Bruno Dumézil est professeur d’Histoire médiévale à l’université Paris Sorbonne. Il a publié au PUF un dictionnaire sur les peuples barbares. Il vient de sortir dans la collection « Les journées qui ont fait la France », un ouvrage sur le baptême de Clovis.
Selon le questionnement de Jacques Le Goff, le baptême de Clovis a-t-il existé ? Quelle actualité sur Clovis ? Cet événement, qui a dû occuper quelques minutes de la vie du roi, est réapparu récemment dans le grand spectacle du Puy du Fou. En fait, on n’a presque rien sur ce fait historique, sinon une lettre de l’évêque de Vienne qui s’excuse de ne pas s’y être rendu. Par contre, on a des milliers d’historiens qui se sont penchés sur cet événement ambigu et méconnu qui fait histoire. Pour les hommes du temps, ce n’est pas l’acte du baptême qui est important mais l’affirmation de la conversion, selon l’exemple de Constantin qui a fait une déclaration publique entre 311 et 313, et attend encore 30 ans pour être baptisé. Childéric est un roi païen qui se comporte comme un souverain chrétien. Le baptême est un acte important plutôt pour l’Église.
Quand ? Le 25 décembre : on sait que l’acte a été célébré à Noël et non à Pâques comme le veut la tradition car les Francs partent à la guerre à partir du mois de mars.
Où ? A partir du VIIe siècle, on parle de Reims car on sait que l’évêque de la ville était présent. Rémi a un pontificat de 65 ans. Il est le plus vieux prélat et il se brouille avec tout le monde. Ayant des problèmes pour se déplacer, on en déduit que le baptême a eu lieu à Reims. D’ailleurs, on a une trace de canalisation de 1,20 m qui pourrait être celle d’un baptistère…
Quelle année ? Personne ne parle de l’événement pendant un siècle. Puis Grégoire de tours (538?-594) parle d’un baptême magnifique avant 500 et un copiste ajoute 496. Il a voulu le présenter selon la conversion de Constantin, comme un roi responsable de la diffusion du christianisme dans les terres conquises au sud de la Loire sur les Wisigoths et les Auvergnats après la victoire de Vouillé en 507. Si Grégoire de Tours nous montre un baptême tôt, il doit savoir qu’il a eu lieu avant la grande victoire. En revanche, si Clovis avait été baptisé après, pourquoi le prélat ne le dit pas. Dans ce cas, il aurait pu construire un récit providentiel selon le schéma de Constantin, baptisé après la bataille du pont Milvius. Une autre hypothèse serait un baptême tardif après avoir épousé Clothilde vers 502, après 2 ou 3 enfants, peut être vers 508, mais on n’a aucune source ! Pourquoi ne pas faire moitié-moitié? 505 ou 506 ? Rien ne va avec la réalité et la documentation… En tout cas, l’acte du baptême n’a que peu importance à l’époque, seule la conversion compte, ainsi que la protection du clergé, assumée déjà depuis longtemps.
De quel christianisme parle-t-on ? S’opposent à Rome, deux papes dans une période schismatique en 498 pendant près de 15 ans. Un pontife est soutenu par l’empereur byzantin excommunié et un autre par le roi des Ostrogoths. Grégoire de Tours aurait choisi 496, deux ans avant la séparation. Une date plus récente montrerait que Clovis aurait envoyé une couronne d’or pour montrer sa conversion à l’antipape Laurent soutenu par les orientaux. Le premier roi des Francs se serait trompé. Il aurait été schismatique et hérétique.
Lorsque Rémi de Reims fait son testament, vers 530, il mentionne une coupe en argent que Clovis lui aurait offert, le fameux vase de Soissons, qui a été fondu sur l’ordre de Rémi pour en faire des encensoirs. Un chroniqueur s’est ensuite mis à broder sur ce fameux cadeau.
Dès le haut Moyen-Age, le roi franc est utilisé pour apporter une légitimité. Un certain Saint-Sola, obscur évêque vers 700, aurait baptisé Clovis à Chartres en présence de Rémi invité pour l’occasion. Ce genre de récit qui s’est multiplié au fil du temps montre un certain degré de notoriété du personnage. Il a fallu deux siècles pour oublier les travers de Clovis : son caractère violent, son hétérodoxie sans doute, son héritage difficile. Cependant, le royaume des Francs est le seul royaume barbare à être stable, bien que l’on dise que « les Mérovingiens ont les cheveux longs et des idées courtes ». On constate que les rois mérovingiens ont été reconnus grâce à leur fondateur Clovis. Ils ont préservé le territoire d’une France deux fois plus grande qu’aujourd’hui pendant plus de deux siècles. Contemporain des Romains, Clovis a reçu le titre de consul de l’Empire romain. Les rois de cette dynastie ont des cheveux très longs, à la fois signe de reconnaissance et attribut de la royauté alors que les esclaves sont rasés et que les Francs ordinaires ont une coupe mi longue. Les documents officiels sont authentifiés avec des sceaux contenant un long cheveu du roi ou des poils de l’avant-bras. Quand un roi est déposé, ses cheveux sont tondus et il est envoyé au monastère.
Le fils de Charlemagne, Louis Le Pieux, utilise l’image de Clovis en 816 (Ludovicus=Clovis=Louis) puisqu’il se fait couronner à Reims. Au moment de sa succession, Charles le Chauve se dit l’héritier du roi franc,p tout en sachant que Charlemagne est la figure de premier plan. Le sacre apparaît chez les Carolingiens en 754 alors que la majorité des rois se font couronner à Paris ou à Sens. Puis l’archevêque de Reims, Hincmar, se présente comme le seul homme capable de conférer la royauté. En 1059, un archevêque de Reims sort un bâton de Saint-Rémi. S’élabore ensuite le mythe de la Sainte-Ampoule venant du baptême de Clovis, ingrédient mystique de la royauté. La grande erreur des Anglais est de ne pas l’avoir compris et d’avoir sacré leur roi à Notre-Dame de Paris sans les regalia et la mystique rémoise. Quand Charles VII a reçu l’onction à Reims, il est difficile ensuite de ne pas le considérer comme l’héritier de Clovis.
Au XVIIIe siècle, on se plait à chercher les origines de la France. On identifie deux races : celles des nobles viendraient de Germanie, dont des Francs et les Gaulois seraient les ancêtres du Tiers-État. En 1792, la profanation des symboles royaux et la destruction de la Sainte-Ampoule émanent d’une volonté d’abolir la France des envahisseurs. Quand Napoléon 1er choisit le titre d’Empereur, il cherche des symboles impériaux venant du peuple. Son sacre est une foire aux vanités : épée de Charlemagne… Impossible de prendre le coq gaulois, un animal de basse-cour. Il choisit l’abeille, symbole venant du tombeau de Childéric, roi païen. Il se concilie ainsi les Révolutionnaires. Par contre, Louis XVIII et Charles X se font sacrer à Reims et réutilisent le mythe de la Sainte-Ampoule. On n’y croit plus mais la pulvériser signifierait une rupture temporelle du fil royal. Les regalia sont reconstitués et le sacre devient un huitième sacrement. Ce sera le moment des grands tableaux historiques. Cependant, les Français ne semblent plus adhérer à ces anciens symboles et Louis Philippe préfère voir en Clovis le fédérateur des barbares et des gallo-romains. Il devient une figure patriotique. Les républicains critiquent cette version royaliste. Augustin Thierry estime que les Francs sont restés païens et sauvages, à l’image de Charles Martel qui aurait pris son nom du dieu Thor. Après la défaite de 1870, les Mérovingiens sont perçus comme des envahisseurs germains de la Gaule à l’image des Allemands. Les prix scolaires remis aux enfants présentent les Mérovingiens comme les pires des sauvages (chrétiens proches du clergé, germaniques et envahisseurs des Gaules…). On prépare la revanche.
Que sait-on sur la reine Clothilde ? Nous n’avons aucune source, même chez les Burgondes. Elle devient sainte au Xe siècle. Le XIXe siècle voit l’éclosion de paroisses vouées à Clothilde, incarnant la femme bourgeoise qui emmène son mari à la messe. En 1896, pour les 1400 ans de l’événement, est édifiée à Reims une église où des reliques viennent de toute la France. Clovis est présenté comme le père des croisés car il a combattu les infidèles que sont les Wisigoths, puis plus tard en 1940, il devient une figure d’exemple contre les Bolcheviks.
Aujourd’hui, on peut parler du Clovis des universitaires, dont les faits se résument en cinq pages de texte. L’archéologie permet d’apprécier l’importance d’un règne qui a duré 30 ans. Si les sources sont lacunaires, le danger est de limiter à un seul aspect les personnages historiques. On fabrique alors un Clovis du temps présent. Un historien du XVIe siècle s’est posé la bonne question : que pensait Clovis ce 24 décembre dans sa piscine baptismale? Une seule chose est sûre, c’est qu’il devait avoir bien froid.
Christine Valdois et Eric Joly pour les Clion@utes