Marion Tillous exprime l’actualité du terme et sa place centrale cette année au FIG. Le thème n’est pas nouveau, en témoigne certaines éditions du FIG : 2000 santé 2014 notion d’habiter.
Pourquoi cette question du corps ?
Les enjeux sont forts, il y a différentes manières de percevoir le monde selon qui l’on est, avec le corps dont on dispose. C’est aussi la question de l’inclusion et la manière dont le corps est perçu, en lien avec les rapports de domination.
Le corps est porteur de conséquences spatiales, notamment avec le racisme pouvant entraîner un processus de marge du territoire ou le sexisme avec des femmes exclus de l’espace public. C’est de fait un champ d’étude pour la justice spatiale et environnementale. Le rapport corps-sexualité est aussi essentiel : la vie privée comporte une dimension politique et devient donc publique. Il existe aussi des discriminations sur l’identité sexuelle qui peuvent donner lieu à des enjeux de domination.
Marion Tillous replace la question du corps aussi dans l’enseignement, un sujet difficile et délicat car les enseignants transmettent le savoir dans des contextes sociétaux ce qui amène la géographe a évoquer ensuite avec émotion le contexte difficile de cette année : suite à l’assassinat de Samuel Paty, un déchaînement médiatique contre ce que des personnes appellent les « islamo-gauchistes » a profondément marqué le milieu de la recherche, durement touché et peu soutenu par les institutions. Certain.es. géographes n’ont pas pu ou voulu venir au festival de Saint-Dié suite à cela.
Définir le corps en géographie
Marianne Blidon prend ensuite la parole. Elle ne se définit pas comme une géographe du corps, mais elle a travaillé autour du corps dans ses recherches. L’intervenante commence le travail de définition du terme.
Se pose la question de la définition du corps dans les dictionnaires.
Dans les mots de la géographie (Roger Brunet 1992), Benoit Antheaume définit le corps dans une dimension fondant un rapport au monde et une mesure de toute chose (aménagement/ architecture). Ainsi le corps traverse l’ensemble des problématiques d’aménagement. Cette question est primordiale même si pas forcément explicitée dans l’analyse des géographes.
Dans le dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés de J.Lévy et M.Lussault (2003) : Claire Ancock définit le corps comme étant une composante matérielle de la dimension biologique ainsi qu’une essence, une motricité qui rend possible l’interface avec le monde extérieure, c’est cette interface qui permet à l’individu de confronter sa spatialité.
C’est aussi une lecture critique du pouvoir.
Plusieurs géographes dont Francine Barthe-Deloizy 2003 géographie de la nudité, a permis de porter la question auprès du public, de l’enseignement, des collègues. Elle a porté cette thématique qui, parfois sous couvert d’humour, opère un rappel de domination.
La géographie de la nudité était aussi présente durant ce festival
Marianne Blidon évoque dresse ensuite une typologie du corps en géographie dans le monde :
Premièrement l’appropriation dans la géographie culturelle. Les travaux de Liz Bondi sont éclairants dans ce domaine. La géographe questionne le corps, la sensorialité, la question de la subjectivité, des émotions. Cela amène aussi au champ de la psychothérapie, de la psychanalyse. La question est très présente en géographie, avec du recul, de nombreux géographes interrogent indirectement le corps.
En géographie sociale, des auteurs essentiels selon la géographe comme Raymonde Séchet et David Harvey.
Chez D.Harvey le corps est une réponse à l’interpellation provenant des géographies féministes mais il estime aussi que chez Marx le corps du prolétaire est au cœur de ses ouvrages. Raymonde Séchet remarque que le corps est présent chez De Martonne. Il est finalement très présent en géographie.
Le corps, l’échelle la plus proche du terrain
C’est au tour de Djemila Zeneidi d’intervenir.
C’est par le terrain, une démarche inductive qu’elle commence à travailler sur le corps avec des recherches sur les personnes sans domicile fixe. A la fin des années 1990s, la question de la grande pauvreté émerge, la figure du SDF est omniprésente dans les médias. Elle apparaît comme une rupture de l’histoire de la pauvreté car les profiles changent devenant une incarnation de la crise économique. Très vite, la figure du SDF s’inscrit dans le corps en souffrance.
Dans ce contexte, la construction d’une corporalité, la manière de se représenter la condition des SDF, s’inscrit dans les thématiques de l’urgence, de l’exclusion et de la visibilité. Ainsi, le corps est la dernière frontière, quand il n’y a plus que le corps entre soi et les autres. Le corps du SDF se voit dans son état, des corps jeunes, des corps plus anciens, abimés, des troubles dans les repères aussi quand des SDF se retrouvent incapables de s’adapter à la vie dans un logement, trop habituer à vivre dans la rue.
Au niveau des acteurs. La politique globale s’opère dans l’urgence s’adressant presque exclusivement qu’au corps. C’est ce qui est dénommé comme étant la logique « biopolitique » ( Michel Foucault définit la biopolitique comme l’application des techniques de pouvoir aux phénomènes vivants, source : Universalis). Les SDF sont alors perçus comme une somme de problèmes à régler. C’est aussi pour nombre d’acteurs une logique d’invisibilisation dans l’espace publique.
Le corps dans l’épistémologie de la géographie
Difficulté pour le géographe de travailler sur ce thème par manque de formation couplée à la problématique de l’échelle, les géographes n’ont pas forcément l’habitude de descendre au micro-échelon.
Dans les années 1990s le travail sur les SDF est un angle mort de la géographie, tout comme le corps. Le corps est alors un perturbateur dans ce qu’est la discipline à l’époque.
Est-ce encore de la géographie ? Il est vrai que prendre une entrée par le corps invite à une entrée interdisciplinaire.
Dans la géographie sociale, existe une dimension sensible traditionnellement, notamment chez Armand Frémont, à travers le thème de l’espace vécu, perçu, cependant les minorités ne sont pas forcément représentées.
L’Influence de la géographie anglo-saxonne est importante aussi, notamment Anne Buttimer qui va être utilisée par Paul Claval et Guy Di Méo.
La géographie anglophone est très avancée sur les homeless (sans abri) en raison d’une antériorité du problème déjà présent dans les années 1980s.
La géographie radicale américaine se saisie aussi de cette question, elle se donne pour objectifs de critiquer les structures sociales avec notamment Neil Smith et Don Mitchel
Ces deux géographes travaillent sur le questionnement du droit à la ville pour les plus démunis.
Ils mettent l’accent sur la problématique des homeless dans un contexte de transformation des villes et la privatisation de l’espace public.
Un autre essai important est celui de Mike Davis, city of quartz. Il travaille sur le fait d’être SDF dans les villes américaines. Il dévoile les moyens des acteurs publics qui visent à rejet les pauvres: arrosage des espaces publics….. Il décrit des villes hostiles au corps.
Djemila Zeneidi explique ensuite que la s’est géographie renouvelée avec le féminisme et le handicap.
Le corps rebat la production des connaissances. Les géographes féministes travaillent sur le corps pour revisiter l’histoire de la discipline.
C’est aussi une critique, celle de la géographie « mainstream », déconnectée des expériences de l’invisibilité. Ces géographes questionnent la spatialité du corps sous l’effet du pouvoir.
Autre géographie importante, celle du handicap, en lien avec la discrimination, les difficultés d’accès à certains espaces.
Le corps, une géographie contextualisée
Marianne Blidon reprend la parole pour évoquer son travail sur la guerre, le camarade blessé, la faim, la souffrance. Elle étudie aussi la quotidienneté du corps, les pratiques socio-spatiales des gays et lesbiennes ainsi que sur l’échelle du quartier.
Dans les années 1990S c’est le danger dans le discours autour d’une nouvelle communauté « gay » et de ses ghettos. Le quartier gay est perçu comme ghetto, engendrant le séparatisme, ce qui est contraire aux valeurs républicaines.
Mais la réalité du quartier, personne ne le voit. La géographe y travaille et perçoit d’autres choses, le matin : des mamans qui envoient leurs enfants à l’école, des faits banals et surtout aucun communautarisme.
Elle établit donc un paradoxe entre la littérature et la réalité.
La perception « gay » est visibilisés par le couple et les marqueurs : se tenir par la main, s’embrasser. Pourtant les personnes qui habitent ces quartiers disent que c’est justement invisibles.
Quand le corps est un symbole
Djamila Zeneidi intervient ensuite sur le phénomène des squatteurs arnacho-punk. Ces études démontrent que ces personnes aiment jouer de leur corps avec les codes de l’infamie : les garçons jouent aux mauvais garçons et les filles en lien avec la prostitution. Dans la culture punk, toutes les allures disent quelque chose par rapport au système. Leurs apparences sont des manifestes du refus. L’allure ne donne accès qu’à certains espaces et construit une communauté d’expérience et de pratiques.
La géographe narre ensuite le cas des ouvrières marocaines qui s’en vont travailler en Espagne dans l’agriculture. Les Espagnols ciblent les femmes jeunes mamans mariées car ils savent qu’elles ne vont pas rester sur le territoire.
Ainsi au Maroc, les femmes défilent devant les délégués des patrons espagnoles, et sont ainsi juger sur leur corps. L’ouvrière recherché que l’on veut doit être bien bâtie (solidité), ne doit pas être trop attirante pour ne pas qu’elles aient une relation amoureuse, ou qu’elles perturbent le patron.
Arrivée en Espagne, le corps est une nouvelle fois scruté par les patrons, ensuite, le corps est surexploité, c’est un corps captif.
La conférence se conclue par des questions concernant le corps des minorités qui fait l’objet de l’axe principal de l’étude des migrations actuellement. Une question porte aussi sur la norme, le corps qui donnent à se voir, encore absent de la recherche.
La conférence dans son intégralité :