Conférence de Philippe Mezzasalma , chef de service de la presse de la B.N.F.
Blois, vendredi 12 octobre 2018.
- Introduction
Ph. Mezzasalma rappelle en préambule que le terrain des représentations de la déportation a été amplement défriché depuis 20 ans et il se propose dans cette conférence de s’intéresser aux images des camps et des déportés, essentiellement des photos, qui ont été publiées dans les journaux français à la Libération.
Quelles images des camps et des déportés ont-elles été montrées par la presse dans ces photos?
- 1. Jusqu’au printemps 45, des camps et des déportés, mais peu d’images...
Ph. Mezzasalma rappelle qu’avant 1945, très peu d’images des camps avaient été diffusées dans les journaux français. Le magazine “Vu” avait publié dès 1933 des photos du camp de Dachau prises par des reporters français, dans le contexte de l’instauration du régime nazi. Ensuite, les photos qui ont pu circuler étaient essentiellement celles prises par les S.S, images qui sont reprises dans la presse française pendant la “drôle de guerre”. Ensuite, pendant l’Ocupation, fort peu de choses, cela va de soi, à part quelques images publiées par le journal clandestin “défense de la France” qui reproduit en septembre 1943 des photos prises clandestinement par des prisonniers.
Les premiers mois de la Libération, jusqu’en janvier 1945, correspondant à la libération des premiers camps de concentration donnent lieu à des articles mais à fort peu d’images, ce que le conférencier explique par plusieurs facteurs. Le premier camp libéré est celui de Maidanek par les soviétiques pendant l’été 44, mais ceux-ci n’en diffusent pas d’images. En novembre 1944, le camp du Struthof en Alsace est libéré, mais il est déjà vide à ce moment là et cela donne lieu à des articles mais sans images. Ainsi, dans l’article de L’Humanité du 7 décembre 1944 qui traite du camp du Struthof, les images d’illustration n’en proviennent pas. Même chose à la libération d’Auschwitz relatée par le périodique “Femmes françaises” dans un article du 15 février 45, mais dont les photos n’ont rien à voir avec ce camp…
La presse à la Libération est une presse nouvelle issue à 80% de la Résistance. Mais celle-ci est soumise à la pénurie de papier. Très lue, elle est souvent tirée sur deux pages, ce qui laisse relativement peu de place aux photos et autres illustrations. Enfin, il semblerait que le ministère des déportés et prisonniers créé à la Libération ait disposé d’informations fiables sur la réalité des camps mais ait tenté d’en limiter et d’en contrôler la diffusion pour ne pas créer un sentiment de panique parmi les dizaines de milliers de familles sans nouvelles de leurs proches, déportés.
- 2. Avril 1945: la découverte de l’horreur des camps en images…
C’est à partir d’avril 1945 que les images font une intrusion massive dans la presse française et participent ainsi à la découverte de l’horreur des camps par le grand public, contribuant à fixer durablement la réprésentation des camps et des déportés chez les contemporains. Ce changement dans le traitement par l’image du phénomène concentrationnaire est, bien sûr, lié à la découverte des camps par les troupes américaines et par la décision prise d’en fixer le souvenir sur la pellicule photographique et cinématographique. Les photos qui ont été publiées dans les mois qui suivent sont donc pour l’essentiel des photos prises par les reporters américains. Ce sont des images très violentes qui accompagent des reportages sur l’horreur des camps: corps décharnés, uniformes rayés, charniers… Ces images s’entrechoquent avec celles des images filmées à Bergen-Belsen. Selon le conférencier, par leur violence, ces images auraient produit deux effets: alimenter une volonté de vengeance et de châtiment dans le contexte de l’épuration; atténuer la spécificité du génocide des juifs, puisqu”elle conduisait à assimiler tout camp à un camp d’extermination. Les reportages sur l’univers concentrationnaire sont fréquents, mais les photos qui les accompagnent sont souvent issus de camps divers, telles celles du reportage sur Mauthausen du magazine “ Regards” du 1er juillet 1945.
De septembre 1945 à janvier 1947, les photos publiés sur les camps sont plutôt des photos prises lors des procès ( Nuremberg).
- 3. Quelles images des femmes déportées?
Dans l’ensemble, les photos de femmes déportées sont peu nombreuses. A la mi-avril 45, un convoi de 300 rescapées de Ravensbruck arrive à Paris, ce qui donne lieu à la publication de quelques photos. La presse communiste s’y intéresse un peu plus, car parmi les femmes libérés figurent quelques membres du parti. Ensuite, fin avril 1945, arrivent des hommes déportés politiques et des personnalités qui retiennent l’attention des journaux. Les images des femmes disparaissent alors à peu près complètement dans la presse.
- Conclusion
Ph. Mezzasalma avait pour objet de présenter une synthèse, non exhaustive, des acquis de la recherche sur le sujet. De fait, cette conférence fut instructive et bien illustrée. Il termine la conférence en rappelant qu’il conviendrait de poursuivre la recherche sur la presse régionale, en particulier sur celle des régions de l’est qui furent annexées par L’Allemagne. Il tient à souligner qu’il n’a pas abordé le rôle joué par le dessin qui constitue, selon lui, d’excellents témoignages sur la déportation.