Rendez-vous de l’Histoire de Blois 2018, vendredi 12 octobre, Bibliothèque Abbé Grégoire
Intervenante : Jeanne-Marie Jandeaux est docteur en histoire moderne de l’École des hautes études en sciences sociales, archiviste paléographe (ancienne élève de l’École des chartes), membre du Centre Lucien Febvre de l’Université de Franche-Comté, chercheuse associée au laboratoire ERMES de l’Université Nice Sophia Antipolis ainsi que directrice du Service commun de la documentation de l’Université de Franche-Comté.
Les programmations prévues dans le cadre feutré de la bibliothèque Abbé Grégoire durant les rendez-vous de l’histoire réservent décidément d’excellentes surprises sur des sujets inattendus. Vendredi 12 octobre, Jeanne-Marie Jandeaux nous proposait de revenir sur un document emblématique de l’Ancien Régime, dont l’image reste synonyme encore de nos jours de l’Absolutisme et de l’arbitraire royal : la lettre de cachet.
A l’occasion des rendez-vous de l’histoire de Blois, elle nous présentait son ouvrage Le roi et le déshonneur des familles. Les lettres de cachet pour affaires de famille en Franche-Comté au XVIIIème siècle, publié aux éditions de l’Ecole en décembre 2017 (préface André Burguière).
Cette étude revient sur la façon et la procédure par lesquelles les familles recourent à l’Etat pour régler leurs conflits au XVIIIème siècle. Par cet appel au Monarque, les parents cherchent à faire corriger leurs fils ou épouse d’un comportement anormal ou d’une déviance, afin d’éviter que la famille ne soit flétrie par un éventuel procès que ce comportement pourrait provoquer. Les familles ne se tournent pas alors vers la justice déléguée par le Roi, celle des tribunaux classiques, mais vers la justice retenue du roi, celle exercée directement par ce dernier par le biais de la procédure de ces lettres de cachet.
L’imortance de sources jusqu’alors ignorées
Les sources principales consultées par Jeanne-Marie Jandeaux sont celles de la province de Franche-Comté. La lettre pour affaires de famille, présente dans toutes les provinces, est conservée dans la série C des Archives départementales de la région. Les dossiers comprennent plusieurs pièces assez riches en informations puisqu’ils contiennent :
– la demande de la famille : un mémoire ou placet, document solennel par lequel on demande au Roi la grâce d’accorder un ordre pour faire enfermer un parent,
– toute la correspondance administrative : une enquête longue, fastidieuse et contraignante, est menée par l’administration royale ; ces pièces constituent l’essentiel du dossier,
– tous les documents de gestion liés à la détention du prisonnier.
D’autres fonds ont été également consultés comme les archives des tribunaux provinciaux et le fonds du Comité des Lettres de cachet conservé aux Archives Nationales concernant les lettres de cachet durant la période révolutionnaire.
On pourrait penser que l’historiographie a beaucoup travaillé sur ces documents riches, car ils permettent d’appréhender l’histoire institutionnelle de l’Ancien Régime dans la période pré-révolutionnaire, mais aussi l’histoire familiale, sociale et l’histoire carcérale. Mais en réalité, le poids du symbole est tellement fort qu’il existe en réalité peu de travaux sur la question, les historiens semblent au contraire avoir fui ces lettres de cachet dont la légende noire reste encore synonyme de l’oppression et de l’arbitraire de l’Ancien Régime, tels qu’ils ont été dénoncés dès 1789.
Au total, ici, presque 300 dossiers ont été dépouillés aux Archives Départementales de la Haute-Saône du Jura et du Doubs. Ils sont essentiellement postérieurs à 1750, en partie pour une raison majeure : l’institution a connu un gros essor car l’administration s’est retrouvée confrontée à une hausse des demandes et elle a dû s’adapter en conséquence pour répondre à la demande.
L’étude de ces lettres de cachets permet, au final, 3 approches de la toute fin de l’Ancien Régime :
- Le fonctionnement de l’Etat et de ses institutions, ici l’intendance de Franche Comté qui représente le roi dans la province ; l’intendant, qui dirige les subdélégations de la province, est sous la responsabilité directe du Ministre de la Guerre, car il s’agit d’une province frontalière
- Les relations familiales et la manière dont une famille se déchire sous l’Ancien Régime,
- Les prisons de la correction familiale à la fin de l’Ancien Régime, avec en parallèle la finalité de l’enfermement.
Le fil conducteur de cette étude est basé sur le rapport qui unit l’Etat, le Roi, les familles et l’individu qui est accusé.
Que signifie cette pratique de l’enfermement correctionnel ?
Il s’agit en fait d’une conséquence concrète de la coopération entre le chef de famille, le père, qui représente le Roi au sein de cette dernière, et le monarque, car l’idéologie de la Monarchie de droit divin érige le Roi en Père de tous ses sujets.
Le monarque doit connaitre l’individu et les familles. Il est aussi le juge de tous ses sujets, donc il exerce ainsi sa justice directement sans passer par ses juges ; il applique ce pouvoir judiciaire ancestral à la manière de Saint Louis sous son chêne.
Mais si nous creusons plus loin, l’objectif politique apparaît assez vite puisque nous observons que la lettre de cachet de famille est aussi un instrument de police. En effet, l’objectif du roi est de faire respecter l’ordre dans le royaume. Le parallèle ordre social/ordre familial est prégnant : si l’ordre règne dans les familles, l’ordre régnera dans le royaume, donc pour que le royaume soit en paix, le père de famille doit faire respecter l’ordre au sein du foyer.
C‘est aussi une manière de contrôler la famille, qui est un contre-pouvoir potentiel (le souvenir de la Fronde étant toujours présent, d’autant que ce sont d’abord ses « bonnes familles » nobles que le roi protège). Il s’agit pour le Roi de contrôler et de limiter la correction par « charte privée », cette dernière étant demandée et décidée par les familles seules. En effet, placer l’enfant dans un monastère est synonyme d’arbitraire paternel. Or, l’Etat cherche aussi à limiter cette pratique ancestrale très forte. Par conséquent, l’Etat fait de la famille un instrument de sa police.
L’enfermement familial est la facette la plus cruelle du droit de correction. Mais ce que craignent le plus les familles est un scandale où le nom de la famille serait associé puis flétri. Par conséquent, un vrai consensus social a lieu autour de cette procédure qui concentre la majorité des lettres de cachet expédiées à l’époque. Or, cette réalité abordée principalement que sous son angle politique, a pu chagriner les historiens révolutionnaires puis républicains, car la lettre a une autre réalité qui fait l’objet d’un consensus contre elle.
Typologie des lettres de cachet :
Il en existe quatre types :
– les politiques : symboles de l’arbitraire royal, liées à des affaires célèbres (le Masque de Fer, Nicolas Fouquet …). Ce sont les plus connues. Au XVIIIème siècle, elles sont peu nombreuses, voire rarissimes en province. Parfois, les délits d’imprimerie peuvent y être associés (à moins qu’ils ne soient compris dans l’usage policier des ordres du roi).
-les lettres de cachet de police : elles accompagnent la naissance de la police moderne à Paris. Fait du lieutenant général de police de Paris, elles permettent de faire régner l’ordre dans la capitale, de saisir les suspects puis éventuellement de les confier aux juges,
– les lettres de cachet pour discipline militaire ou religieuse : elles ont pour but de punir un membre du clergé ou un soldat, par exemple à cause d’une liaison, de troubles mentaux, d’alcoolisme … La moralité est cruciale et à ce titre, la discrétion de la lettre de cachet est pratique.
– les lettres de cachet pour affaires de famille : elles se développent surtout après 1740. Elles obéissent à des règles et possède des caractéristiques particulières très strictes avec notamment l’en-tête présent sur toutes les lettres débutant par la formule « de par le Roi sa Majesté étant informée que …. »
Lettre de cachet de Pierre d’Aubert de Résie – Source : ADHSC72
Par définition, la lettre de cachet peut exprimer tout ordre du Roi et tout peut être sujet à un ordre du roi. La lettre est écrite et signée par le Roi. S’y ajoute une contresignature du Ministre qui gère la province où réside le destinataire de la lettre. Elle est repliée sur elle-même et est entourée d’un bandeau sur lequel un cachet de cire a été apposé, cette mise en forme finale ayant donné son nom au document. Le destinataire est la personne qui va se faire enfermer ou celle en charge de la faire arrêter ou détenir. La lettre ne précise aucune période de fin, l’enfermement ayant lieu jusqu’à nouvel ordre du roi. Mais en réalité, il est au bon vouloir des familles. Souvent, deux lettres de cachet sont envoyées : l’une est destinée à l’accusé et l’autre aux maisons de force où il va être reçu.
La procédure
La lettre de cachet n’est jamais expédiée automatiquement, une enquête préalable est menée.
Dans un premier temps, la famille envoie un mémoire soit à l’intendant, soit au Roi ou au Ministre concerné à Versailles. Une procédure de type descendante est alors menée. Une enquête est demandée à l’intendant qui demande ensuite une enquête sur le terrain au subdélégué. Ce dernier va enquêter sur place, interrogeant la famille, les voisins et le curé de la paroisse. Puis, le même cheminement en sens inverse est opéré. A la fin, le Roi décide de délivrer ou pas la lettre de cachet. Au final, tout l’appareil administratif se mobilise y compris pour des toutes petites familles.
La maréchaussée vient chercher et amène le détenu dans son lieu de détention. En majorité, les détenus sont enfermés pour une durée allant d’1 à 3 ans. Mais certains restent emprisonnés 10 ans voire plus, ce qui peut paraître sévère au regard des motifs. Une fois détenu, le prisonnier a parfois accès à du papier et de l’encre : il peut enfin s’exprimer. En effet, jamais on ne lui demande de se défendre durant la procédure, basée sur le secret, il ne le fait qu’une fois qu’il est emprisonné !
Qui cherche-t-on à enfermer ?
L’étude du statut familial des accusés montre que les personnes visées en premier sont des hommes, relativement jeunes (entre 25 et 35 ans). Cela correspond au moment où le pouvoir paternel se crispe, au moment où un fils est en âge de s’établir et réclame son dû pour s’installer et se marier. Puis viennent les épouses, les filles et enfin les neveux, accusés par leur mari, leurs père et mère, leur oncle.
La lettre incarne le pouvoir patriarcal. Quand le père disparaît, la veuve et les frères reprennent ce pouvoir et peuvent l’exercer sur les membres de la fratrie.
Les familles concernées sont celles de la noblesse et de la bourgeoisie, pour deux raisons. Cette faveur est d’abord réservée aux « bonnes » familles, c’est-à-dire celles ayant un honneur à défendre. Le peuple n’ayant pas d’honneur est quant à lui est exclu de cette procédure, sauf très grande exception. Une catégorie professionnelle spécifique se distingue : les familles de la robe, c’est-à-dire le personnel judiciaire. Or, par définition, les juges de la justice déléguée sont opposés publiquement à la justice retenue, mais l’attitude privée est toute autre car l’étude démontre qu’ils sont les premiers à demander les lettres de cachet.
L’autre raison est liée à des motifs financiers inhérents à la détention puisque la pension à payer pour l’occasion qui comprend en premier lieu la nourriture et le chauffage, est à la charge des familles qui peuvent payer. Cette situation explique aussi pourquoi le peuple est exclu de cette procédure.
Pourquoi enfermer un parent ? Les motifs
Plusieurs motifs sont avancés, mais les familles restent en général très vagues.
Ils sont en général liés à l’inconduite, à la débauche, à de mauvaises moeurs et au libertinage, ce dernier terme ne faisant pas nécessairement référence à un comportement sexuel déviant, mais plutôt à une attitude sortant des formes sociales acceptées par l’époque. Des petits délits sont aussi invoqués : des vols, des violences commises dans un état d’ivresse, une escroquerie, des faits de dissipation (comme le montre le cas des époux Rigollier, le mari accusant sa femme de dissiper les biens du couple) qui mettent ainsi en danger le patrimoine de la famille. La folie est également un motif commode, avéré ou non. En effet, certaines familles doivent faire face à de vrais cas psychiatriques problématiques à une époque où la médecine ne les traite pas à part entière. Afin d’éviter que le fou n’erre et ne crée un scandale, on l’enferme ainsi dans une maison religieuse.
Un exemple de la discorde dans le couple : les époux Rigollier (Source : AD Jura, C 109, 1755)
« Rigollier dans son placet presenté au roy a establi que demoiselle Marguerite Michel sa femme est passionnée pour les jeux d’hazards, qu’elle y passoit les nuicts, qu’elle y avoit perdu des sommes considérables, que pour y fournir, elle n’avoit cesse de voler son argent, de vendre ses danrées et autres effects, qu’elle l’a menacé de bruler sa maison affin de faire aussy consumer par le feu les maisons voisines, ses caiers, registres et le réduire dans la plus affreuse indigence, qu’elle a chassé scandaleusement de sa maison son frère unique, son beau-frère, ses associés et les personnes avec lesquelles il a des relations indispensables, qu’elle feroit périr son mary s’il ne crevoit pas, qu’elle seroit bienheureuse si elle estoit débarassée, que l’on luy avoit prédit qu’elle tueroit son second mary et qu’elle le tueroit , qu’elle estoit en habitude de jurer, de prononcer scandaleusement des horreurs, même envers son mary, qu’elle accabloit de coups et de calomnies les domestiques de façon qu’aucun ne pouvoit y rester.
Ce sont en partye ces faits qui ont determinés [sic] l’ordre du roy pour faire enfermer lad. Michel dans la maison des Ursulines de Seurre. Ces religieuses, au lieu d’engager cette femme à faire un retour sérieux et mettre à proffit son séjour dans cette maison, elles ont adoptés ses procédés et elles ont formés la résolution de ne rien oublier pour obtenir la révocation de l’ordre du roy ».
D’autres motifs intéressants émergent : les accusations de mésalliance tandis que les jalousies familiales et l’appât du gain ne sont jamais loin. D’ailleurs, à la fin du XVIIIème siècle, les plaintes pour abus se multiplient contre la lettre de cachet comme le montre le cas des époux Rigollier, mais aussi de Mirabeau, victime de la procédure. Mais au moment de se pencher sur le sort des individus enfermés, la Révolution Française se montre finalement très mesurée par la suite pour accéder aux demandes de libération, signe d’un accommodement paradoxal avec l’arbitraire de l’ancien monde qu’elle dénonce dans le même temps …
Cécile Dunouhaud
(Merci à Jeanne-Marie Jandeaux pour les documents et sa disponibilité)