Avec Bertrand Lemartinel, ancien élève de l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud, agrégé de géographie, docteur d’État ès-Lettres, Géographe et professeur honoraire des universités (Perpignan).

Les médias présentent toujours le mur cher à Donald Trump, du point-de-vue états-unien, du fait de l’omniprésence du président américain dans les médias et sur les réseaux sociaux. 

Mais qu’en est-il de la vision, de la perception de ce mur  du côté mexicain et latino-américain ?
  • Le mur : un obstacle relatif pour les latino-américains.
B. Lemartinel commence avec une photo montrant D. Trump derrière son pupitre et le drapeau américain, prononcer la fameuse phrase « Je construirai un grand, grand mur…. »
Un président qui envahit tellement l’espace médiatique qu’il est facile de savoir ce qu’il pense des hispaniques -du moins par ses déclarations, propos-.  Ses avis sont peu nuancés : « des voleurs, des violeurs, des tueurs…. ». Du coup, il peut affirmer qu’il construira « un beau, un grand mur », pour protéger ses concitoyens.

Qu’en pensent les Argentins, les Latino-Américains ? B. Lemartinel nous montre des vues d’El Paso, où le rio Bravo devient le rio Grande côté américain. Les latino-américains le voient comme un obstacle relatif, voire très relatif. L’espoir pour les migrants de le passer existe. Le conférencier rappelle le temps où la Californie appartenait au Mexique et où Los Angeles était un mission mexicaine. Mais la défaite conduisit le Mexique à perdre 1/3 de son territoire lors du traité de Guadalupe-Hidalgo de 1848 (Californie, Arizona, Utah, partie du Nouveau Mexique, Colorado et Wyoming…) et certains électeurs de Trump considèrent que les Chicanos voudraient reconquérir les territoires perdus au titre de l’Aztlan (le berceau aztèque d’une partie de leurs ancêtres occupé par les Nord-Américains) qui leur reviendraient de droit. Voir ce lien -https://www.persee.fr/doc/espat_0339-3267_1989_num_42_1_3496 .
Mais c’est faux. Ce sont des constructions d’électeurs républicains qui agitent des peurs pour justifier la construction du mur de Trump. En fait, la frontière actuelle n’est pas remise en cause par les Mexicains. Ils voient, perçoivent le mur qui matérialise la frontière comme une clôture, une frontière très nuancée.

 Le conférencier nous présente ensuite une photo du mur qui s’avance et sépare la plage de Tijuana en deux. Certes les contrôles existent mais on passe là aussi en contournant cette barrière par la mer. Idem dans le désert du Sonora, où les Mexicains parlent de « rideau de cactus …. avec des trous ».


De même à Douglas sur la frontière, des jeunes jouent au football près de la frontière mais font leurs courses côté américain… Au sud de Magdalena, au Nouveau Mexique, des barrières de fortune existent en guise de « mur ». Plus à l’est, un lac de barrage sur le rio Grande matérialise la frontière E-U/Mexique ; et on peut passer même si l’on compte nombre de victimes. Certains Mexicains et Latinos-Américains le savent.

D’autres points de passages sont beaucoup plus surveillés comme ceux d’El Paso/Ciudad Juarez ou Tijuana. Dans cette dernière ville-frontière existent seize points de contrôle et dix en construction.

 Mais  le nombre de morts est impressionnant depuis 1998. Il serait de 7000, selon les statistiques de la « Border Patrol », dont 3000 pour le seul désert du Sonora de 1998 à 2017. Cependant à Agua Prieta, des gardes hispaniques sont plus accommodants que les gardes des états du Nord que Trump cherche à déplacer le long de la frontière.

Autre information fournie par B. Lemartinel, il existe, côté mexicain un « Guia del Migrante » à l’usage des candidats à la migration, guide qui peut tenter des migrants clandestins et affaiblir le projet de D. Trump. Pour compléter ces éléments un article récent et de qualité du Monde :

https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/01/18/cinq-choses-a-savoir-sur-la-frontiere-mexique-etats-unis-et-sur-le-mur-que-trump-veut-etendre_5410740_4355770.html
  • Un mur tourné en ridicule :
Avec l’arrivée de la « caravane des migrants » en 2018, Trump déclare « l’urgence nationale » contre cette submersion migratoire venue des états d’Amérique centrale (Honduras, Guatemala). Une urgence partout, même dans les boulangeries ! on fait des comparaisons (fictives) comme celle d’un mur qui en Europe irait de Nantes jusqu’en Thrace (!) pour matérialiser sa longueur  et l’ampleur des travaux à réaliser.
Un mur qui coûtera 16, 18 milliards de $ ? Non, 21 milliards. On en a construit 300 sur 3200 km au total, pour l’instant. Un échec….

De plus, ce mur est véritable cadeau pour les passeurs, les cartels de la drogue, de la prostitution, du crime.  Pour parodier ce mur, un député mexicain est monté, s’est juché sur le mur et rigole….. ( Lien fourni par B. Lemartinel):

Et d’ajouter que l’on va ruiner les exploitations du sud de ces états américains, dépendantes de la main-d’œuvre mexicaine saisonnière ou clandestine. Nous avons pu apprécier les dessins, petites vidéos ou caricatures tournant en dérision le « mur de Trump ».  Ainsi un dessin montre le mur rabaissé, puisque les mexicains sont petits. Mais une autre voix corrige : « non il faut le rehausser, car ils portent des sombreros ! »…..

Autres traits grinçants ce projet : qui va fournir une bonne partie du ciment ? Les entreprises mexicaines. Quels ouvriers vont être employés ? Des Latino-Américains et des Mexicains.  Le conférencier montre d’autres dessins, soulignant le ridicule et l’absurdité de ce mur . « Si tu ne peux pas passer par dessus, passe par en dessous ». Où l’on voit des Mexicains creuser un tunnel sous le mur, en plaisantant et dénigrant celui-ci…. Je rajoute ce lien très drôle qui raille de façon intelligente cette réalité du mur, qui n’empêche pas des enfants de jouer …..à travers le mur !   https://www.courrierinternational.com/article/etats-unis-des-balancoires-roses-travers-le-mur-la-frontiere-americano-mexicaine 

Cependant avec ce mur, les Mexicains ont le sentiment d’être méprisés. Ils ne rejettent pas la frontière, mais ils n’acceptent pas l’image que Trump donne d’eux-mêmes ou des Latino-Américains avec celui-ci. Pourtant, chez les migrants hispaniques installés  aux Etats-Unis,  c’est une frontière qui protège, qui rassure. 

L’auteur rappelle ensuite les pourcentages (~80%) d’hispaniques présents le long de la frontière E-U/Mexique dans chacun de ces états du sud des Etats-Unis. Ces hispaniques se retrouvent aussi en Alaska et à Hawaï, et bientôt la Californie sera peuplée majoritairement d’hispaniques ou de leurs descendants .
  • Le mur, un symbole, un slogan : une affaire intérieure  des Etats-Unis :
    
Depuis 2000, le nombre d’arrestations a chuté considérablement, comme celui des expulsions vers le Mexique ou les états latino-américains. Et comme nous le savons, il y a plus de retours de Mexicains des E-U que de départs depuis le Mexique vers les Etats-Unis. Ce qui n’empêche pas la réussite aussi des migrants. L’auteur nous montre une photo personnelle « a Peon family » un couple avec un enfant dessiné sur le mur à El Paso :



La signification est claire : le franchissement de la « cortina del nopal » (cactus) permet le passage de la pauvreté mexicaine (femme en habit traditionnel) à la modernité représentée par une famille hispanique de taille réduite, (en habit occidental)…. 

Mais une frontière qui est très violente : on recense 8 à 900 crimes par an, le long du mur, côté mexicain. Chiffres très porteurs pour Trump à la veille de la campagne pour la présidence de 2020.

Une diapo sur Isabel Allende tirée du plan Infinito de 1991, nous précise que si on n’affronte pas les Blancs dans les villes, on peut vitre avec …

Un mur qui rapporte aussi. On y fait des affaires, on fabrique, on achète, on vend de chaque côté de la frontière. Ce sont les « maquiladoras », qui se sont multipliées dans les années 80/90 et ont prospéré avec le différentiel salarial (3 à 400$ côté Mexique, contre 1500 $ côté américain), malgré des fermetures à la fin des années 2000 . Les mexicains y tiennent, malgré les conditions de travail mauvaise et l’insécurité forte. 
  • Un mur qui en cache d’autres…:
    
Ce « mur », la frontière américano-mexicaine créent indirectement une autre frontière au sud du Mexique avec les ressortissants du Guatemala, du Honduras, et du Salvador qui veulent la franchir pour migrer ensuite vers les E-U. De jeunes salvadoriens, honduriens sont tués par les gardes policiers mexicains à la frontière sud du Mexique. D'ailleurs, cette frontière du sud du Mexique voit passer plus de 500.000 migrants chaque année ! Il s’agit de la frontière par où est passée la «caravane de migrants » de Salvadoriens, Honduriens ou Centre-Américains qui vint buter sur la frontière E.-U. /Mexique à Tijuana en 2018. En laissant passer cette "caravane" le Mexique mit la pression sur les Etats-Unis. Mais au final , le Mexique souhaitait trouver sur ce « mur » un accord avec les Etats-Unis.

Conclusion :  le mur est une représentation identitaire du Nord qui n’existe plus. Elle est dépassée par les chiffres, les évolutions, les faits. Ce mur est une affaire intérieure américaine exacerbée par D. Trump à des fins électorales (élection présidentielle de 2020). Les perceptions mexicaines, latino-américaines sont en revanche hostiles au mur. Cependant l’idée d’une frontière classique est acceptée. B Lemartinel finit son exposé avec une chanson de Carlos Santana « Migra, migra»… Le titre vient de l'album « Supernatural » de C. Santana. La chanson dit en substance que le migrant est sans doute méprisé ("desprecio en tu corazon", mais que celui qui le méprise a plus besoin de lui que lui de l'autre et qu'il faut le laisser en paix… Une belle conclusion. 

Au total un exposé dense, documenté, actualisé, vivant, drôle, et qui donne des pistes à creuser sur le sujet. Pour analyser, déconstruire les embardées, déclarations fracassantes ou projets de Trump et comprendre les enjeux nationaux, économiques, sociaux et migratoires du mur. Un regret : peut-être eut-il fallu montrer davantage  les cartels, les réseaux mafieux , coyottes (pas seulement mexicains, latino-américains) qui tiennent tant à ce mur…… comme Trump. Une réussite, que l’auditoire salua par des applaudissements mérités.

Pour les Clionautes, Pierre Jégo.

Sources : Photos personnelles de la frontière et du monde hispanique . Pour ce qui est des actualités, la presse quotidienne hispano-américaine lue cette année sur le Net (pour des raisons de copyright, j’avais laissé le nom des journaux et les dates sur les diapos) et les clips pris aux journaux télévisés, plus les parodies récupérées sur Youtube.