Vous pouvez mieux connaître Brice Gruet et ses travaux à travers son blog : https://bricegruet.net/biographie/
Brice Gruet commence sa présentation par une photo. Cette dernière représente une auge et un puits enchâssés dans la maçonnerie du mur d’un corps de ferme. Il précise que le corps de ferme a lui-même été rénové pour devenir une série de logements mitoyens. À travers cette image, il illustre 2 des éléments forts de sa présentation, d’une part la transformation de l’espace par l’évolution des usages et d’autre part la persistance de certains objets hérités du passé. Il fait référence à la controverse selon laquelle le rural est soit mort soit n’existe plus en évoquant l’article de Jacques Lévy : « Osez le désert français ! ». Il estime que cet article a le mérite d’ouvrir le débat, bien que trop caricatural.
À la question « qu’est-ce qu’un village ? », Brice Gruet confronte deux points de vue. Il y aurait d’une part, le regard du citadin, partagé par les géographes, qui voit la campagne comme dépendante de la ville, une marge. D’autre part, le regard de celui qui a vécu à la campagne qui perçoit le monde rural à travers ses dynamiques propres et dont il se fait le porte-parole. Sa présentation s’organise donc comme une suite de réponses à un ensemble de considérations qui tendent à présenter le monde rural comme moribond.
Le questionnement est donc de savoir si le village est un lieu du passé ou au contraire si le mode de vie campagnard est une ressource. Bref le village, fossile ou projet ?
Les grandes tendances : Une approche par les cartes et les données INSEE
En superposant les cartes de 2010 représentant les aires urbaines, les bâtis continus, avec la carte de concentration des plus de 75 ans, il suggère une corrélation entre les espaces ruraux ou de faible densité (diagonale du vide) et les foyers de populations les plus âgées. De fait, le mode de vie dans les espaces ruraux serait voué à disparaître avec ses plus de 75 ans. Les territoires ruraux sont donc dévitalisés, il ne serait que des lieux du passé où se fossilise avec la disparition de ses derniers représentants, les vestiges des modes de vie qui les ont façonnés.
Pourtant, le rapport entre ville et campagne serait structurant (lecture de cartes).
En référence à l’œuvre de J. Brunhes, dont « La géographie humaine. Essai de classification positive. Principes et exemples, Alcan, Paris, 1910 » il met en avant l’importance d’étudier les différents cadres que proposent les villages et propose une typologie non exhaustive de ces derniers, aujourd’hui.
Brice Gruet rappelle toutefois que la politique de revitalisation arrive trop tard. L’idée selon laquelle les villages sont morts est bien trop présente dans les esprits. L’un des symptômes est un taux de vacance élevée des bâtiments, malgré des atouts indéniables tant sur le plan architectural que paysager. Une des dynamiques du délaissement de ces espaces serait le développement des zones d’activités et le souhait des populations d’avoir accès aux centres commerciaux. Or, les centres commerciaux sont des espaces privés alors que le marché est un espace public. Cet élément en apparence anecdotique conduit à la disparition d’espaces d’interaction sociale et donc de vie en milieu rural. A terme, il y a une fragilisation du sentiment d’appartenance et une mort des villages.
Le retour à la terre
Il est ici question des représentations de la campagne et leurs conséquences. Plusieurs approches sont présentées.
Le double choc culturel du néo-rural.
Le premier choc que provoque le monde rural, c’est avec l’imaginaire du néo-rural. Ce dernier est habité d’un idéal d’une vie plus simple dans un Eden de verdure. Malheureusement, à la campagne comme à la ville, il y a des difficultés à gérer comme la dépendance au véhicule individuel et ses sujets de préoccupations comme la situation des agriculteurs et la pollution de l’Agro-industrie.
Le second choc est avec « ce qu’est le néo-rural », sous-entendu, un urbain. En conséquence, ce dernier n’est pas prêt à renoncer à tous les avantages de la ville comme la grande variété de services ouverts à des horaires décalés.
Entre autres causes, Brice Gruet témoigne de la destruction de la civilisation paysanne multimillénaire des campagnes françaises liée à la mécanisation. Ainsi, les réseaux de sociabilités comme les services ont disparu en même temps que les campagnes se sont vidées de leurs travailleurs.
La défense de la ruralité, un porte-drapeau du fascisme ?
Bien que le village reste le symbole d’une France calme et éternelle comme l’illustre l’affiche de campagne de Mitterrand de 1981, défendre la campagne est associé au régime de Vichy. En effet, de nombreux éléments de la culture commune liée à la paysannerie ont été investis par le régime fasciste. Au lendemain de la Guerre, la France s’est construite comme un Etat moderne en contre-point du Régime de Vichy. Ainsi, les évènements historiques ont renforcé l’idée que la culture paysanne serait moins légitime que la culture citadine. Afin de cerner cette ambivalence, l’intervenant invite à regarder « le Village » de Night Shyamalan.
Une culture de résistance !
Brice Gruet évoque « le Roman de Renard » et l’œuvre de Jack LeGoff, où est présenté la culture paysanne comme une culture de résistance qui, telle l’auge et le puits, persiste malgré les changements. Toutefois, il y a eu une acculturation, c’est l’utilisation du corps de ferme à des fins résidentielles. Ainsi, malgré des efforts de préservation paysagère, la vie ayant produit ce paysage a disparu. « On va faire ses courses au supermarché alors que l’on est sur une terre de production agricole », « On y vit au milieu de trucs cultivés, mais on ne sait pas par qui ». C’est en cela que le Village et sa campagne sont des fossiles.
Les campagnes, un enjeu pour l’avenir
Selon Brice Gruet, l’État a favorisé le développement du bâti individuel au détriment de la rénovation des logements existants. La politique de l’ANRU arrive trop tard et serait trop timorée, il la qualifie de cosmétique. L’action vient des gens; ainsi, à l’aide d’une carte du Sud toulousain, il témoigne de villages dont l’enclavement devient une ressource pour ceux qui créent de nouvelles façons d’habiter. (Référence au mouvement des colibris de Pierre Rabhi)
De façons moins extrême, dans un contexte de mobilité subie qui se traduit par une extension des temps de déplacement, s’installer à la campagne est un acte fort, car cela engendre souvent une augmentation des temps de déplacement, mais cela n’est pas absurde pour autant. En effet, il y a d’une part une influence du cadre de vie et d’autre part, avec l’arrivée de nouveaux habitants comme à Marchault qui triple sa population avec 900 habitants aujourd’hui, il y a l’espoir que des services et des réseaux de sociabilités se recréent.
Puisque le projet d’une vie plus proche de la terre et de la nature anime les nouveaux habitants des vestiges/fossiles de la civilisation paysanne, il est possible que la campagne porte en elle les germes de sa renaissance.
© Pauline ELIOT et Adrien BEREND, pour les Clionautes