L’intervention de Jean-Paul Duviols est l’occasion pour ce spécialiste de civilisation latino-américaine de nous présenter son dernier ouvrage, Les peintures de la voix. Le monde aztèque en images, aux éditions Chandeigne. Le titre reprend une expression de Voltaire qui désignait l’écriture comme une « peinture de la voix ». Ainsi, Jean-Paul Duviols nous propose un diaporama très riche de pages ou miniatures de codex aztèques et mixtèques, deux peuples proches installés au Mexique depuis environ deux siècles à l’arrivée des Espagnols en 1519.
Les codex sont des livrets repliés comme un accordéon présentant les calendriers, pratiques et informations que les Mayas, Aztèques et Mixtèques jugeaient utiles de transmettre et préserver. Ils étaient notamment l’objet de consultations encadrées par un prêtre. Les Mayas n’ont pas eu de contact avec les Aztèques mais il nous est parvenu quatre codex, dont le style est très différent et que l’auteur a choisi de laisser de côté pour son ouvrage. Ce dernier porte donc sur la vingtaine d’ouvrages aztèques et mixtèques s’étendant avant la colonisation et, les plus nombreux, codex créés après, nous donnant à observer une européanisation des dessins. Ceux-ci se lisent d’ailleurs de bas en haut et de droite à gauche. Ils sont réalisés sur un papier fait d’écorce de figuier par exemple. Ils mesurent entre 20 et 30 centimètres de haut et sont peints des deux côtés. Les personnages sont représentés de profil, il n’y a pas de perspective. La plupart de ces codex ont été brûlés par les Espagnols qui y voyaient des dessins diaboliques, notamment ceux faisant référence aux sacrifices humains. De nombreux objets ont également disparu lors de ces « autodafés ».
Si leur destruction est un manque inestimable pour la compréhension des civilisations latino-américaines, il est cependant possible de s’appuyer sur les travaux d’Espagnols qui ont appris le nahualt (langue des Aztèques) et ont étudié leurs pratiques. Bernardino de Sahagún dans son Histoire générale des choses de la Nouvelle-Espagne mêle ainsi une certaine fascination à la réprobation toute catholique de la culture aztèque.
Dans les codex, nous pouvons observer un grand intérêt, parfois inquiet, des Aztèques pour la création du monde et les évènements astronomiques. Selon eux, la planète n’a que cinq soleils à vivre. Quatre soleils ont déjà pris fin par des phénomènes telles que les éruptions volcaniques, les inondations, des transformations en animaux… Le cinquième soleil est celui du mouvement et sera donc le dernier.
Pour le faire vivre, ce peuple pratiquait les rituels, il nourrissait le Soleil de sang. Ces sacrifices sont également représentés dans les ouvrages post-hispaniques mettant donc l’accent sur une pratique très répandue et fréquente. Les Aztèques étaient ainsi perpétuellement en guerre avec les peuples alentours, bien contents de s’allier aux conquistadors pour se libérer. Les prisonniers étaient alors étendus sur une pierre de sacrifice, la poitrine entaillée par une lame d’obsidienne et leur cœur offert aux dieux. En 1484, lors de l’inauguration d’un temple à Mexico-Tenochtitlan, il est rapporté un nombre compris entre 5000 et 40000 sacrifiés selon les sources, qui font toutes mention des cris et du sang. Les Aztèques pouvaient également pratiquer l’auto-sacrifice en se perçant, à l’aide de pointes d’agave, les oreilles, la langue ou le pénis.
Le calendrier aztèque est composé de 360 jours, les cinq jours restants sont des jours dangereux durant lesquels tout peut se passer. Un siècle durait 52 ans et une grande fête sacrificielle permettait de s’assurer que le cycle pouvait continuer. Un grand feu était alors allumé dans les entrailles même du sacrifié, écorché, dont la peau est revêtue par la personne en charge du rituel. C’est lors d’un de ces changements de siècle que sont arrivés les Espagnols, faisant coïncider Histoire et mythe. Effectivement, Quetzalcoatl, le dieu serpent à plumes était parti vers l’est en promettant de revenir. Les Espagnols ont été pris pour cette divinité… Pour leur défense, les Aztèques ne connaissaient pas la marine, c’était un peuple de terre.
La conférence se termine sur de nombreuses questions et échanges d’idées. Jean-Paul Duviols émet l’hypothèque que les Aztèques sont issus de Cheyennes nomades descendus sur le Mexique qui se sont peu à peu sédentarisés. Si les sacrifices ont été l’argument le plus utilisé par les colons missionnaires à l’encontre des Aztèques, il faut tout de même noter que de telles pratiques sont connues pour la préhistoire en Europe ou en Alaska. Jean-Paul Duviols suggère que les idéogrammes présents dans les codex sont des amorces d’alphabet. Ainsi, l’écriture se serait peut-être développée si les Espagnols n’étaient pas arrivés. Les derniers codex du XVIIe siècle sont désormais des livres européens et la pratique s’éteint…