Sébastien Abis, directeur du Club DEMETER, « écosystème associatif » sur les questions agricoles et alimentaires.Thierry Pouch, économiste, chef du service des études économiques de l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture à Paris, chercheur associé au laboratoire REGARDS de l’Université de Reims Champagne Ardenne. qui intervient régulièrement sur France Culture : Le pouvoir des multinationales (4/4) : Inde, Brésil, Russie : les multinationales au cœur de l’émergence, Culture monde LE 23/11/2017, Asphyxie des prix agricoles : qui a les clés ?, Dimanche, et après ?, le 03/09/2017, Alimentation, avons-nous les mêmes valeurs ?, Du Grain à moudre d’été, le 19/07/2017, Chine. Quelle politique agricole et alimentaire pour 1,4 milliard d’habitants ?, Les Enjeux internationaux, LE 22/03/2017, Agriculture : le retour des paysans ? Dimanche, et après ? LE 26/02/2017,
et notamment il y a un peu plus d’un an dans l’émission Les Enjeux internationaux à propos des relations États-Unis-Europe. Le sort du traité de libre-échange transatlantique LE 19/10/2016
Bernard Valluis, agronome, Président Délégué de l’Association nationale de la meunerie française (ANMF).
Bernard Valluis ouvre cette table ronde pour présenter l’histoire de la domination économique de l’agriculture américaine.
L’agriculture a été l’instrument économique et stratégique de la puissance des États-Unis depuis le New Deal, politique renforcée par le Plan Marshall et l’aide au Japon dans l’après-guerre. Cette politique d’aide alimentaire a conduit à une modification, notamment au Japon, des habitudes alimentaires et fait du pays un importateur de blé en remplacement du riz. Les États-Unis ont ainsi à partir de l’aide alimentaire assis leur domination sur le commerce mondial des produits agricoles. Avec la « loi publique 480 » définissant l’aide alimentaire s’est mise en place ce que l’on nomme l’ « arme alimentaire » utilisée contre Cuba mais aussi contre l’URSS (embargo de 1972).
La montée de pays émergents, Chine, Brésil et Russie, remet en cause à la fin du XXe siècle la place des USA.
En quelques chiffres, Bernard Valluis dresse une carte d’identité de l’agriculture américaine : une surface agricole de 409 M hectares soit 14 fois la surface française ; plus de 2 millions d’exploitations agricoles dont 820 000 sont des entreprises ; 6 millions de foyers dépendent de l’agriculture. L’agriculture est fortement soutenue par l’état soit directement soit à travers le programme d’aide aux plus démunis
Enfin, l’agriculture est le seul secteur où la balance des échanges est excédentaire : 140 milliards de dollars au 1er rang mondial.
C’est une agriculture très diversifiée mais dominée par 4 grands matières premières : blé, maïs, soja, coton sans oublier le riz (5ème exportateur mondial).-De gros rendements en maïs et soja, alors la culture du blé est plus extensive 25 à 30 q/ha -France : 75q/ha.
En matière de blé qui a été au cœur de l’ « arme alimentaire », son rôle géopolitique est aujourd’hui dépassé export : 25M de t = Europe, Russie : 37,5 m de t
Si les États-Unis sont encore au premier rang pour le maïs export US = 56Mde t, Brésil= 35Mt et le soja 1er exportateur mondial : Brésil pour les grains et Argentine pour les tourteaux et les huiles, la concurrence des pays d’Amérique latine est très forte.
On assiste au XXIe siècle à une remise en cause de la puissance étatsunienne. D’autre par, c’est une agriculture très largement subventionnée par une politique agricole très active: subventions directes à la production (farm deal) qui évoluent sous la pression du GATT puis de l’OMC vers un cofinancement du régime assurantiel (5 milliards de dollars – assurance contre les difficultés climatiques, contre les variations de cours) et surtout (80%) à travers les bons alimentaires aux plus démunis.Thierry Pouch revient sur certains points de l’exposé : vers un déclin de la puissance américaine parallèlement à une perte d’hégémonie générale.
Il propose quelques repères historiques. La puissance agricole s’est affirmée dans la seconde moitié du XIXe siècle avec des exportations vers l’Europe et surtout l’Angleterre, la France et l’Allemagne ayant pris des mesures de protection (lois Méline).
La crise de 29 a ruiné le secteur agricole mais le New Deal a eu un important volet agricole dont les principes demeurent durant tout le XXe siècle : l’outil agricole comme élément de la puissance hégémonique. Les exportations vers l’Europe de l’Ouest permettent à la balance des échanges d’être excédentaire à partir des années 60.
L’intervenant définit le « food power » à propos de l’URSS qui importe des céréales, à propos du Moyen Orient et plus généralement des pays du « tiers monde » grâce à l’aide alimentaire.
Mais cette puissance est contestée dans les années 70 par l’Europe grâce à la PAC politique acceptée par les USA en échange de l’accord sur les oléoprotéagineux qui expliquent l’essor de la culture du soja : autoproduction puis exportations européennes favorisées par les embargos décidés par les États-Unis (URSS, Cuba). La concurrence UE-USA dans les années 80 inscrit l’agriculture à l’ordre du jour des négociations du GATT, et si l’Europe s’ouvre aux importations, les États-Unis sont désormais concurrencés par de nouveaux producteurs : Brésil, Argentine, Canada, Australie. 40% des exportations américaines se dirigent vers l’Asie.
Après 1990, une nouvelle géo-économie se dessine; l’UE devance les USA en matière d’exportations qui connaissent comme la Francequi est passée du 2e au 5e rang mondial une érosion de ses performances commerciales. Les négociations agricoles dans le cadre de l’OMC n’ont toujours pas abouti en 17 ans. D’autant que les pays importateurs cherchent à diversifier leurs fournisseurs. Les
États-Unis cherchent à maintenir leur excédent commercial même s’il est en baisse malgré les plaintes à l’OMC du fait des aides d’état aux assurances par exemple pour le coton.
L’intervenant évoque le TAFTA (en sommeil) et rappelle que les échanges avec l’Europe sont déficitaires. Il cite les inquiétudes liées à la politique protectionniste de Trump.
Sébastien Abis rappelle en introduction de son propos sur la Californievoir sur cet état : l’article de Géoconfluences : Les paradoxes de la puissance californienne que le « food power » c’est bien sûr l’agriculture mais aussi le modèle alimentaire : jouer sur l’alimentation pour créer des alliances. Coca cola, Heinz, Kraft, Mac Do participent au « food power » y compris en transformant sur le sol américain des produits agricoles importés.
La Californie est un grand état son PIB au 10e rang mondial = celui de l’Inde, il représente 15% du PIB des USA et un grand état agricole :15% du PIB agricole des États-Unis et 20% des exportations.
Les atouts : le climat méditerranéen, le mythe mobilisateur et innovant.
En quelques produits clés : les fruits et légumes = 97% production, le lait = premier état laitier sur de grandes exploitations, les amandes = 80% de la production mondiale une culture qui concerne plus de 5000 personnes avec des effets environnementaux forts, le vin deux vallées Napa et Sonoma, un grand investisseur Henri Ford Coppola
20 à 25 % de la production est exportée vers le Canada et la Chine notamment par le port d’Oakland.
La dimension sociale de cette agriculture n’est pas à négliger. Elle repose sur le travail précaire et les migrants40% de la population de l’état est hispanique.
Retour sur le climat : un climat unique aux USA, le climat méditerranéen mais avec un important problème de disponibilité en eau qui va s’accentuer et fragilise l’agriculture (sécheresse 2012-2015), des incendies qui détruisent des exploitations. Cette situation explique la recherche de solutions technologiques en lien avec la « silicon valley » : énergies renouvelables (en opposition avec Donald Trump), robotisation pour la main-d’œuvre et surtout utilisation des données des GAFAM GAFA désigne Google, Apple, Facebook, Amazon pour une mécanisation de précision (précision au m2, tracteur guidé par GPS…), pour la gestion de l’irrigation, pour l’évaluation des risques en matière de ravageurs mais aussi en ce qui concerne l’alimentation de demain : nouveau régime « vegan » par exemple et nouvelles formes de commercialisation (Amazon qui rachète Whole Foods). Ces évolutions sont portées par l’idée de leur exportation partout dans le monde où on retrouve la notion de « food power ».
Sébastien Abis souligne un paradoxe : une recherche de naturalité mais une production et une commercialisation pleines d’algorithmes.Il insiste sur la « culture californienne » de l’innovation : essayer, échouer pour aller vers le futur et le lien avec la société du spectacle. Il montre aussi les liens entre recherche sur l’intelligence artificielle et la santé (manger sur mesure).
Il aborde ensuite la question des investissements fonciers suivis au niveau international par « Land matrix » voir deux articles http://www.landmatrix.org/en/ https://www.cirad.fr/actualites/toutes-les-actualites/communiques-de-presse/2013/land-matrix et [http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/04/27/la-course-aux-terres-ne-profite-pas-aux-pays-du-sud_1692292_3244.html->http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/04/27/la-course-aux-terres-ne-profite-pas-aux-pays-du-sud_1692292_3244.html]
Si la Chine est le premier acheteur de terres, les USA sont au second rang et les états comme les paysanneries se mobilisent.
La possession du sol est importante, mais il ne faut pas oublier les investissements dans les équipements comme le montre la politique de la Chine de contrôle des ports pour sécuriser l’acheminement de son alimentation.
Une table ronde riche d’informations.
la table ronde est à retrouver ici