Les expériences du fait français dans le Nouveau Monde échappent souvent à la mémoire, faute de s’inscrire dans le récit national majoritaire des pays concernés. Plusieurs cas l’illustrent, dont celui des francophones d’avant la conquête de l’Ouest.

Modération : Laurent VIDAL, Professeur à l’Université de La Rochelle. Intervenants : Gilles HAVARD, Directeur de recherche au CNRS, Bertrand VAN RUYMBEKE, Professeur à l’Université Paris 8 Vincennes -Saint-Denis, Laurent VIDAL, Professeur à l’Université de la Rochelle.

Laurent Vidal introduit cette table ronde à l’invitation de Gilles Havard pour un dialogue à propos de son ouvrage : L’Amérique fantôme1 et une invitation à partir à la recherche des traces évanescentes de la présence française dans la conquête de l’Amérique, une histoire de conquête mais surtout d’entrelacement culturel, de remontée vers l’intérieur du territoire, de remonter du fleuve pour découvrir autre chose, une histoire d’homme et même de masculinité. Ces hommes souvent analphabètes ont laissés peu de traces même s’ils furent des intermédiaires entre deux mondes, des « truchements ». Ils sont peu visibles dans les archives, de temps en temps certains brillent comme des lucioles qui éclairent une histoire qui les a rendus invisibles dans les mémoires. L’ouvrage de Gilles Havard est un vrai régal, il redonne vie à neuf de ces hommes dont il propose une biographie, un roman vrai et une justice qui leur est rendue.

Gilles Havard présente son livre L’Amérique fantôme. Il rappelle la trace francophone encore aujourd’hui chez les Amérindiens lors d’une rencontre à Fort Berthold  avec Alfred Junior Morsette     qui l’a poussé à entreprendre cette recherche, suite à ses précédents ouvrages Histoire des coureurs de bois, grand prix des Rendez-vous de Blois publié aux Indes savantes en 2016, Empire et métissages, Indiens et Français dans le Pays d’en Haut 1660-1715. Dans cette réserve indienne de Fort Berthold, mais aussi plus largement au Montana et au Dakota, de nombreux patronymes sont d’origine française, fruits d’un métissage avec les Indiens Arikara.

 

 

 

 

 

A droite Peter Beauchamp, fils de Pierre Beauchamp, à gauche, le chef Arikara

Photographie de Charles Milton Bell 1874

In L’Amérique fantôme, p. 485

 

 

A la fin du XIXe siècle le français était encore très parlée le long du Missouri. Dans la mémoire amérindienne la partie canadienne est gommée, souvent ils pensent que leur ancêtre est venu directement de France, c’est une image plus positive qu’un ancêtre québécois.

 

Le livre est le récit de la trajectoire de neuf Canadiens français dans l’Ouest des Etats-Unis comme le montre la plaque trouvée au Dakota du Sud en 1913 portant la date de 1743, ainsi commence l’histoire à reconstituer de l’expédition des frères La Verendrye.

Plaque de souveraineté retrouvée en 1913 (Cultural Heritage Center, Musée historique de Pierre – Dakota du Sud) reproduit in L’Amérique fantôme, p. 239-240

Au recto (texte en matin) « L’an 26 du règne de Louis XV. Pour le Roi, très illustre seigneur. par le Marquis de Beauharnois, 1741. Placé par Pierre Gaultier de Laverendrie », au verso Posé par le chevalyer de Lave. -tblt- Louy La Londette – Amiotte. Le 30 mars 1743

La couche de francité est perceptible dans les toponymes : Pierre, la capitale du Dakota, la ville de Provo en Utah, la rivière Plate ou le massif montagneux du Grand Téton et même l’adoption en anglais du terme de Prairie pour désigner cette région. Cette Amérique francophone a été recouverte par la mémoire étasunienne (voir par exemple le film « Danse avec les loups » le héros en 1863 est présenté comme comme le premier Blanc dans l’Ouest, la présence française et même espagnole pour le Sud est impensée + tabou du métissage).

Cette histoire est une histoire des marges géographiques mais aussi sociales. Les coureurs de bois sont minoritaires mais à la charnière entre deux civilisations, une altérité domestique, ce qui reste un chantier de recherche. Ils ont parcouru des espaces sous souveraineté indienne.

Gilles Havard présente quelques personnages :

– Toussaint Charbonneau, illettré qui a laissé peu de traces directes, interprète de l’expédition américaine de Lewis et Clarck à la recherche d’une route vers le Pacifique. Il est accompagné de son épouse amérindienne Sakakawea.

– Etienne Provost, une vie pendulaire de Provost entre la montagne pour le castor et de brefs séjours à Saint-Louis où jusqu’en 1840 les 3/4 des trappeurs sont francophones.

Il évoque l’indianisation des coureurs de bois notamment leur connaissance des langues indiennes et les conséquences de la colonisation : épidémie de variole en 1837 qui décime différents groupes amérindiens dans l’actuel Dakota du Nord.

Le second objectif de sa recherche : se concentrer sur des histoires de vie XVIe siècle jusque vers 1870, des individus qui peuvent être des cas limites comme le premier Pierre Gambie, truchement lors de la tentative de colonisation huguenote à l’initiative de Coligny (1562-1564) sur la côte de Floride, une forme de microhistoire.

Gravure de Théodore de Bry (1591) d’après un dessin de Jacques Le Moyne de Morgues.

La scène se passe en Floride, en avril 1565, Pierre Gambie va être assassiné par un Amérindien dans son canot.

Les sources utilisées sont présentées avec l’exemple de Nicolas Perrot2 et de Pierre-Esprit Radison, authentique écrivain. La plupart sont analphabètes et ne sont connus que par les récits de voyageurs naturalistes comme le prince allemand Maximilien de Wied-Neuwied ou Jean-Jacques Audubon ou par leur vie dissolue dénoncée par les Jésuites comme Etienne Brûlé.

L’exposé se termine par une photographie de 1942 qui montre au bord du fleuve la destruction du quartier français de Saint-Louis (Jefferson National Expansion Memorial Archives, V106-4838).

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Bertrand Van Ruymbeke3 expose la mémoire francophone en Floride et en Caroline du Sud.

Ce que l’on commémore, c’est la Floride huguenote (Jean Ribault prend possession de la Floride au nom du roi de France en 1562 et construit le bastion Charlesfort, en l’honneur du roi Charles IX. Un second fort est construit en Floride Fort caroline – Jacksonville.

Images Jacques Lemoyne/Théodore DeBry, crédit photographique: The Florida Center for Instructional Technology, University of South Florida source URL: http://fcit.usf.edu/florida/photos/native/lemoyne/lemoyne0/lemoy008.htm

Coligny voulait implanter dans le Sud de l’Amérique du Nord une colonie majoritairement peuplée de protestants, face aux Espagnols qui vont massacrer les derniers colons en 1565. Cette implantation est bien antérieure au May Flower (1620).

Une seconde vague de migration protestante a lieu après la révocation de l’édit de Nantes (1685), 500 personnes environ arrivent à Charleston, s’installent dans le « quartier français » et le long de la rivière Santee, sur les 3000 qui se répartissent entre New-York, Boston, La Virginie et la Caroline du Sud.

Cette mémoire vive se construit à la fin du XIXe siècle avec la création en 1883 de la société huguenote malgré l’abandon rapide de la langue française dès la deuxième génération. Vers 1920 quand les Hollandais se préparent à commémorer le troisième centenaire de New York le mouvement des descendants de « Wallons-Huguenots », proposèrent de choisir plutôt 1924, qui rappelait l’arrivée d’un groupe de Wallons-Huguenots à Manhattan en 1624. Des fouilles archéologiques sont entreprises sur le site de Charlesfort (Parris Island) dès 1917-1926 puis à partir de 1979 qui montrent que les vestiges sont plutôt espagnols.

Aujourd’hui le rappel de cette mémoire crée un courant touristique : « Eglise huguenote de Charleston »

Restauration de maison huguenotes comme The Joseph Manigault House restaurée dans les années 80. 

 

Cette mémoire a occulté d’autres mémoires francophones : les Acadiens, les planteurs de Saint-Domingue fuyant la révolte de 1804 (environ 5000 personnes se réfugient en Floride). La mémoire protestante est, en effet, assimilée à la mémoire puritaine et au mythe fondateur du May Flower, aux « first families » arrivées avant 1700 qui ont donné naissance aux familles de riches planteurs de Caroline et ont dominée cette société jusque vers 1860.

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Laurent Vidal traitent des Français au Brésil au XIXe siècle.

Dans le contexte des grandes migrations vers l’Amérique, les Français et les Francophones sont peu nombreux face aux millions d’Allemands, d’Italiens. Pourtant leur influence culturelle existe, le Brésil est une France antarctique : Coligny s’est intéresser au Brésil, Jacques Cartier en a longé les côtes. Le Brésil n’est pas isolé sur le continent franco-américain.

Le conférencier décrit quelques exemples tirés de son ouvrage : Ils ont rêvé d’un autre monde, publié aux éditions Flammarion en 2014.

En 1840, 500 migrants fondent au Brésil un phalanstère selon les théories de Charles Fourier. Pour la famille Boulay, c’est un échec mais on la retrouve, d’abord au Havre et en Indre-et-Loire, avant un nouveau départ vers le Texas toujours pour le phalanstère de « La Réunion », nouvel échec mais ses enfants joueront un rôle dans le développement de la ville de Dallas.

1876, le Consul du Brésil organise à New York le déplacement de 250 francophones (Canadiens, Alsaciens-Lorrains) vers l’Amazonie ? C’est également un échec, certains iront s’installer au Sud du pays. L’échec est attribué aux colons qui auraient été ensauvagés.

Il reste aujourd’hui une mémoire de cette présence française au Brésil, mise en valeur patrimoniale depuis les années 90.

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2  Il est connu grâce aux récits du père Charlevoix mais surtout de Bacqueville de la Potherie