La rentrée 2022 a été marquée par une recrudescence d’atteintes à la laïcité dans les établissements scolaires, notamment au mois d’octobre (720 cas), c’est-à-dire le mois des commémorations liées à l’assassinat Samuel Paty. Dans la foulée, le ministre a publié un nouveau Plan laïcité, paru au Bulletin officiel (n°42, novembre 2022). Depuis, les signalements sont repartis à la baisse en janvier mais, selon les données officielles, environ 280 incidents restent recensés (282 pour le mois de février). C’est l’occasion pour nous de faire un point d’étape.
Le Plan laïcité
Le plan s’articulait en quatre axes :
- Sanctionner systématiquement et de façon graduée les manquements à la laïcité,
- Renforcer la protection et le soutien aux personnels (protection fonctionnelle, signalement sur le fondement de l’article 40 du Code de procédure pénale…)
- Appuyer les chefs d’établissement en cas d’atteinte à la laïcité (aide des équipes Valeurs de la République),
- Renforcer la formation des personnels et en premier lieu celle des chefs d’établissement (formation laïcité en cours de déploiement).
Le mérite du plan est qu’il s’efforçait de répondre concrètement aux problèmes rencontrés dans les établissements, dans la continuité du Vademecum sur la laïcité.
Prenons le cas, développé sous le premier axe, du régime de sanction applicable. Le texte prévoit qu’en cas d’atteinte à la laïcité, totalement ou partiellement caractérisée, l’élève (il est à l’origine de 80% des signalements) est reçu obligatoirement en entretien par le chef d’établissement. Les responsables légaux l’accompagnent s’il est mineur. Si l’élève persiste dans son mauvais comportement, alors la sanction sera automatique et adaptée à la situation. En cas de difficulté à qualifier la situation -on sait que le début d’année a consisté à disserter sur la dimension culturelle ou cultuelle des abayas-, le chef d’établissement doit s’appuyer sur l’équipe académique des Valeurs de la République, dont les effectifs et l’importance vont croissants.
La circulaire insiste sur l’obligation personnelle qui est faite au chef d’établissement de s’emparer de ses sujets, de respecter et diffuser la procédure réglementaire et même de s’assurer de l’effectivité des sanctions prononcées. Le texte insiste d’ailleurs sur la possibilité d’aller au plus haut de l’échelle des sanctions, de convoquer un conseil de discipline et même, en fonction de la situation, de le « délocaliser ».
Que peut faire l’enseignant ?
En l’état, le Plan laïcité rappelle que ce n’est pas à l’enseignant de déterminer si une tenue marque une appartenance ostensible à telle ou telle religion. L’annexe 1 le précise sans ambages :
Dans l’établissement, il n’appartient qu’au chef d’établissement, en lien avec l’équipe éducative, de se prononcer sur le fait de savoir si le port de tel signe ou tenue participe de la manifestation ostensible des convictions religieuses d’un élève, et donc méconnaît l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation.
En fait, l’usage qui prévaut est que, pour toute situation équivoque, c’est le comportement de l’élève en général qui permettra de déterminer dans quel sens interpréter le geste. C’est l’un des rôles de l’entretien et du chef de l’établissement de contribuer à démêler les fils de l’intention, de la provocation, de l’ignorance de la loi, etc. Toutefois, dans la pratique, cette place du chef d’établissement est équilibrée par celle, quasi constante, du C.P.E. (Conseiller principal d’éducation), globalement évacuée dans la circulaire, mais largement mentionnée dans le Vademecum (p.28).
L’enseignant doit donc rester prudent dans ses propos devant les élèves, tout en étant à la disposition du chef d’établissement pour transmettre le « faisceau d’indices » permettant d’apprécier la situation. Nous connaissons des situations où certains élèves peuvent flirter plusieurs fois avec la limite sur une année. Notre retour a sa pertinence mais finalement, dans la procédure elle-même, à moins d’être en prise directe avec l’incident, nous sommes assez vite mis de côté.
Le respect du principe de la laïcité par l’élève, dans sa globalité, peut également participer à fonder une appréciation quant à sa démarche et ses intentions. Ainsi, la présence de contestations d’enseignement, de refus d’une activité pédagogique, de contestation de la légitimité d’un professeur à enseigner au nom de motifs religieux, d’absentéisme sélectif, ou de prosélytisme peuvent constituer un faisceau d’indices concernant la volonté de l’élève de manifester une appartenance religieuse. Le chef d’établissement peut à ce titre faire appel aux enseignants qui connaissent l’élève concerné, qui pourront apporter leur contribution à la résolution du problème.
Ces comportements constituent, en soi, des manquements aux obligations des élèves. À cet égard, le chef d’établissement est invité à s’appuyer sur l’expertise des EAVR pour conforter la qualification des faits et des comportements observés.
On en revient à la formation à la laïcité, dont le texte appuie l’importance (axe 4), et qui sur le terrain n’a pas encore donné sa pleine mesure. 130.000 personnels en ont déjà bénéficié en date de novembre 2022 ; il y a encore du chemin pour atteindre les 900.000 professeurs du primaire et du secondaire. On ne parle d’ailleurs que des 900 000 enseignants là où le texte place au premier rang le chef d’établissement et que, dans lesdites formations, on trouve beaucoup de personnels de direction et d’assistants d’éducation. Le ministre se dit confiant qu’en poursuivant au même rythme, tout le monde aura reçu la formation sur trois ans. De notre côté, sans accélération de la cadence, nous ne voyons pas comment cela serait possible. Sur le fond, la formation a pu, par endroits, se limiter à une casuistique des atteintes à la laïcité, avec des éléments de contextualisation historiques qui nous paraissent mériter quelques approfondissements. Il est regrettable que les professeurs d’Histoire-Géographie ne soient pas plus systématiquement associés.
Les signalements pour atteintes à la laïcité
On l’a dit, après le pic du mois d’octobre 2022, il y a eu reflux et le dernier relevé, rendu public au début du mois d’avril 2023, indiquait 282 incidents. Cela reste un chiffre important quand on songe au caractère déjà assez ancien de la loi de 2004. Les témoignages dont nous disposons indiquent que tous les faits ne sont pas systématiquement remontés.
La totalité générale des annexes de la circulaire induit que la loi n’est pas simple à mettre en œuvre :
Annexe 2 : Répondre aux atteintes à la laïcité et aux valeurs de la République commises sur les réseaux sociaux
Annexe 4 : Fiche réflexe en cas de menaces sur un personnel ou mise en cause d’un personnel
Annexe 5 : La protection fonctionnelle en cas d’atteinte aux valeurs de la République
Annexe 6a : Modèle de plainte auprès du procureur de la République sur le fondement de l’article 433-3-1 du Code pénal
Il existe enfin un formulaire en ligne que n’importe quel personnel de l’Éducation nationale peut remplir, sans passer par son chef d’établissement.