Intervenants :
– Pierre Papet, professeur agrégé d’Histoire-Géographie ;
– Sophie Bachmann, chargée de développement et d’action culturelle à l’INA ;
– J-P Roux, professeur agrégé d’Histoire-Géographie.
Introduction :
Le mort-vivant est celui qui n’est plus vivant car gravement blessé (physiquement et psychologiquement). Comment les morts accompagnent les vivants ?
Mais pourquoi choisir 1923 en date finale ? Il s’agit du dernier traité de paix en Europe (Le traité de Lausanne de 1923 est un traité de paix signé le 24 juillet 1923 au Palais de Rumine à Lausanne (Suisse)). Il remplace le traité de Sèvres signé le 10 août 1920 à Sèvres, qui mettait fin à la Grande Guerre en ce qui concerne l’Empire ottoman.). Ainsi la Première Guerre Mondiale est l’entrée dans l’ère de l’image de masse.
1) Méthodologie de décryptage de l’image de la Grande Guerre
On peut faire une recherche sur Lumni enseignement : on se connecte, on trouve des milliers de ressources (selon les niveaux). Questionner l’image, c’est le 1er travail de l’historien. À cette époque-là, le principal média est le journal.
Exemples :
- Une photographie de guerre : il s’agit de convaincre par l’image (fort outil de persuasion et manipulation). Les photos prises par les soldats sont interdites.
- Une du journal le Miroir 6 décembre 1914
Le premier travail à faire avec les élèves est d’étudier et faire une analyse critique d’un document iconographique.
Tous les grands cinéastes de l’époque vont sur les terrains avec les grands officiers de l’État-major pour montrer la barbarie allemande et capter les moments. La censure est partout et menée par l’État.
Exemple: Film muet de 41 secondes de 1915 (pour le début de la guerre de position).
Pour le travail sur une photographie, les sources sont le SPA (Section photographique de l’Armée). Jules Gervais Courtellemont est le spécialiste de la photographie couleur pendant la Première Guerre Mondiale.
Exemple :
- Attaque de l’éperon Notre-Dame de Lorette. Photo non réelle ? Il s’agit surtout d’une volonté de montrer la figure héroïque des soldats pendant une offensive.
- Esquisse de Fernand Léger « La partie de carte » 1917. Il est un des rares à réussir à représenter la guerre sans filtre. La Première Guerre Mondiale est une guerre totale et on y voit l’impact de la guerre aussi bien sur les vivants que sur les morts.
2) La représentation des vivants, un non sujet
On part du principe qu’il y a une exclusion des civils : non pas qu’ils ne soient pas importants mais parce que ce n’est pas la même iconographie. Ils jouent surtout un rôle central dans l’entre-deux guerres.
Les poilus pendant la guerre sont toujours représentés sous forme de héros. Malgré son absence, il est omniprésent grâce à l’image et héroïsé (propagande, carte postale).
- Lucien Simon Les permissionnaires en gare de Pont l’Abbé 1915: la guerre est presque absente là-dedans, presque une forme de normalité car on voit que la vie continue coûte que coûte.
On observe surtout une mise en scène des poilus sur les photographies (autochtrome) (photo datée du 14 juillet 1917) : scène de la vie quotidienne, combat, mise en avant des armes, drapeau. Le photographe veut mettre en avant un sentiment de normalité pendant la guerre.
Après la guerre, il y a une instrumentalisation et une culpabilisation des survivants avec l’érection des monuments aux morts.
- Un film montre le président du conseil René Poincaré qui inaugure un monument aux morts à Toul en 1923.
- Le tableau de Marcel Gromaire, La guerre, 1925.
Pendant les hostilités de 1914 à 1918, dans tous les pays belligérants, les peintres, comme la grande majorité des artistes et des intellectuels, mobilisés ou non, participent avec sincérité à la culture de guerre en produisant des œuvres plus ou moins patriotiques. Mais compte tenu de l’extrême brutalité du conflit, et surtout de sa durée conduisant à de cruelles désillusions, certains de ces peintres tentent de représenter ce qu’ils perçoivent de la réalité en modifiant leur style pictural.
La guerre moderne doit apparaître de manière moderne. Au milieu des années vingt les mouvements de remémoration et de célébration sont au cœur des préoccupations des artistes. Dans La Guerre, Marcel Gromaire a représenté cinq soldats casqués, engoncés dans des manteaux-cuirasses, dans une tranchée: trois attendent l’assaut éventuel ; les deux autres, observent le no man’s land par la fente d’une plaque d’acier. Avec des moyens plastiques proches du cubisme, il symbolise la lutte armée à l’échelle industrielle accomplie par des hommes-robots.
Ces derniers apparaissent comme figés, se confondant presque avec le paysage (seule la couleur bleu horizon de leur uniforme les distingue de la paroi de la tranchée) au point de ressembler à des blocs de pierre, des statues colossales aux formes arrondies (les équipements) et abruptes. Seules les mains ont gardé une apparence humaine.
Ainsi les artistes n’échappent pas à l’évolution globale de la perception de l’affrontement et de sa terrible violence. Le temps du réalisme héroïque, des allégories patriotiques et de l’exaltation guerrière du début du conflit laisse progressivement place à diverses tentatives pour rendre compte de la souffrance et de la mort. Gromaire a peint ce tableau sept ans après la fin de la guerre, avec la distance d’une vision rétrospective fondée sur sa propre expérience d’ancien combattant. Dès lors on voit bien, à travers cette œuvre de 1925, que le peintre est passé du consentement à la guerre au consentement à la célébration mémorielle.
3) La représentation des morts, une absence ?
Après la Première Guerre Mondiale, on va montrer la mort au travers des commémorations.
Pendant la Première Guerre Mondiale, l’image repose sur deux périodes :
- 1914-1919 : Documentaires patriotiques
- 1919-1923 : Représenter la mort.
On veut surtout montrer la capacité de soldats à faire face à la mort.
Exemple : « Paysage de tranchée et activité des soldats sur le front » 1915, CFA/INA.
On n’y voit pas la mort même si les soldats en ont fait leur quotidien : elle est omniprésente (la mort fait l’objet d’une censure). L’élève doit être attentif à l’image animée en raison de la propagande : cela leur fait acquérir une méthode.
Exemple : La mort de masse avec un exemple de cimetière du ravin de l’index, 1917. On ne voit pas la mort mais on la devine au travers des tombes très nombreuses (identifiés car ceux qui ne le sont pas, sont dans des ossuaires sans lieu pour leur rendre hommage. Ceci représente l’absence de la mort pour les vivants). Ainsi, les morts sont plus vivants que jamais grâce au souvenir. On les voit et on leur rend hommage. Ils font partie des premiers morts à se sacrifier au nom de la République.
Après la loi de 1920, beaucoup de familles vont demander à ce que les corps restent sur place pour rester avec leurs camarades.
Mais il est intéressant d’étudier les tombes côté allemand aussi. Félix Valloton a réalisé « Le cimetière militaire de Chalons sur Marne 1917 »
Et le silence des peintres ? « La mort devant la position de Tahure » Otto Dix (1924). Cycle de gravures issues de la guerre : le peintre insiste sur la souffrance des soldats et de la mort cruelle de la 1GM, la mort de masse, sans filtre.
4) La représentation des morts vivants, une mise en accusation ? Les survivants sont marqués par la guerre.
Exemple : photographies de Charles Lansiaux montrant un défilé du 14 juillet à Paris entre 1914 et 1918.
Nous avons aussi une archive filmée de la prothèse maxillo-faciale du docteur Pont à Lyon ( 1916). Cela fait partie du service de propagande de l’armée.
Il y a toute une campagne de représenter les mutilés de guerre pour montrer la réalité de la Première Guerre Mondiale.