Ce texte qui m’est adressé est bien entendu destiné à être porté à la connaissance des Clionautes et des abonnés de la liste H – Français.

Cher monsieur Modica,

Voici quelques éclaircissements sur une problématique que le système médiatique et internet semblent avoir transformée en montagne.
Dans l’ordre des événements, voici ce qu’il s’est passé !
A) Nous publions en mai 2005 – c’est le tirage des spécimens, ce que tout professeur de collège et de lycée connaît – un manuel d’histoire géographie pour les classes de 5e.

B) Comme chaque année, nous attendons le résultat de nos enquêtes collectives (= inter éditeurs) pour savoir quels sont les manuels adoptés, sur l’ensemble métropole-Dom Tom. Le but est naturellement de fixer au plus juste les quantités à réimprimer.

C) Entre mai et mi-juillet – en gros – nous relisons nos livres et corrigeons ce qui a pu échapper à la sagacité des auteurs et à l’attention des éditeurs.

D) Puis, on réimprime pour livrer avant la rentrée les commandes que les collèges ont transmises aux libraires.

C’est à cette période, dans le cas qui nous occupe, qu’un certain nombre de frémissements de terrain nous reviennent, comme quoi, dans une quantité (certes, indéterminée) de classes, la représentation du « visage » de Mahomet choquerait, par rapport à un usage aussi vivace dans l’islam que dans le judaïsme, qui consiste justement à ne point représenter Dieu ni les prophètes.

La réflexion s’amorce alors sur l’idée ci-après : il n’existe aucun portrait authentique de Mahomet ; cette miniature du XIIIe siècle persan, conservée à Édimbourg, est une œuvre d’imagination dont le véritable intérêt pour les élèves de 5e est de montrer qu’un individu, par son prêche, a converti des foules.

Pourquoi pas, dès lors, tenter d’éviter à bon nombre de professeurs de collège exerçant leur difficile métier dans des zones d’une extrême mixité ethnique et d’appartenance , voire de violence, le chahut, les cris et les injures racistes – ce qui arrive, inutile de se voiler la face. Il s’agit de contribuer à maintenir une certaine paix et un certain calme dans les classes.

En effet, les livres scolaires sont souvent mépris pour des vecteurs d’images, de représentations et de jugements de valeur, au lieu de simples véhicules d’application des programmes, transmettant des connaissances et des méthodes.

Donc, décision est prise pour la réimpression d’août 2005 de pixelliser le « visage » imaginaire de la miniature, de façon extrêmement ostensible. Pourquoi ostensible ? Eh bien, parce qu’à l’inverse de ce dont on nous accuse, nous avons « caché » le visage d’une manière qui pousse instantanément à la question « c’est quoi, ça ? » cette question est un but en soi ; elle ouvre un débat, dépassionné par cette absence d’image elle-même. C’est là où vos collègues qui enseignent l’Éducation civique et l’Histoire pourront parfaitement expliquer ce caviardage et le faire comprendre. C’est une mesure d’ordre « irénique » dans un manuel de 5e.

Certains de mes « aimables » correspondants – ainsi nommés par antiphrase – ont assimilé ce floutage à des procédés d’ordre stalinien ou nazi, ce qui me paraît d’une part totalement injustifié et d’autre part, une particulière insulte à la maison que je dirige, dont les prises de position et les publications n’ont jamais justifié – depuis plus de deux siècles – un iota de ce genre d’accusation.

J’ajouterai deux points, qui ne sont des « détails » comme disait l’autre, qu’en apparence.

D’abord, l’ouvrage incriminé est paru en mai 2005. La réimpression de l’ouvrage incriminé est parue en août 2005 – autant dire à la rentrée. Je n’ai reçu du corps enseignant du collège aucune réaction jusqu’à novembre 2006, date où j’ai reçu une lettre.
Il se trouve que cette lettre :

a) ne portait aucune signature manuscrite.

b) était – de fait – anonyme puisqu’elle est signée « équipe des professeurs d’histoire-géographie ».

c) J’ai donc appelé le collège pour avoir le nom des professeurs d’histoire et de géographie et je leur ai répondu nominalement en novembre 2006. Je n’ai reçu aucune réponse.
Ensuite, en avril 2007, une indélicatesse majeure s’est produite : une lettre adressée nominalement à ces trois professeurs paraît en fac-similé dans Charlie Hebdo, mais les noms des destinataires sont effacés et ma signature, si j’ose dire, magnifiée. Je ne sais naturellement pas qui a transmis à cet hebdomadaire mon courrier.

Cependant, ce que je sais c’est que ce trucage est d’autant plus inadmissible qu’on n’a pas le droit de reproduire une lettre sans l’autorisation de l’expéditeur, moi-même en la circonstance. Ainsi donc, les donneurs de leçons – de morale, d’histoire, de déontologie, de sens civique, etc. – pourraient parfaitement être attaqués pour cette publication.

Second point : les courriers ou mèls reçus chez Belin m’ont stupéfaite par leur grossièreté d’une part, et, de l’autre, par le constat que sur une info sortie de sites privés, il ne s’exerçait aucun esprit critique, aucune vérification ni recoupement. Pour des individus censés enseigner l’histoire, c’est plus que regrettable…

Enfin, je n’ai aucunement l’intention de revenir à la version « originale » pour deux bonnes et simples raisons :

a) Je ne suis pas sûre compte tenu de la conjoncture que j’aurai à réimprimer ce livre.

b) Pour jeter le trouble que j’ai cherché à éviter dans les classes, il n’y aurait pas meilleure méthode que de mettre dans le commerce une version différente de celle qui existe actuellement dans les collèges.

Croyez, cher Monsieur, que j’ai beaucoup apprécié le ton et l’attitude que vous avez vis-à-vis de ce petit problème : les deux m’ont rafraîchie après les propos injurieux qui ont été répandus sur une décision éditoriale qui peut certes se discuter, mais que j’assume.

Croyez à mes très cordiales salutations.

Marie-Claude BROSSOLLET