INTERVENANTS : Jean-Pierre DESCHODT, directeur du département d’histoire à l’Institut catholique d’Etudes supérieures (ICES), Aurélie GODET, maître de conférences à l’université Michel de Montaigne Bordeaux III, Christine MANIGAND, professeure à l’université de Poitiers, Pascal PERRINEAU, directeur du CEVIPOF, Centre de recherches politiques de Sciences Po. Le populisme témoigne-t-il d’une crise démocratique ? Ou bien, par son exaltation de la démocratie directe, est-il une conséquence inévitable de nos régimes représentatifs ? Est-il une nouvelle façon de penser la politique à l’heure de la mondialisation ?
Le populisme, le revers de la démocratie? ( Editions Vendémiaire)
Jean Pierre De Schodt (Institut Catholique d’études supérieures) sur la Russie et les États-Unis, Aurélie Godet sur le Tea party ( Université de Bordeaux) , Christine Manigand ( Paris III) et Pascal Perrineau(Cevipof) sur la France.
INTRODUCTION:
Le populisme est un concept difficile à définir mais très employé. Les populismes en Europe et en Amérique du Nord ont des variétés et des caractéristiques communes mais aussi de franches discordances…
Cette conférence est basée sur deux ouvrages issus d’un colloque de la maison de l’Europe rassemblant des historiens, des économistes, des politistes et des civilisation-nistes:Le Populisme, envers de la démocratie. Et le Tea party portrait d’une Amérique dé-sorientée.( Aurélie Godet).
Le Tea-Party est à la fois une branche du conservatisme, du libertarisme et du populisme.
Les Moments du populisme: pourquoi surgit-il? Quand? De 1850 à 1880.
Quelle définition? Le Populisme est difficile à saisir.Ce n’est pas une idéologie pas un système.On constate la plasticité du mouvement. Il existe un Populisme d’extrême droite mais aussi d’extrême gauche.
De nombreuses périodes et de nombreux espaces sont concernés: la Russie, les États Unis, l’Europe et le Venezuela d’Hugo Chavez.
Quand?La «Préhistoire» du populisme correspond aux années 1880: le boulangisme est le premier mouvement qui a toutes les caractéristiques du populisme.
C’est l’appel au peuple, c’est aussi le culte du peuple( Tagguieff) et la dénonciation des élites.
Pourquoi?C’est la crise de la modernité: une transition sociale sans précédent. C’est l’Industrialisation de 1850 à 1880, et ses conséquences sociales.
La Crise des années 30: ce sont les ligues! Symptôme populiste mais pas uniquement populiste mais aussi fasciste et totalitaire; c’est une matrice populiste mais avec une com-posante totalitaire.
Les Années 50; c’est le poujadisme puis la grande vague protestataire de la fin des années 60 et enfin la crise pétrolière des années 1970.
Dans les années 1980, le phénomène est désormais enraciné…ce n’est plus seulement une «flambée» en Europe mais un populisme persistant.
LA PREHISTOIRE ET LES RACINES DU POPULISME ( De Schodt)
Le Populisme est un mot amphibie: c’est un iceberg à la fois visible et invisible…nous ne pourrons atteindre ses profondeurs abyssales encore à explorer…
Certains en font l’éloge, d’autres l’injurient; mais il est difficile d’avoir du populisme un usage neutre et objectif.
Ce mot ne se présente pas seul, mais toujours accompagné d’un adjectif : populisme libéral, populisme révolutionnaire, national populisme, populisme politique…
Venons en à l’Étymologie: populisme vient du latin populus ( et pas popularis). Il dépend donc du peuple.Mais le Peuple a déjà 2 définitions: l’ensemble des individus appartenant à la même société, ou l’ensemble des citoyens de la classe populaire.Le Populisme veut rassembler ces 2 définitions.
La matrice du populisme a 3 souches: le socialisme populiste russe et collectiviste. La Convention du Parti Populiste des États- Unis de 1892. Enfin en France, une école litté-raire née en 1929 . Le Peuple est au cœur de ces 3 souches. Le Populisme manifeste une préférence au peuple avec 2 définitions possibles:
Une Définition négative: une préférence aveugle et exclusive à tout ce qui est propre au peuple auquel on appartient.
Ou une Définition méliorative : une préférence déterminée au peuple auquel on appartient.
LE TEA PARTY AUX ETATS-UNIS.(Aurélie Godet)
Le Tea party, contrairement aux populistes européens n’a pas un leader charismatique; aux États-Unis: c’est un mouvement décentralisé et qui n’a pas de leader. Même si cer-tains cherchent l’étiquette de leader comme Sarah Pailin…
C’est une sorte de démocratie participative, sans programme et sans liste de ses membres. Comme on le dirait sur internet, c’est un mouvement «open source».
Le Tea party est «l’enfant bâtard» de la crise de 2008 et de la présidence d’Obama, vu par le Tea Party comme un président étranger et noir, c’est le président «communiste» des plans de sauvetage des banques et de l’étatisme économique.
Mais le Tea Party a aussi recyclé les concepts américains du XIXème siècle et du poujadisme européen.
Quels sont ses militants? Sont- ils comme le Front national en France?
C’est très différent: le militant du type tea party est un homme blanc de classe moyenne mais qui a un sentiment de déclassement car il paye trop d’impôts et l’état fédéral est beaucoup trop présent. Mais c’est aussi souvent un employé ou un retraité. 32% des mili-tants du Tea Party sont des retraités. Il a un domicile et il a un emploi, ce n’est pas lui qui souffre le plus de la crise…
Alors que le militant FN rassemble plutôt 33% de la classe ouvrière et 25% des petits patrons et commerçants. Il est souvent au chômage et appartient aux classe défavorisées.
LE POPULISME EUROPEEN
d’après Pascal Perrineau.
Le Populisme est d’abord une action politique et non une idéologie. Il touche à la fois la Gauche comme la Droite. Hugo Chavez appartient à un populisme assumé…
Aux États Unis: le Tea party n’a pas de leadership populiste. C’est autre chose: il n’y a pas de leader, c’est différent du culte du chef européen et français.
Le Populisme n’existait que sous la forme d’un«feu de paille» électoral comme le poujadisme en 1956.
Mais sa réalité électorale est en 2012 parfois écrasante. Dès les années1980/90, il y a une logique nouvelle d’enracinement: le FN dès 1983, le Parti de la liberté aux Pays Bas, la Norvège et le Danemark, en Suisse :l’UDC devenu premier parti des suisses, l’Autriche, la Hongrie, la Bulgarie ont tous un populisme enraciné.
Cependant, certains pays y échappent comme le Portugal ou l’Espagne et la Grande Bretagne.
Des explications? En Espagne ou au Portugal, c’est le souvenir de la dictature qui discré-dite les mouvements populistes d’extrême droite.
En Grande Bretagne, c’est le mode de scrutin majoritaire à un seul tour qui empêche les populistes d’émerger…
Ces Forces populistes en Europe sont diverses cependant: Aux Pays Bas, le parti de la liberté défend la minorité homosexuelle ( c’est avant-gardiste! ) Jean Marie Le Pen n’a pas le même libéralisme sexuel…
Certains de ces mouvements sont ultra libéraux, d’autres interventionnistes. La mutation du FN du libéralisme de Jean Marie a l ‘étatisme de Marine montre une évolution sur ce point…
Certains de ces mouvements sont centralisateurs contre d’autres dans la défense des périphéries. Le FN en France s’oppose à la Ligue du Nord d’Umberto Bossi en Italie.
Le Populisme peut-il être séparatiste? Oui, le parti nationaliste flamand comme la Ligue du Nord nous le démontrent…
Donc cette diversité explique l’impossible union internationale des ultra-nationaux. À Strasbourg ils sont dans 3 groupes, éclatés… Rarement unis car ultra nationalistes. Très difficile de faire une internationale des nationalistes, c’est encore pire que de faire une Internationale des Partis internationalistes…
Mais le leadership en Europe est bien marqué. Il y a de plus en plus leaders féminins: Norvège,Danemark, Marine Le Pen….c’est la montée irrésistible du populisme féminin!
Le populisme européen identifie la communauté au peuple, c’est une conception du peuple vécu comme homogène combiné à un antisémitisme forcené. Mais le populisme a aussi une capacité extraordinaire de syncrétisme: elle pioche partout son programme économique, politique et social; du socialisme au communisme en passant par le libéralisme…
Et cela marche en période de crise, comme le montre les résultats du FN, qui rassemble tous les milieux sociaux et toutes les générations. Cela marche toujours mieux chez les hommes que chez les femmes, surtout chez les hommes de18/24 ans et de 25/34 ans. Les jeunes de milieu ouvrier de 18/24 ans ont voté à 45% pour Marine Le Pen, en 2012.
Comment le populisme arrive-t-il au pouvoir?
Parfois en collaborant avec la droite comme aux Pays-Bas, en Autriche et en Italie; mais aussi en collaborant avec la gauche, et c’est moins connu, en Slovaquie.
Cette force perturbatrice révèle un «malaise dans la civilisation» comme l’a dit Freud. Après la Crise de 1929, Freud pointe les raisons d’un retour des idéologies à caractère mortifère (Thanatos , la pulsion de mort; opposée à Éros, la pulsion de vie).
Pourquoi l’Europe civilisée est elle touchée à Vienne et à Berlin?
Il y a un profond malaise dans la culture occidentale. On a voulu tout fonder sur la Raison, mais on a oublié la pulsion d’agressivité à l’œuvre chez tout humain, et une pulsion non reconnue revient toujours plus violemment que jamais…
Aujourd’hui, en 2008/2012, il y a un «malaise dans la modernité».
Ce malaise compte 3 visages:
- Un Malaise de la modernité économique: c’est le passage du vieux capitalisme indus-triel à un capitalisme post industriel, financier et dérégulé. Ce ne sont pas les mêmes ac-teurs sociaux: plus de classe ouvrière face à la globalisation. Cette couche sociale rentre dans un moment de protestation des «perdants de la modernisation» (modernisation lo-sers).
La Gauche extrême populiste n’a pas réussi à articuler cette protestation; c’est l’échec de Mélenchon dans le vote des ouvriers face à Marine Le Pen en 2012…
- Un Malaise sociétal: 3 mouvements sont anxiogènes: la globalisation, l’ouverture euro-péenne , et l’immigration qui donne une société plus cosmopolite et moins homogène. C’est l’angoisse des populations face à la fracture sociale. Certains défendent la mondialisation, d’autres disent que c’est à la fois une perte d’identité et une perte de nos repères….
Le Populiste exploite ce sentiment pour retourner vers une société nationale centrée.
- Un Malaise politique: C’est une vision du rapprochement gauche/droite, de l’UMPS qui provoque la déception des électeurs
La Société Politique est perçue comme trop consensuelle. Cela donne un espace à l’alternative des forces antisysteme face en France au système UMPS selon le père et la fille de la famille Le Pen.
Le Populisme se présente comme la seule vraie alternative…
Avec la crise de 2008, ces 3 Malaises font fusion et c’est un espace politique formidable qui s’ouvre pour le populisme.
La différence par rapport à 1929, c’est la capacité de réaction face à la crise des élites po-litiques comme Gordon Brown au Royaume-Uni ( même s’il perd les élections). En 1929 les élites politiques étaient totalement dépassées et n’avaient aucune notion keynésienne, sauf ROOSEVELT et son New Deal, aux Etats-Unis… 2ème différence, les garde-fous sont bien plus importants en 2012 qu’en 1929.
RETOUR AUX ETATS-UNIS ET AUX ORIGINES DU TEA PARTY
avec Aurélie Godet.
3 marqueurs populistes sont présents aux États Unis: Obama président illégitime car perçu comme un étranger;Washington perçu comme un gouvernement corrompu et la liberté des citoyens toujours mis en danger par le gouvernement fédéral.
Le But est donc de recréer des corps intermédiaires avec l’usage du référendum alors que les pères fondateurs s’en méfiaient énormément…
La Réforme de la couverture maladie est le point de concentration du Tea Party contre l’ État, vécue comme anticonstitutionnelle et communiste. L’État fédéral est illégitime dans toute intervention économique. Le Populisme veut reprendre le contrôle au niveau des initiatives locales, contre l’État fédéral. Il a toujours une plus grande confiance dans l’état local que dans l’État fédéral, et pas seulement pour la santé publique…
Sa stratégie électorale est en partie une alliance avec le Parti Républicain, pour obtenir 40 élus en 2010, mais il y a toujours une fraction du Tea Party qui la refuse et veut se construire en dehors de tout parti et de manière décentralisée.L’alliance électorale n’est pas forcément reconnue par base du Tea Party.
Quelle est la posture populiste aux Etats-Unis entre 1892 et 1908?
De Schodt répond que le Mouvement populiste américain cherche des électeurs, il met donc en place un discours pour capter l’attention des citoyens américains.
Il lutte alors avec trois thèmes: contre le monopole de la Terre, celui de l’Argent, et enfin celui des Chemins de fer.
Les réponses pour chaque thème sont les suivantes: la possession de la Terre se fait par le droit d’occupation du premier venu. La Planche à billet est utilisée pour redonner une valeur acceptable à l’argent dans les années 1870. Enfin,le tarif du chemin de fer pour les fermiers est dénoncé.
Donc le sentiment d’injustice s’incarne dans un rapport de force et d’antagonisme entre les «gros» et les « petits», entre créanciers et débiteurs, entre «nantis» et «pigeons».
RETOUR EN EUROPE
avec Pascal Perrineau.
Verra-t-on un front commun des populismes? Est-ce un danger pour la démocratie?
Les Variantes des populistes l’emportent toujours sur l’unité. Il y a eu plusieurs tentatives d’union mais jamais réussies.
Le Combat pour l’unification avec Jean Marie Le Pen dans les années 1980 à Strasbourg, achoppe toujours sur la question nationale.
Exemple: la Question du Haut Adige oppose les Republikaner allemands et le MSI italien, ils s’affrontent et quittent le groupe européen crée par Jean Marie Le Pen
2ème exemple: le Groupe crée par Bruno Gollnisch avec des français, des italiens et le parti romania mare pour une grande Roumanie.Des faits divers en Italie avec 2 meurtres avec des immigrés roumains à leur origine. Cela provoque l’attaque antiroumaine des populistes italiens et provoque le départ des roumains et la fin du groupe qui a duré 6 mois seulement…C’est donc un Fantasme que l’unification européenne de ces mouvements nationaux populistes.Et c’est encore plus impossible pour tous les populismes de gauche et de droite même s’ils ont des points communs nourris par la crise économique et sociale
Le National populisme n’est pas seulement une question posée à la droite, mais aussi une question sociale posée à la gauche. La Gauche doit son identité politique à son identité sociale autour des ouvriers, mais aujourd’hui les ouvriers se sont détournés de la gauche.
Le résultat des présidentielles de 2012 montrent une corrélation élevée entre montée du FN et baisse du total des voix de gauche. Les scores les plus élevésde Marine Le Pen par rapport à Jean Marie Le Pen sont là ou il y a la plus faible progression de Hollande par rapport à Royal. Le vote ouvrier est parti ailleurs. Quelle est alors l’identité sociale de la-gauche? La seule catégorie sociale où François Hollande est en tête dans les sondages d’opinion en octobre 2012 sont les cadres supérieures et les professions intellectuelles et la seule catégorie d’âge chez les 18/24 ans.
CONCLUSION: Donc l’Europe est touchée de plein fouet par le populisme, et comme hier en Amérique Latine,le populisme recompose tout le paysage politique d’aujourd’hui en Europe.