« Georges Clemenceau dit le père la Victoire (1841-1929), homme d’État, figure intellectuelle et politique de la IIIe République, a vécu dans cet appartement de 1895 à 1929 » nous renseigne la plaque à l’entrée du 8 rue Benjamin Franklin à Paris. Petit musée privé à l’écart des grands circuits touristiques de la capitale, le lieu mérite largement un détour. Non seulement Clemenceau est une grande figure de la fin XIXe-début XXème siècle, mais il s’agit ici d’une « maison des Illustres », c’est-à-dire d’une résidence capable de nous faire saisir l’homme privé derrière le politique. Sur les grands traits de sa biographie, je renvoie à la bonne et synthétique notice du site du musée qui par ailleurs fournit une bibliographie actualisée sur une autre page.

L’énigme Clemenceau

De la carrière de député flamboyant, engagé contre Jules Ferry et l’aventure coloniale, à sa fonction de président du Conseil entre 1917 et 1920 (après un premier exercice en 1906-1909), en passant par la farouche défense du capitaine Dreyfus à L’Aurore, la mise en place des « Brigades du Tigre » ou la répression de la révolte vigneronne de 1907 quand il était ministre de l’Intérieur (1906-1909), le grand public a retenu plusieurs épisodes fondamentaux de la vie du « Père la Victoire ».

Pourtant, ce sont davantage des fragments épars que des pièces formant un tout ; l’homme lui-même, dans son unité, reste difficile à saisir. Il y a un monde entre les discours corrosifs du député bretteur, la plume affutée du journaliste, et la très grande sensibilité de sa correspondance privée avec le peintre et ami  Claude Monet. La filmographie du Tigre, exposée dans une salle à l’étage pendant l’exposition « Clemenceau et le cinéma » (fin le 24 février), confirme d’ailleurs cet embarras : sur les 25 films énumérés, aucun ne dépasse la présentation d’un ou deux moments clés, aucun ne se risque au biopic intégral. Depuis quelques années, on parle de sa relation amoureuse avec Marguerite Baldensperger (téléfilm avec Pierre Arditi, BD).

Une des salles évoque la figure littéraire du Président Beaufort de Georges Simenon, excellement portée à l’écran par Jean Gabin en 1961. On a souvent dit que Clemenceau avait inspiré Beaufort et pourtant, comparaison n’est pas raison.

D’une certaine façon, voilà cet appartement de la rue Franklin, dans lequel Clemenceau a vécu plus de trente ans, investi d’un pouvoir particulier, celui de donner une unité de lieu à un parcours aussi contrasté qu’improbable.

 Situation

Niché dans le XVIème arrondissement, l’appartement en rez-de-jardin est ouvert au public depuis 1931 et dispose à l’étage d’une annexe d’exposition, entièrement modernisée en 2017. Depuis la rue, c’est à peine si on le remarque. En arrivant depuis la sortie de métro Passy, on est presque surpris de le découvrir juste avant le grand établissement Saint-Louis-de-Gonzague. C’est d’ailleurs cette même institution qui, en 1926, avait failli racheter l’immeuble où le Tigre n’avait vécu qu’en locataire. Mais grâce à l’intervention de James Stuart Douglas, mécène américain qui fit une meilleure offre, il n’en fut rien et Clemenceau put mourir tranquillement chez lui en 1929.

C’est assez cocasse que même dans la mort, Clemenceau, anticlérical notoire, poursuit très indirectement son bras de fer contre l’Eglise.

Depuis ce moment, la Fondation le musée Clemenceau a pour objet de « perpétuer le souvenir intime de Georges Clemenceau en conservant l’appartement dans l’état où il se trouvait le jour de son décès et en recueillant dans l’immeuble tout livre ou objet propre à servir sa mémoire ». Elle compte parmi son Conseil d’administration, des descendants de Georges Clemenceau ainsi que Jean-Noël Jeanneney, dont le grand-père, Jules Jeanneney, était un ami proche du Tigre. C’est un des traits attachants de Georges Clemenceau, pourtant haï de beaucoup, que d’avoir su s’entourer d’amitiés solides qui ont su, après son décès, entretenir et défendre sa mémoire, aux côtés de ses enfants.

La galerie-exposition du premier étage

Salle récapitulant les grandes lignes de la vie de Clemenceau au 1er étage
Les pistolets de duel de Clemenceau dans leur coffret (XIXème siècle)
Facsimilé de la proclamation du gouvernement provisoire au peuple française de 1848. Acte fondateur de la Seconde République, ce document fut remis par Arago à Clemenceau.

Très bien organisée, la galerie alterne documents, tableaux, objets divers avec les indispensables explications muséographiques.

Le visiteur pénètre d’abord dans une salle « frise chronologique » où sont rappelés les principaux jalons de la vie de Clemenceau. Puis, chaque salle décline un grand thème ou moment. Parmi les jolies découvertes, il y a un facsimilé de la proclamation du gouvernement provisoire au peuple français (1848), dont l’original fut offert à Benjamin Clemenceau (père de Georges) par Arago et qui porte notamment les signatures de Blanqui et de Lamartine. On trouve aussi des traces de la correspondance entretenue avec Louise Michel pendant sa déportation en Nouvelle-Calédonie. Parmi les objets, on pourra s’arrêter sur les pistolets de duel de Clemenceau, aussi habile au tir qu’à l’écriture.

Les tableaux ne sont pas nombreux. On trouve par exemple une copie du célèbre tableau de Raffaëlli présentant Clemenceau lors d’une réunion électorale à Paris en 1885 ainsi qu’une huile sur toile de Rousseau-Decelle, presque mystique, qui montre la proclamation de l’armistice à la Chambre le 11 novembre 1918.

Clemenceau prononçant un discours lors d’une réunion électorale au Cirque Fernando à Paris en 1885. Copie de Pierre Mondan (1900-1981) de la toile de Jean-François Raffaëlli (1850-1924).
Clemenceau annonçant la signature de l’armistice à la Chambre le 11 novembre 1918, par René Rousseau-Decelle (1881-1964), huile sur toile, 1918

Grand amateur d’art, Clemenceau s’intéressait à la peinture, au théâtre, au cinéma, à l’Extrême-Orient, avec un œil extrêmement affûté et une sensibilité inattendue, pour qui ne connaîtrait le Tigre que par ses discours virulents. Ami personnel de Claude Monet, Clemenceau possédait trois tableaux du maître de Giverny, un Autoportrait, Le Bloc et Les Gondoles de Venise aujourd’hui exposés à Orsay ou dans des musées étrangers. Sa collection aurait été plus conséquente si l’affaire de Panama et les échecs politiques consécutifs ne l’avaient pas autant appauvri et contraint de revendre une grande partie de son patrimoine. Il reste toutefois quantité de petits objets comme des boîtes à encens japonaises, disséminées dans les salles ainsi que dans l’appartement.

Ensemble de trois boîtes à encens (kôgô), époque Edo (1603-1868), en forme de tortue (style fushinoyaki), d’éventail (style kikkôyagi) et de fleur (style sometsuke)

Signalons que deux fois par an, des expositions focus complètent l’étage : Clemenceau accueille Victor Hugo, Clemenceau et Gustave Geffroy, Clemenceau et les photographes de l’intime, Clemenceau et la Justice, Clemenceau et le cinéma, et prochainement Clemenceau et le sport etc…

L’appartement en rez-de-jardin

On est ici dans la dernière demeure du Tigre.

Dès son entrée dans l’appartement, on est saisi par cette odeur propre aux vieilles pièces.

L’appartement n’est pas très grand, une centaine de m² tout au plus, sans compter la cuisine, fermée à la visite. La partie autrefois dédiée aux commodités a été transformée en espace de paiement et en penderie. On ne manque pas d’humour en ces lieux…

Sur la gauche, la première pièce est la salle à manger, la pièce la plus vaste de la maison, avec ses tentures restaurées en 2018. En prolongeant l’entrée, un petit couloir mène à la salle de bain avec sa baignoire sur pied, ainsi qu’à une antichambre transformée en bibliothèque. L’ensemble est sobrement élégant.

Le vrai joyau, c’est le jardin, insoupçonnable depuis la rue. Il ne faut pas hésiter à se faire aider par l’aimable personne à l’accueil, pour ouvrir la porte-fenêtre, un peu résistante. Clemenceau étant passionné d’horticulture, l’endroit doit être encore plus remarquable à la belle saison.

Le jardin en hiver

Les deux pièces les plus importantes sont la chambre, qu’on ne voit qu’en restant sur le seuil de porte, dans sa disposition du 24 novembre 1929, jour du décès de Clemenceau. C’est la pièce la plus chaleureuse, avec un couvre-lit et des rideaux aux couleurs vives. Une partie du mobilier est d’inspiration japonisante. L’autre pièce marquante est le bureau, avec une exceptionnelle table art nouveau en forme de C. Elle a été réalisée par l’ébéniste Gabriel Viardot, le même qui a réalisé une partie de la chambre (lit, armoire, boîte aux lettres), ainsi que les vitrines du musée d’Ennery (Paris 8ème), à la demande de Clemenceau.

chambre©M.Bury-WEB – Copie
Bureau
Cabinet de travail de G.Clemenceau©M.Bury
La salle à manger

Parmi les points de vue insolite :

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La salle de bain
Le portrait du chien

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