prend un pseudo : Ayn Rand est née.
La carrière dans le cinéma appelle Ayn en Californie. Elle gagne avec son époux Hollywood au début de la décennie 1930 et y poursuit sa tâche de correctrice. Désormais une nouvelle étape est engagée : elle écrit ses propres scénarios et pièces de théâtre, bien décidée à embrasser la carrière d’auteure à succès reconnue de la profession. Les débuts sont difficiles, le Black Thursday se fait encore lourdement sentir et le couple peine à se maintenir financièrement. Pour autant le premier scénario d’Ayn s’apprête à être acheté par les studios Universal : Red Pawn.
Red Pawn est une oeuvre profondément personnelle, où transparaissent déjà tous les traits d’écriture de l’auteure et les thématiques randiennes. C’est l’histoire d’un triangle amoureux, sur fond de dictature qui s’installe. L’analogie avec l’Union Soviétique saute aux yeux : il faut dire que Ayn n’a pas la finesse d’écriture d’un Arthur Koestler. Nous suivons Joan Harding qui infiltre l’île de Strastnoy pour libérer son mari, détenu dans une prison politique. Elle se fera passer pour cela pour la nouvelle épouse du maître des lieux, le commandant Kareyev, attribuée par l’Etat qui contrôle toutes les sphères de l’existence humaine, y compris les coeurs et les lits.
Régulièrement annoncé puis repoussé, Red Pawn ne verra finalement jamais le jour sur les écrans américains : la sympathie pour les idées communistes étant de plus en plus forte dans les milieux intellectuels et à Hollywood au cours des années 1930. Mais qu’importe, Ayn Rand a déjà porté son attention sur d’autres chantiers. Les premiers subsides obtenus de la vente de son scénario lui permettent de s’engager dans la rédaction à plein temps d’autres oeuvres, bien plus ambitieuses et romanesques. Il faudra attendre bien des décennies pour que des disciples randiens publient l’oeuvre sous la forme d’un roman graphique que l’on peut aisément retrouver sur le net.
Le projet plus ambitieux qui occupe déjà le temps d’Ayn c’est son roman quasi autobiographique : We the living. Bien qu’achevé en 1933, Ayn peine à trouver un éditeur pour le faire paraître et devra attendre pour cela 1936. Malgré ses efforts l’ouvrage reçoit un accueil plus que mitigé, pour les mêmes raisons que Red Pawn : la critique du régime soviétique ne sied guère au monde intellectuel américain de l’époque.
Tombé dans l’oubli, redécouvert tardivement, ce roman personnel, le dernier de l’auteure, connaitra néanmoins un parcours atypique en étant la première oeuvre d’Ayn adaptée au cinéma, en 1942, par les studios…fascistes italiens, trop heureux de tenir là une oeuvre farouchement anti-communiste au moment où les troupes italiennes du général Italo Gariboldi se faisaient décimer sur les bords de la Volga !
Les années qui suivent sont plus laborieuses pour Ayn, qui peine à imposer ses thématiques littéraires et ses opinions politiques et philosophiques, de plus en plus affirmées. Le choix est clair pour elle désormais : sa prochaine grande oeuvre (si tant est qu’elle soit publiée !) sera davantage philosophique que vaguement biographique. Certes il faut gagner sa vie, et Rand ne manque pas d’inspiration pour mettre au jour de nouvelles oeuvres toujours promptes à dénoncer le collectivisme sous toutes ses formes. Citons à cet effet le roman Anthem (Hymne dans la traduction française) qui est un roman dystopique dépeignant une société où le collectivisme a triomphé et où toute individualité a disparu, jusqu’au pronom « je » (une référence qui prend tout son sens dans la dénonciation à peine déguisée des thèses « socialisantes » du président démocrate Roosevelt et son New Deal auquel elle préfère le candidat démocrate, puis républicain Wendell Willkie).
Ayn Rand n’a plus le vent en poupe cependant : elle fait publier son ouvrage au Royaume-Uni en 1938 et devra attendre 1946 pour une parution aux Etats-Unis d’Amérique. Entre-temps le long travail de sept années sur son premier chef d’oeuvre avait payé : The Fountainhead était paru en 1943.
II. Les oeuvres capitales : The fountainhead et Atlas Shrugged
Si la carrière littéraire et philosophique d’Ayn Rand n’était pas brillante jusqu’aux années 1940, tout change avec la parution en 1943 de The fountainhead (la Source Vive dans la langue de Molière). Oeuvre fleuve (près de 800 pages), l’ouvrage d’Ayn Rand pose les bases de ses principes philosophiques et de ce que l’on appellera plus tard l’objectivisme. Le génie de l’auteure fut de privilégier, à l’inverse de la plupart des écrits philosophiques, la forme du roman pour véhiculer ses idées.
Mais que narre la Source Vive ? La rencontre et les parcours de deux hommes architectes, amis et rivaux permanents : Peter Keating, un étudiant dévoré par une ambition et le besoin de reconnaissance sociale, mais dépourvu d’un réel talent et obéissant aux dictats de société. Il vit dans le regard de l’Autre, s’exprime par l’Autre, dépend de l’Autre. « Nous » domine « Je ». En contrepoint Howard Roark, génialissime architecte, vivant passionnément son art dans lequel s’exprime sa conception de l’existence, mais n’acceptant aucun compromis ou regard extérieur. Sa force créatrice et démiurgique est imperméable au poids de la société. Il est sa propre force, sa propre source. Pour le meilleur et le pire.
Ayn Rand atteint la maturité littéraire avec ce roman, qui impose son style fleuve et les archétypes romanesques qui suivront dans ses autres productions : l’homme seul et maitre de son destin, détestable aux premières lignes, mais se révélant, par son génie, sa droiture et en miroir de la veulerie de ses contemporains, comme le personnage le plus moral et éthique, vivant pour lui et par lui, égoïste rationnel. Ayn Rand flatte ainsi les principes philosophiques au coeur même de la naissance de la nation américaine : the land of opportunities. L’architecte d’aujourd’hui répond, en écho, au cow boy du XIXème, aspirant à la liberté et vivre comme il l’entend, maitre de sa vie et de son destin.
La construction est simple, voire simpliste, mais fonctionne et résonne dans une décennie où les Etats-Unis d’Amérique accèdent définitivement au rang de leader du monde libre et « phare civilisationnel » de l’Occident. L’Amérique, hier comme aujourd’hui, aime quand on parle d’elle et que l’on flatte son imaginaire. Ayn Rand, avec le zèle de la convertie, embrasse pleinement cet univers et en fait l’étendard de sa bataille idéologique, elle qui a compris le danger soviétique et entend lutter pied à pied contre les idées socialisantes.
The fountainhead est un immense succès de librairie : plusieurs millions d’ouvrages s’écoulent et Ayn Rand rentre pleinement dans le cénacle culturel américain. Riche et célèbre Ayn obtient la reconnaissance cinématographique avec l’achat et l’adaptation à Hollywood de la Source Vive en 1949. Et avec Gary Cooper dans le rôle principal s’il vous plait !
Les thématiques effleurées dans les 800 pages de la Source vive devaient être approfondies dans un roman d’une tout autre ambition. Ayn Rand voyait plus grand, plus grandiose, plus américain en somme. Elle s’attela sept ans à la rédaction de ce nouvel ouvrage. Ce roman dénoncerait l’emprise étatique sur la vie des êtres humains, et notamment des créateurs et des inventeurs de génie, comme Roark, qui entendent changer le monde et la société par leurs ambitions, leurs desseins, leurs rêves, qui ne doivent connaitre aucune limite si ce n’est la Raison. Que deviendrait la société sans ces êtres ambitieux qui portent, tel Atlas, le monde sur leurs épaules ? C’est le point de départ du roman phare de son oeuvre paru en 1957 : Atlas Shrugged (la Grève dans sa traduction française).
Point d’architecte dans ce roman fleuve. Sur près de 1500 pages le lecteur est amené à suivre le parcours de Dagny Taggart, occupant le poste de vice présidente de la compagnie familiale Taggart Transcontinental que son frère dirige. Devant les très mauvais choix opéré par ce dernier dans la conduite des affaires de la compagnie, alors que la société s’enfonce dans une crise économique renforcée par la main mise de plus en plus grande de l’Etat sur les fleurons industriels, Dagny se lance dans une course pour découvrir l’identité d’un mystérieux John Galt, dont le nom est devenu une réponse courante aux questions insolubles et défis du temps.
Personnage mythique ? Blague de mauvais goût pour passer le temps dans un univers morne et sans éclat ? Rien de tout cela : John Galt n’est qu’un entrepreneur comme les autres, mais qui a pris conscience de la main mise grandissante des médiocres et des forces collectives sur le génie individuel et qui a décidé de se mettre en grève de ce monde, appelant les êtres brillants et visionnaires à le suivre dans une utopie (Atlantis) dans le désert du Colorado pour mener la société à sa ruine et mettre fin à l’ordre des choses.
La Grève est le plus grand succès d’Ayn Rand, et l’on comprend pourquoi. Il est celui qui pousse le plus loin les principes de l’auteure, qui entend en faire la base de sa théorie philosophique objectiviste. Le roman se termine d’ailleurs par un immense monologue de John Galt, prenant la parole à la radio, pour y exposer son plan et ses conceptions philosophiques et morales. Celles d’un homme qui n’entend être guidé par rien d’autre que son intérêt et sa progression, empruntant en cela un peu du surhomme nietzschéen Ayn Rand n’ayant d’ailleurs jamais caché son admiration pour la pensée et les écrits du philosophe allemand.
La Grève est un roman exigeant, long, mais qui absorbe et marque profondément ses lecteurs par sa radicalité et le jusqu’au boutisme de ses personnages principaux, à l’image de John Galt, l’idéal de l’homme objectiviste et randien, dont Ayn n’aura de cesse de s’identifier personnellement, tout en déplorant ne jamais parvenir à atteindre son idéal. Celui d’un homme qui a su se débarrasser de l’altruisme pour embrasser la stricte liberté de l’être égoïste, c’est à dire indépendant.
La Grève apporte le succès définitif et l’aisance financière dont pourra jouir Ayn Rand jusqu’à la fin de ses jours. Elle se consacrera désormais à la mise en forme théorique de ses théories philosophiques et à l’engagement politique plus concret, notamment en faveur de la défense des idéaux américains, en pleine période de MacCarthysme et de traque des influences socialistes à Hollywood et dans les productions culturelles américaines. Auteure d’un guide pour les scénaristes afin de combattre au mieux l’influence socialiste Plus de John Galt et moins de Georges Bailey en somme elle sera une membre particulièrement active de la Motion Picture Alliance for the Preservation of the American Ideals et témoignera devant la Commission sur les activités anti-américaines dans l’affaire des Dix d’Hollywood.
Les idées développées dans ses deux principales oeuvres sont structurées au sein d’une philosophie qu’elle nomme objectivisme. Système philosophique total, dont elle développera les concepts épistémologiques, métaphysiques ou encore éthiques dans de nombreuses interviews papier ou télévisées, ainsi que dans des ouvrages plus théoriques comme la Vertu d’égoïsme, Ayn Rand fonde sa philosophie sur un objectif simple : le bonheur individuel est le but de tout existence et ne peut être obtenu qu’à travers l’analyse objective de la réalité, qui nécessite l’abandon de toute métaphysique ou croyance au profit de la seule Raison comme moyen de parvenir à l’indépendance de l’individu qui ne doit vivre que par lui : c’est l’égoïsme rationnel, celui de l’être qui n’attend pas du regard d’autrui la justification qui lui permettra d’accéder au bonheur.
Peu seront ceux qui liront les écrits théoriques d’Ayn Rand finalement, l’essentiel étant contenu dans ses romans qui comportent le coeur de son message philosophique. Pour autant elle continuera jusqu’à la fin de sa vie à développer ses idées, laissant le soin à ses disciples de poursuivre le travail.
Le style de vie d’Ayn Rand finira par la rattraper. Grande fumeuse, elle est soignée d’un cancer du poumon dans les années 1970. Sa santé ne fera alors que décliner progressivement. Elle décède d’insuffisance cardiaque en 1982. Comble de l’ironie : celle qui avait toute sa vie fustigée les idées socialisantes, et notamment l’existence même d’une couverture médicale publique, y aura recours par un nom d’emprunt pour soulager les lourds frais médicaux vers la fin de sa vie…
III. Une référence culturelle majeure
L’influence d’Ayn Rand a largement perduré au delà de sa mort. L’on peut dire que sa pensée et ses oeuvres sont entrées dans l’imaginaire collectif, au point de devenir une référence pop incontournable.
Son influence perdure au travers des disciples qu’elle avait pu réunir au cours de sa vie et des associations créées autour de la diffusion de sa philosophie et de ses idéaux. Sur ce marché deux organismes rivaux sont en lutte : l’Ayn Rand Institute de son légataire universel Léonard Peikoff, et l’organisme dissident Atlas Society. Deux institutions pour un seul et même but : convertir le monde à l’objectivisme. L’AS sur ce point opère un net virage stratégique, abandonnant la cible intellectuelle et universitaire de l’ARI au profit d’un discours bien plus marketing et tendance. Ayn Rand n’est pas une simple idée mais aussi une marque, qui se décline dans des livres mais également sur des caleçons et des bikinis.
Promotion des idéaux de liberté et d’indépendance absolue de l’individu contre toute forme d’organisation collective, et en premier lieu l’Etat, défense de la libre entreprise, du marché et du laissez-faire capitaliste, glorification de l’entreprenariat et de l’enrichissement personnel : Ayn Rand présente toutes les caractéristiques nécessaires à une récupération et assimilation par les milieux politiques républicains et conservateurs.
Même si l’influence qu’elle pu avoir sur le cours des élections présidentielles de 1980 est plus que négligeable, Ayn Rand ayant refusé de soutenir le candidat républicain, bien trop attaché à la droite chrétienne selon elle, force est de constater que la révolution néo-libérale impulsée par l’arrivée à la Maison Blanche de Ronald Reagan participe à sa victoire culturelle.
La décennie 80 est celle à la gloire du self made man, du retour aux valeurs américaines traditionnelles et conservatrices, exaltant l’individu face au groupe, l’âge des films de la Cannon, du héros reaganien qui s’élève contre le monde et le Destin et règle les questions géopolitiques de… manière expéditive.
Certes l’archétype héroïque randien ne va si loin dans les excès, mais la libération culturelle de la décennie emprunte beaucoup aux caractéristiques de ses romans, en les poussant dans ses plus profonds retranchements, au point de tomber dans la contradiction totale (les rednecks de la Bible Belt reprenant les slogans d’une russe profondément athée) voire dans le nanar le plus complet ! Les œuvres d’Hollywood et des séries B ne s’embarrassent pas de considérations artistiques poussées, tant que le message reste clair et intelligible pour le plus grand nombre.
Tombés en désuétude dans la décennie 90, avec la chute de l’URSS et la fin de la Guerre Froide et de la peur du rouge, les idéaux néo-conservateurs reviennent au cours de la décennie 2010 sur le devant de la scène. La montée politique du Tea Party, vaste nébuleuse regroupant des militants de divers horizons (ultra-conservateurs, libertariens, libéraux etc.), constitue un renouveau idéologique revendiquant en partie des idées d’Ayn Rand. Il est ainsi intéressant de noter la présence systématique aux primaires républicaines, depuis 2008, d’un candidat libertarien fortement influencé par les idées randiennes.
Ce renouveau conservateur s’accompagne du développement, dans de nombreuses productions culturelles contemporaines, de référence à Ayn Rand. Le plus souvent pour railler le dogmatisme des objectivistes et partisans randiens, jargonnant des heures sur les écrits de leur gourou à partir de concepts fumeux, inopérants et profondément inhumains. Dans ce domaine South Park ne manque pas de sel pour tourner en ridicule les thèses randiennes via l’officier Barbrady.
Autre production télévisée largement connue et diffusée, les Simpsons font régulièrement référence aux écrits et thèses randiennes dans les nombreux épisodes que compte la série. Le plus souvent au travers de la pauvre Maggie, victime des thèses randiennes dès l’école maternelle, sur fond de Grande Evasion et de référence directe à Fountainhead.
Les troupes d’improvisation et groupes d’humoristes n’hésiteront pas également à s’en prendre aux côtés réactionnaires et profondément décalés des thèses randiennes au XXIème siècle, notamment dans la très progressiste et démocrate Californie ! Cela sera le cas de la troupe Funny or Die de Los Angeles dans un sketch fameux de 2012 : Ayn Bran.
Au delà de l’humour et de la raillerie, les écrits d’Ayn Rand font des apparitions plus ou moins brèves dans les principales productions télévisées des quinze dernières années. De simple caméo dans Mad Men à ouvrage au premier plan dans Lost où Sawyer, un des personnages centraux de la série, fait de Fountainhead son livre de chevet. Il n’est pas étonnant que l’homme apparaisse d’abord sous un jour très antipathique, en marge du collectif et entendant survivre par lui-même, voyant la jungle comme une épreuve visant à démontrer la capacité de chaque individu à survivre.
L’influence randienne gagne tous les supports culturels : nous retrouvons sa pâte et son imaginaire dans les productions vidéo-culturelles. A ce titre nous pouvons citer la géniale série des jeux Bioshock, et notamment le premier épisode scénarisé par Ken Levine. Celui-ci nous plonge dans la peau de Jack, survivant d’un crash d’avion et découvrant par hasard, en plein milieu de l’océan, la ville sous marine de Rapture appartenant au milliardaire Andrew Ryan, originaire de Russie et ayant fui la prise de pouvoir des bolcheviks avant de faire fortune dans l’acier dans les années 1930 et de créer cette ville coupée du monde où se réunissent les êtres les plus géniaux de la société. Guidé par la voix d’Atlas Jack devra découvrir le secret de la cité et s’en sortir.
La trame narrative reprend très largement les grandes étapes du roman Atlas Shrugged. Ryan est Rand, jusque dans leurs noms, extrêmement proches. Il est aussi John Galt, désireux de vivre au delà des règles de la société et du collectif. Il est Rearden également, inventeur d’un acier révolutionnaire dans la Grève. Ayn Rand a marqué son temps et les créations vidéoludiques récentes se font encore l’écho de ses écrits et idées.
Nous venons de le voir assez longuement, l’influence d’Ayn Rand semble être avant tout marquée dans le camp républicain et conservateur de la société américaine. Pour autant nous aurions tort de ranger dans cette case assez simpliste la pensée randienne et son influence. Car Ayn Rand est tout à la fois gourou des militants du Tea Party que des entrepreneurs et startupeurs de la Silicon Valley.
Ayn Rand, papesse des progressistes américains ?!… tout au moins une grande source d’inspiration !
Et cela n’est pas si récent. A vrai dire l’inspiration culturelle de la dame s’est d’abord fait sentir dans les milieux politiques et culturels progressistes et les cercles randiens se sont structurés autour de ces questions, notamment sur les questions raciales, si importantes aux Etats-Unis d’Amérique. Ayn Rand est une individualiste absolue.
A ce titre elle publiera, au cours de la décennie 1960, une série de textes où elle affirme sa position intellectuelle : si elle qualifie le racisme comme étant la forme « la plus primitive du collectivisme » au sens où il constitue une négation totale de l’individu au profit d’un collectif (ici la race), elle rejette les politiques de quotas et de discriminations positives, y voyant des contraintes étatiques sur des questions éminemment morales et donc individuelles Elle préfère aux politiques publiques des actions privées coordonnées, du type boycott. Les écrits de Rand auront un écho dans la jeunesse libérale de son temps, et notamment chez de jeunes auteurs de SF comme Gene Roddenberry.
Ce nom ne vous dira certainement pas grand chose, mais il s’agit du père et du scénariste de la mythique série Star Trek. Bijou télévisuel et prouesse technique pour son temps, Star Trek sera également une série au discours fortement politique, notamment sur la question raciale. Lecteur assidu de Rand, Roddenberry insistera pour faire de sa série une plateforme politique. C’est dans celle-ci que le premier baiser interracial sera diffusé à la télévision en 1968, quelques temps seulement après l’adoption du Civil Rights Act, au moment même où plusieurs Etats du Sud maintenaient des politiques discriminatoires. Le baiser du lieutenant Uhura et du capitaine Kirk choquera fortement mais fera avancer les consciences, et Ayn Rand y sera pour quelque chose.
Depuis les idées de Rand ont continué d’influer les campus, où elle sera accueilli, jusque dans les années 70, comme une véritable déesse et aussi le monde fermé des innovateurs, soucieux d’associer liberté individuelle et laissez-faire capitaliste. Le monde tech de la Silicon, et les grandes entreprises du milieu, majoritairement démocrates, entendent de plus en plus faire peser leurs idées sur la politique du pays. Avec les ambitions, un temps évoquées, de Mark Zuckerberg pour la Maison Blanche, il faudra compter de plus en plus avec cette frange des « disciples » randiens, à gauche de l’échiquier politique américain.
IV. Ayn Rand pour tous
Au final que dire de l’influence d’Ayn Rand dans le monde culturel et intellectuel américain ? Ayn Rand aura été un électron libre tout au court de sa vie, et le demeure dans sa postérité et son influence contemporaine. Du Tea Party à la Silicon Valley, tous viennent s’inspirer de la dame russe. Celle qui avait privilégié le format du roman ne s’étonnerait pas de voir que c’est par la pop culture essentiellement que son discours continue d’infuser dans le pays, au point d’être l’auteure la plus influente.
La Russie sera t’elle la prochaine étape ? A l’heure de l’attaque du locataire du Kremlin sur le territoire ukrainien cela serait une brillante idée !
Quelques ressources en français sur Ayn Rand
Présentation par la chaîne Kosmos de la philosophie d’Ayn Rand
Analyse de la vidéo de la chaîne Kosmos par un objectiviste français