Bruno Lecoquierre, géographe, professeur émérite de l’université du Havre, nous offre son analyse et son regard sur le grand espace qui s’étend de l’Atlantique jusqu’à l’Indus. Le Sahara est certes le plus grand désert de cette zone, mais le terme de « grand Sahara » fait référence au grand Moyen-Orient de George Bush (à visée politique discutable), et à un groupe islamique qui sévit actuellement, appelé l’État islamique au Grand Sahara (EIGS). Ce groupe a été dirigé par Adnane Abou Walid al-Sahraoui jusqu’en août 2021, date à laquelle il a été neutralisé par une frappe des forces françaises dans le cadre de l’opération Barkhane.
Le Sahara représente 8 millions de km² et rassemble 8 millions d’habitants, très inégalement répartis. Il constitue le plus grand désert du monde avec deux grands massifs montagneux volcaniques (éteints) : le Hoggar et le Tibesti.
Bruno Lecoquierre nous présente les traits communs de ce vaste ensemble géographique.
Le règne de l’aridité
Avec une diversité des paysages, ce désert n’est pas uniforme. Il est zonal (pour le Sahara et la péninsule arabique), avec une présence continuelle d’anticyclones au niveau du tropique nord, sorte de dôme de chaleur ou dôme aride. Les déserts hyper-arides, marqués par des précipitations limitées à 100 mm par an, correspondent au Sahara, les déserts du sud de la péninsule arabique, et le désert de Lout en Iran. Ces immenses ensembles désertiques se prolongent en Asie centrale. Les parties les plus à l’est sont des déserts un peu différents, aux hivers très froids, dont l’existence est liée à la présence de massifs montagneux qui bloquent la circulation des masses d’air (notamment l’Himalaya). Ce ne sont donc pas des déserts zonaux mais des déserts d’abri, à l’image du désert iranien ou du désert de Gobi.
La grande caractéristique de cet ensemble est l’aridité, plutôt que la sécheresse. L’aridité est un caractère structurel, alors que la sécheresse est un caractère conjoncturel (voir sur la diapo avec la citation de Théodore Monod). La chaleur n’est pas un caractère suffisant pour mesurer le désert, car il peut y faire très froid. Bruno Lecoquierre a relevé une température de – 10°C dans le Hoggar (le record se situe à – 19°C).
Un espace désertique marqué par le nomadisme et la persistance d’identités ethno-linguistiques fortes
Le nomadisme est un mode de vie adapté aux contraintes de ce milieu, peu présent aujourd’hui, mais qui a profondément marqué ces régions. Il permettait de se déplacer de temps en temps dans des pâturages, pour l’eau. Ce mode de vie, plus qu’une pratique nomade telle qu’elle a pu se faire jusque dans les années 50, apparaît encore un peu dans le Hoggar, en Algérie, en Mauritanie.
La persistance d’identités ethno-linguistiques est forte. En Afrique du Nord, on distingue trois grands peuplements sahariens. Les Maures sont des berbères arabisés au XVIIe, les Touaregs sont des berbères, les Toubous sont des populations noires. Les tribus sont nombreuses.
A une échelle différente, celle des États, l’Iran et l’Afghanistan s’inscrivent dans les aires linguistiques (populations de langue iranienne, de langue turque…).
Le désert, terre de mythes et d’imaginaire
Plus que pour d’autres milieux, des images très fortes surgissent pour évoquer le désert. Des grandes figures participent à ce mythe : Charles de Foucauld, Théodore Monod, Odette du Puigaudeau (très grande exploratrice de la Mauritanie), Wilfred Thesiger, Gertrude Bell (a joué un rôle dans l’établissement de la monarchie en Irak après la Première Guerre mondiale), Lawrence d’Arabie, Michel Vieuchange (a exploré la ville de Smara dans l’ouest saharien).
Le mythe saharien a souvent été réactivé par le tourisme. Les ressorts de cet imaginaire sont toujours les mêmes : désert de sable, idéalisation des nomades, qualité des paysages, grandes figures historiques mythifiées.
Des États instables dans un espace de crises
Les États qui organisent cet espace montrent une fragmentation, un morcellement, ce qui n’a pas toujours été le cas. En effet, le Sahara français, qui a couvert une bonne partie du Sahara jusqu’au début des années 60, a été un espace sans frontière. La péninsule arabique a été fragmentée récemment.
Pour le Sahara, on dénombre 5 États au nord (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Égypte), 5 États au sud, saharo-sahéliens (Mauritanie, Mali, Niger, Tchad, Soudan). Pour la péninsule arabique, on peut citer l’Arabie Saoudite, les émirats du golfe arabo-persique, les petits États du Proche-Orient (désertiques pour certains), l’Iran, l’Irak.
Un espace marqué par la prééminence de l’islam
Certes l’islam n’est pas l’unique religion. Le zoroastrisme en Iran en constitue un exemple. Les photos montrées à la salle soulignent la présence de la religion musulmane, mais cachent aussi des divisions. La diversité des pratiques aboutit au conflit séculaire entre le sunnisme et le chiisme. Les deux poids lourds représentant ces deux parties de l’islam (l’Arabie Saoudite et l’Iran) se font face de part et d’autre du golfe arabo-persique. A l’intérieur de ces blocs existent aussi des fragmentations, avec l’existence des confréries, notamment en Afrique saharo-sahélienne. Ce sont des pratiques mystiques de l’islam, appelées parfois soufisme. Rejetées par les wahhabites, elles sont très présentes en Mauritanie, au Mali, au Sénégal.
On peut constater aussi l’implantation croissante des réseaux islamistes depuis le début du siècle. L’éclosion de mouvements islamistes en Algérie remonte aux années 90, à la suite de l’annulation des élections législatives en 1992. Le GIA (Groupe islamiste armé) naît en 1992. Un groupe s’en est séparé en 1998 pour fonder le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui fait ensuite alliance avec Al-Qaïda, pour former ensuite Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) en 2007.
C’est de l’Algérie que ce terrorisme est parti et a migré peu à peu vers le Sahara. Ce déplacement du nord vers le sud de ces groupes djihadistes s’explique par la pression des armées de différents États qui les ont combattus. Ils sont aujourd’hui localisés vers le golfe de Guinée (Mali, Niger, Burkina Faso).
Depuis 2019, il n’existe plus de carte du ministère des Affaires étrangères de « conseils aux voyageurs » à l’échelle mondiale (seulement des cartes par État). La présence du risque s’est accentuée depuis trois ans dans la partie nord de l’Afrique et au Moyen-Orient. Tout le territoire iranien est désormais fortement déconseillé (en rouge). Il est cependant possible de retourner faire du tourisme en Mauritanie.
Un immense espace désertique… de plus en plus urbanisé
Les villes sont de plus en plus grandes. Ce qui revient à dire que le reste de ces espaces sont de moins en moins peuplés. Les villes se localisent plutôt sur les bordures du Sahara. A contrario, la ville de Tamanrasset se situe en plein milieu du désert, sans eau, sans agriculture. Cette ville est née de la présence militaire française et après l’assassinat de Charles de Foucauld. Très peu peuplée dans les années 50, autour de 1900 habitants, elle enregistre une forte croissance : 40 000 habitants en 1990, 100 000 habitants en 2000, et 150 000 à 200 000 habitants aujourd’hui. L’eau vient par aqueduc de la région d’In Salah, à 600 km au nord.
Entre puissance géopolitique et mono-dépendance énergétique. Des ressources naturelles importantes et diverses
Les nappes souterraines permettent de vivre (voir la carte ci-dessus). Les hydrocarbures constituent l’autre grande ressource de ces régions. L’exploitation des hydrocarbures a débuté dans les années 50 en Algérie et en Libye. Conrad Kilian, un géologue et aventurier français, avait pressenti l’existence de ces réserves souterraines sahariennes dans les années 30-40.
Le Moyen-Orient produit approximativement un tiers du pétrole et un dixième du gaz du monde entier. Il dispose d’un tiers des réserves mondiales. Dans le contexte géopolitique actuel, les ressources de ces pays sont particulièrement courtisées.
Échanges entre les intervenants de la table ronde :
- Bruno Lecoquierre, géographe, professeur émérite de l’université du Havre
- Frank Tétart, géographe, enseignant-chercheur spécialiste du golfe persique
- Bernard Hourcade, directeur de recherche émérite au CNRS CeRMI, Centre de recherche sur le monde iranien, Paris
- Laurent Carroué, inspecteur général de l’Éducation nationale
Frank Tétart souhaite mettre l’accent sur la littoralisation du golfe persique qui avait débuté avant le pétrole avec l’économie florissante de la perle. On observait autrefois un mouvement de nomades du désert qui allaient régulièrement sur le littoral pour pêcher la perle.
Bruno Lecoquierre ajoute que le Sahara a toujours été un désert parcouru, caractérisé par des circulations importantes, organisées par les grands nomades. Certaines villes se sont reconverties dans le commerce ou le tourisme plus récemment. D’autres ont périclité car elles ne se sont plus trouvées sur les voies de circulation. Les chameaux ont été remplacés par des camions et des avions. C’est le cas de Chinguetti en Mauritanie qui est devenue une ville de faible importance économique, à l’écart des réseaux de circulation.
Depuis le début des années 2000, une première route transsaharienne goudronnée court le long de la côte atlantique, du nord au sud. Nouakchott a largement profité de cette infrastructure, devenant un nœud d’échanges pour tous les trafics qui relie l’Europe, le Maghreb et l’Afrique subsaharienne.
Bernard Hourcade rappelle que Tamanrasset, autrefois poste militaire, est une ville artificielle, antiécologique. Il s’interroge sur les villes oasis, comme Palmyre ou Yazd en Iran, où il existait de l’eau en quantité raisonnable et qui ont permis la création de poches de résistance. Le désert sert de tampon, de barrière, de muraille. Peut-on dire qu’on observe une incohérence de l’urbanisation des déserts ?
Laurent Carroué évoque la croissance démographique qui déstabilise les équilibres anciens.
Frank Tétart précise que Dubai n’a plus de pétrole, et qu’elle doit donc procéder à une diversification économique de ses activités.