Composition de la table ronde

La table ronde sur « le scandale de la mort  des enfants » est animée par Manon Pignot, professeure d’histoire contemporaine à l’université de Picardie. Elle est entourée de 4 spécialistes représentant les 4 périodes historiques.

  • Sophie Laribi-Glaudel, docteure en histoire de l’Antiquité grecque.
  • Didier Lett, professeur d’histoire médiévale à l’université Paris-Diderot.
  • Emmanuelle Berthiaud, professeure d’histoire moderne à l’université de Picardie.
  • Camille Mahé, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’IEP de Strasbourg.

Le sujet a attiré un public fort nombreux. Les échanges sont animés et modérés avec brio et parfois humour par Manon Pignot, dont la prestation a été manifestement fort appréciée du public.

 

Introduction

Manon Pignot introduit le sujet en évoquant l’impact médiatique et l’émotion considérable suscitée par la mort du petit Aylan, le petit  syrien âgé de 3 ans  retrouvé mort sur une plage de Turquie, en septembre 2016. La mort des enfants interroge en effet le seuil du tolérable et de l’intolérable. La mort d’un enfant, figure de l’innocence,  est bien souvent ressentie comme un scandale par les adultes, un drame insupportable.

M. Pignot rappelle le rôle pionnier dans les années 60 et 70 de Philippe Ariès  dans l’histoire de l’enfance et de la mort en France. Celui-ci avait émis la thèse d’une certaine indifférence des parents envers les enfants jusqu’à l’époque des Lumières. Cette  table ronde va en grande partie à déconstruire  cette vision.

 

Quelle place la mort des enfants occupe-t-elle dans vos recherches?

Selon Sophie Laribi-Glaudel , la mort des enfants a laissé peu de traces dans les sources de l’Histoire de la Grèce antique. Cependant, la mort des enfants n’est pas forcément vue comme une fatalité. Les petits enfants sont placés sous la protection des divinités et on essaye de les protéger de la mort par certains rites.

Didier Lett rappelle qu’au Moyen âge, la mort des enfants et des femmes en couches rôde partout. À titre d’exemple, Blanche de Castille, mère de Saint Louis,  a eu 12 enfants, dont 7 sont morts en bas âge. On retrouve des proportions identiques à Florence au 14ème siècle.  Il faut associer à cette mortalité infantile celle des femmes mortes lors de l’accouchement, réalité exprimée par  des dictons : « toute femme arrivée à l’heure des couches a d’ordinaire la mort à sa porte ». « Femme grosse a un  pied dans la fosse ». Le drame pour les parents, c’est que l’enfant meurt avant d’être baptisé.

Pour l’époque moderne, Emmanuelle Berthiaud confirme ce constat de la forte présence de la mort des enfants au moment des couches. On en retrouve la trace dans les écrits privés des pères et des mères, ce qui contredit l’idée d’une indifférence à la mort des nouveaux-nés.

Camille Mahé évoque le cas spécifique rencontré dans ses recherches : celui des enfants en France pendant le la seconde guerre mondiale. Les résultats peuvent paraître surprenants, car la mort des enfants est très peu présente. Il y a plus d’enfants orphelins que d’enfants morts, par exemple. Les enfants, en effet, ont souvent fait l’objet de mesures de protection visant à les mettre à l’abri des bombardements. Beaucoup ont été évacués vers les campagnes moins exposées.  Cette remarque ne concerne  pas évidemment le cas spécifique des enfants juifs déportés dans les camps et victimes du génocide. Le résultat serait également très différent pour le front oriental.

Quelles sont les traces des rites funéraires pour les enfants?

En Grèce antique, les traces sont peu nombreuses, mais Sophie Laribi-Glaudel indique qu’on a retrouvé deux cas d’inhumation de tout-petits dans des puits. L’un était  situé sur l’Agora à Athènes et a été daté du 2ème siècle av. J.C. Les corps des enfants morts semblent avoir éte déposés avec beaucoup de soin ;  on y a retrouvé aussi des os de chiens, sans doute des  animaux de compagnie et des céramiques, dont une statuette de la déesse Ilithyie, la déesse de l’enfantement. Parmi les ossements, beaucoup d’enfants avec un bec de lièvre, qui ne pouvaient être allaités et donc  survivre.  Ces traces prouveraient, selon l’intervenante, que ‘l’on prenait soin des tout-petits dans la Grèce antique ou du moins, qu’on était pas insensible à leur sort.

Au Moyen âge aussi, on retrouve des ossements d’enfants. Selon Didier Lett, on peut trouver des sépultures d’enfants ailleurs que dans les cimetières. Deux endroits semblent privilégiés ( mais difficiles à repérer par l’archéologie) : les endroits à la périphérie du cimetière, et  sous la gouttière de l’Eglise, lieu sacré.

À l’Epoque moderne, E. Berthiaud souligne l’importance pour les parents du rite du baptême et la pratique courante du répit qui permettait de baptiser un nouveau-né mort à la naissance. Ces rites et ces croyances permettaient de surmonter et d’atténuer la douleur de la mort, jusqu’au 19ème siècle.

Dans la deuxième moitié du 19ème siècle,  on assiste, en particulier  dans certains pays (la Suisse, la Grande Bretagne…) au développement des photographies d’enfants morts, dites « photographies post-mortem »,  qui permettaient  de conserver le souvenir de l’enfant au sein de sa famille. Cette pratique était assez courante, et on en a conservé de nombreux clichés.

Y Photographies Post mortem

Au 20ème siècle, cette pratique se perd. Camille Mahé note que pendant la seconde guerre mondiale, il n’existe pas, à sa connaissance, de rite funéraire particulier pour les enfants. Les commémorations portent plutôt sur des adolescents résistants, surtout des garçons.

 

Comment interroger l’émotion des pères et des mères à travers les sources?

Pour la Grèce antique, il existe évidemment fort peu de traces. Cependant, S. Laribi-Glaudel cite un texte de Plutarque intitulée « consolation à son épouse ». Cette lettre été écrite par Plutarque, à l’occasion de la mort de leur fille de deux ans, morte en son absence. Plutarque félicite son épouse d’avoir bien géré ce deuil, comme il sied à une personne de son rang. Mais en filigrane, il parle de sa fille avec tendresse,  se rappelant ses jeux.

Au Moyen âge, à partir du 13ème  siècle,  le grand fantasme chrétien est le massacre des petits enfants par les Juifs, au moment de la Pâque juive. Ce mythe perdure pendant des siècles et, au delà de l’antijudaïsme , il exprime l’angoisse des sociétés de voir tous les enfants mourir.

À l’époque moderne, E. Berthiaud estime que les enfants indésirables sont une réalité, de même que l’infanticide plus ou moins avoué et conscient. Cependant, dans le contexte des Lumières, on assiste à une mobilisation progressive pour la vie des enfants. Et l’enfant devient de plus en plus l’enfant de ses parents. Les témoignages de pères déplorant la mort de leur enfant sont plus nombreux.

Au 20ème  siècle, la mère éplorée et le père plus en retrait  demeurent une norme sociale.  L’enfant a de plus en plus de valeur, car la natalité diminue et la mort des enfants de plus en plus rare, donc elle devient  de plus en plus insupportable et « scandaleuse ».

En temps de guerre, pendant  la première guerre mondiale  notamment, la mort des enfants, du fait de l’ennemi, fait scandale en France. Elle fait l’objet d’enquêtes de police et elle est médiatisée par la presse, le public se montrant réceptif à ce sujet, avec l’idée que « les Allemands devont rendre des comptes », le moment venu. En revanche, on monte très peu d’enfants morts, mais l’idée même en  est devenue intolérable.

Après la seconde guerre mondiale, le deuil d’un enfant semble moins visible, peut être à cause du deuil collectif que représente la guerre.

De nos jours, le recours aux échographies fait que le foetus   est déjà  un enfant pour ses parents, avant même sa naissance.