Elle suppose un effort constant de recherche et de confrontation des sources, et à ce titre car nous en sommes praticiens car enseignants, nous estimons qu’elle participe de la formation de l’esprit critique et civique.
Ces cahiers sont restés dans la famille, et présentent l’intérêt d’un témoignage qui sort largement des sentiers battus. Il n’a jusqu’à présent jamais été utilisé ni édité.
C’est dire toute l’importance que nous attachons au recueil de cette source, en s’interrogeant sur le fait de savoir si nous méritons vraiment d’en être les dépositaires. À l’origine de cette aventure, il y a tout simplement un contact Internet, par l’intermédiaire d’un moteur de recherche C’est dire si le site des Clionautes est bien référencé , comme il y en a tant.
Et c’est ainsi que Anne-Marie Audoin-Berode est entrée en contact avec nous. Avec un beau sourire et tout son dynamisme cette jeune retraitée se demandait comment faire en sorte que ce témoignage puisse servir.
- Servir l’histoire incontestablement, et le journal intime de Maurice Audoin est un témoignage historique.
- Servir l’enseignement de l’histoire, et nous y sommes farouchement attachés, car cette « photographie du quotidien d’un médecin militaire », présente la guerre sous un angle avec lequel nous ne sommes pas forcément familiers.
Maurice Audoin n’est pas un tout jeune homme lorsqu’il est appelé sous les drapeaux. Né en 1877, il est dans la force de l’âge, à 37 ans. Dès les premières pages de ces cahiers, qui commencent le mardi 8 septembre 1914, on découvre, en plus d’une belle calligraphie, une incontestable élégance d’écriture. Celle-ci est caractéristique des hommes cultivés de son temps, mais elle apparaît aussi comme la manifestation d’un sens de la formule et de la description qui vont très au-delà du journal intime. Maurice Audoin ne se contente pas de décrire, il explique, donnant des détails sur le vocabulaire employé, celui très particulier de la médecine militaire, Il analyse les faits à l’ écoute ses patients qui lui racontent les combats.
Mercredi 9 septembre 1914
: « je suis de service. (…) Nous chargeons un bateau de blessés et d’éclopés – on appelle ainsi en médecine militaire tous les petits malades fiévreux- homme blessés au pied par leurs chaussures. Renon rapporte qu’un blessé français lui a affirmé avoir été achevé par les Allemands qui lui ont tiré un coup de fusil dans la face lui brisant les mâchoires. Le pauvre resta quatre ou cinq jours avant d’être relevé dans cette fâcheuse position. D’autres par la suite nous ont déclaré que les Boches, quand il voyaient des blessés remuer sur le champ de bataille, continuent à tirer dessus. Aussi ont-ils maintenant appris à «faire le mort» le jour pour tâcher de se sauver la nuit.
L’après-midi, une violente canonnade se fait entendre.
Les obus tombent sur Varangéville, où nous étions quatre jours avant. La population fuit, passe à La Madeleine sous nos yeux. Il n’y a que 4 km. (…) À vrai dire, cette nuit-là fut mémorable. À minuit éclata un orage formidable, dont le bruit s’ajouta à celui de la canonnade. La pluie se mit à tomber très fort. Dans mon lit, l’eau me tombait sur la figure. »
Ces extraits des premières pages de ce cahier qui compte plus de 160 feuillets, ne donnent qu’une petite idée de la richesse de ce document. Il nous faudra un petit peu de temps pour en extraire les éléments les plus significatifs et, parce que l’enseignement de la Grande guerre constitue une part significative des programmes du second degré, pour les présenter dans le cadre d’une activité pédagogique.
Mais la belle histoire de ce document qui a été transmis aux Clionautes ne s’arrête pas là. Au moment où nous prenions contact avec Anne-Marie, nous mettions en ligne le témoignage d’un autre médecin, photographique celui-là, celui qui a été publié par Frantz Adam : ce que j’ai vu de la Grande guerre. En voici les premières lignes de ce compte rendu qui souffre évidemment de l’absence d’images. Mais les photographies de Frantz Adam auraient pu, et peut-être que nous mettrons en œuvre cette démarche, illustrer les carnets intimes de Maurice Audoin.
Frantz Adam Ce que j’ai vu de la Grande Guerre photographies présentées par André Loez. Éditions la découverte 2013. 29,90 €. lundi 7 octobre 2013, par Bruno Modica
http://clio-cr.clionautes.org/ce-que-j-ai-vu-de-la-grande-guerre.html#.Un-A0-LZ0yM
« Dans la masse d’ouvrages qui sont publiés à l’occasion du centenaire du début de la première guerre mondiale, ce recueil de photographies issues du fonds de l’Agence France-Presse, présente l’intérêt de rassembler les tirages d’un médecin psychiatre, affecté, à sa demande, au 23e régiment d’infanterie pendant toute la durée de la guerre. Comme beaucoup de soldats de la Grande guerre, mais surtout des officiers, la pratique de la photographie relève d’une tolérance de la hiérarchie militaire. Officiellement, il est interdit aux combattants de la guerre de photographier lorsqu’ils se trouvent au Front, mais dans la pratique cette disposition est difficile à faire appliquer. Les photographes amateurs sont légion dans différents régiments, d’autant plus qu’Adam possède un appareil Kodak, appelé le «vest pocket», qui, comme son nom l’indique, est destiné à être porté dans la poche de la veste. Cet appareil qui représente en volume un peu plus de deux paquets de cigarettes comporte un dispositif à soufflet qui permet d’effectuer la mise au point sur l’objectif.
Les images prises par ce médecin, qui a quitté l’asile de Charenton pour partir au front dès le 3 septembre, ont été prises sur l’ensemble des champs de bataille du 23e régiment d’infanterie, de la campagne d’août septembre 1914 à la dernière offensive de septembre novembre 1918. »
Il y a beaucoup de points communs dans la perception que ces deux médecins ont de la guerre. Il n’y a aucun voyeurisme dans le texte de Maurice comme dans les photos de Frantz. On ne trouve pas de descriptions sanglantes ni d’images choc mais un profond sentiment de compassion pour les hommes brisés qu’ils accueillent dans leurs hôpitaux de campagne respectifs.
Dans le récit de Maurice Audoin, on trouve au détour d’une journée parmi d’autres, en arrière du front ou plus proche des premières lignes, des considérations d’espoir sur la fin de la guerre que l’on espère proche. Il va même jusqu’à imaginer que la déclaration de guerre des Japonais, contre les puissances centrales, permettra de hâter la fin des hostilités.
Cela montre surtout que ce médecin continue à s’informer, et qu’il reprend, comme la plupart de ses compatriotes les informations de a presse. Celle-ci, dans le cadre du « bourrage de crâne » n’est pas avare de communiqués triomphalistes et de déclarations enflammées sur l’irrésistible puissance des alliés contre les puissances centrales.
Sérieusement malade au cours de l’année 1916, Maurice quitte le service mais pendant toute sa vie, il disparait le 20 mai 1963 à 86 ans, il entretient dans sa famille le souvenir de cet épisode de sa vie que nous essaierons de présenter ici.
Bien des événements et des anecdotes sont à découvrir dans ce magnifique témoignage, mais, en ce jour de commémoration, – Et nous savons que l’histoire n’est pas la commémoration – considérons que ce premier article est une modeste contribution parmi d’autres à cette redécouverte dans le cadre des cérémonies du centenaire, de ce que vivaient les hommes de cette époque.
Bruno Modica
Président des Clionautes
Et au passage un complément intéressant proposé par Stéphane Mantoux
Et un documentaire
http://www.filmsdocumentaires.com/films/1004-journal-d-un-medecin-dans-les-tranchees