Au moment où j’écris ces lignes, en ce début d’automne où l’été s’attarde sur mes terres languedociennes, je ressens un certain malaise 15 jours après la rentrée en métropole. Les allégements de programmes en terminales et en troisième, validés par le conseil supérieur de l’éducation ce 19 septembre seront probablement publiés jeudi au bulletin officiel. Ils susciteront sans doute un certain soulagement, tant les précédents programmes, mis en œuvre à partir de 2010 dans le cadre de la réforme Châtel, avaient suscité de mécontentements.
Nous avons également appris la semaine dernière la démission collective de 15 universitaires sur 17 du jury l’oral de l’agrégation d’histoire. La cause en est peu lisible a priori. La pomme de discorde se trouve dans la nomination pour la première fois d’un inspecteur général à la présidence de ce jury. Ce qui existe par ailleurs dans d’autres agrégations.
Dans le même temps quelques auteurs ont essayé de réaliser un coup éditorial en rééditant de vieux manuels pour essayer de trouver quelques raisons d’exister. Au passage, sur les allégements de programmes, des rumeurs infondées sur des diminutions horaires ou des suppressions de chapitres considérés comme majeurs, ont permis aussi à quelques politiques d’occuper le terrain médiatique à bon compte.
C’est que l’histoire et la géographie scolaires concernent tellement de monde en France que l’on oublie trop souvent que ce sont d’abord des matières qui s’enseignent et qui contribuent à la formation des élèves.
Ce que cette affaire des allégements des programmes a révélé, outre l’effet désastreux consistant à les élaborer dans un secret de polichinelle et à les mettre en œuvre trois semaines après la rentrée en métropole, c’est que l’éloignement de la réalité du terrain était un problème majeur. « Le » problème en fait.
Les conséquences sont à cet égard particulièrement graves. Comment prendre au sérieux désormais ceux qui, chargés de mission ou autres, dans les différentes académies, expliquaient l’an passé « que ce programme était parfaitement faisable ».
Une sorte de fracture est en train de se former entre «les décideurs», «les relayeurs» et «le pays réel».
Présents sur le terrain, bénéficiant de très nombreuses remontées des collègues de métropole et d’outre-mer, nous savons bien comment nos collègues réagissent. Ils s’adaptent, aménagent, essaient de trouver des solutions. Mais, il en existe hélas ! qui se réfugient dans l’indifférence en utilisant quelques recettes, des instructions préformatées qui les transforment en «répéteurs» de cours plutôt qu’en professeurs, concepteurs de contenus. Il est vrai que ces programmes dont le fil conducteur n’est pas lisible ne facilitent pas les choses…
C’est d’ailleurs à ce titre que la question du jury de l’agrégation d’histoire va très au-delà de ce que l’on pourrait, trop rapidement, qualifier de réaction corporatiste.
Nos disciplines enseignées sont des matières vivantes, en évolution constante. Courir le risque que les deux agrégations externes d’histoire et de géographie soient fusionnées, et que celle-ci se rapproche ensuite de l’agrégation interne n’est absolument pas anodin. Cela peut donner à terme la remise en cause dans l’agrégation d’histoire de l’histoire ancienne et médiévale, l’introduction dans cette agrégation d’une épreuve de didactique, ce qui ne serait pas dénué de conséquences sur le niveau du concours. Cela ne doit pas, pour autant, faire oublier que l’agrégation permet de recruter des professeurs du secondaire, avec un haut niveau de qualification, et que c’est cette exigence qui permet de tirer l’ensemble du second degré vers le haut.
Ce n’est bien évidemment pas dans ce texte seul que l’on pourra qualifier tous les enjeux de ces changements qui affectent nos disciplines enseignées. Mais pour l’association des Clionautes la question mérite d’être posée et discutée avec toutes les parties prenantes. Notre association a multiplié les démarches en ce sens, y compris en direction des associations de spécialistes des différentes périodes de l’histoire.
Matière vivante que l’histoire-géographie, assurément. Notre engagement, réaffirmé depuis près d’un an, dans l’usage et le développement des technologies numériques en est une démonstration. Ces technologies numériques sont des vecteurs de contenus. Elles sont destinées à favoriser les apprentissages, à susciter l’effort et la curiosité. Et cela n’a rien à voir avec quelques expérimentations aussi hasardeuses que démagogiques sur des réseaux sociaux que l’on pare de vertus pédagogiques cardinales.
Alors oui, l’automne de l’histoire-géo est bien là. Mais a-t-il eu un printemps avant ?
Sans doute pas depuis trop longtemps. Mais ce constat pessimiste ne doit pas nous faire oublier l’extraordinaire dynamisme de la recherche dans nos disciplines. L’activité de veille éditoriale de la Cliothèque le démontre aisément.
L’automne de l’histoire-géo ce sont aussi ces formidables rencontres de Blois et de Saint-Dié auxquelles nous participons et dont nous essayons de rendre compte pour l’ensemble de nos collègues. Ce sera pour les Clionautes l’échéance en novembre du salon du livre des sciences humaines au Musée de l’immigration et notre contribution sur l’histoire globale.
Par-delà les turbulences qui agitent nos disciplines, nous cherchons, sans prétendre à une représentativité exclusive, à maintenir ce lien citoyen de nos matières qui nous est particulier.
La vivacité des débats sur la première liste de diffusion professionnelle H-français l’a d’ailleurs récemment montré. Notre démarche constante d’ouverture sans exclusive, en direction de tous les autres acteurs de ce débat constitue désormais notre marqueur identitaire.
Et par-delà les modes, les groupements de circonstance, les structures qui s’auto- reproduisent depuis trop longtemps, nous maintenons le cap.
Bruno Modica
Président des Clionautes