La conférence de Monsieur Denis Crouzet lui permet de nous présenter son dernier livre « Le XVIe siècle est un héros – Michelet inventeur de la Renaissance » qui paraît aux Editions Albin Michel.
Modératrice : Madame Sophie Doudet
Comment Michelet invente-t-il la Renaissance et, de manière générale, quelle est sa conception de l’Histoire ?
Le travail de Denis Crouzet sur l’auteur Jules Michelet puise ses racines dans sa propre enfance où son père, historien économiste, le lui présentait comme un historien éloigné de l’histoire sérielle et quantitative dont l’emphase héroïque ne pouvait être prise au sérieux.
Denis Crouzet a choisi d’analyser l’approche du XVI e siècle par Michelet : la Renaissance est un fait de civilisation qui touche la culture des bonnes lettres, l’inventivité et la façon d’entrer dans le monde civilisé. Il considère que c’est un phénomène européen. Il s’appesantit sur la naissance de la Renaissance en Italie pour très vite insister sur son point culminant qui a lieu en France. Son objet est de valoriser la France en tant que phare de l’humanité. Bien sûr, Denis Crouzet, précise que cette présentation est historiquement non valable et qu’il commet de nombreuses erreurs. En effet, il crée une sorte de mythographie de l’histoire de France.
Comment Michelet en vient-il à faire de l’histoire ?
La place des morts est importante dans la démarche de Michelet car il est hanté par l’envie de communiquer avec les absents à travers les archives et les sources. Il veut faire parler les gens du peuple qui sont morts. Il a une fascination pour les cimetières et cela tient à son histoire personnelle : il est vrai que deux ans avant sa naissance, un frère aîné, Félix, est né mais est décédé très jeune. Michelet est ainsi atteint du syndrome de l’enfant de remplacement. Son enfance a été plutôt malheureuse car il était habité par un autre : il sublime ce frère disparu et cela explique que pour lui l’historien est un biographe caché avant tout. Ses relations avec sa mère sont compliquées et les femmes sont rares dans son oeuvre. Du fait de ce lien amour / haine avec sa mère Michelet est attachant car tragique.
Denis Crouzet introduit la gravure d’Albrecht Dürer, Melencolia (1514), placée dans le bureau de Michelet où l’ange est triste et méditatif. L’enfant placé au dessus de cet ange figurerait la Renaissance.
Quelle est la finalité de l’histoire selon Michelet ?
Pour lui, l’histoire permet de tendre vers la fraternité entre les hommes. Les volumes qu’il écrits sur la Révolution française montrent que c’est une révélation d’un âge nouveau. Il apprécie particulièrement la fête de la Fédération qui montre cette possible fraternité. À l’inverse, la Terreur est un deuil de cette fraternité. Ainsi, la Révolution a échoué et le malheur s’est emparé des hommes. La suite est un ensemble d’échecs : 1830, 1848 puis l’arrivée du prince président.
En 1854, Michelet remonte le passé et commence à écrire sur la Renaissance pour retrouver le point d’origine car celle-ci est pour lui une vraie révolution. Il inverse ce que les Romantiques proposent du Moyen-Age : chez Michelet, le Moyen-Age est noir et lié à un obscurantisme parsemé de violences et heureusement la Renaissance arrive avec ses lumières : ses créations littéraires, musicales…L’homme nouveau apparaît ! Michelet apprécie Rabelais, personnage phare, qui est l’homme qui fait parler le peuple. C’est le retour de l’espérance.
Le XVI e siècle est celui de la Réforme : il écrit beaucoup sur Luther qui propose la libre conscience et apporte la modernité. Grâce à la Réforme, le peuple prend conscience et se prend en main. Renaissance et Réforme sont agglomérées. Les Églises protestantes envoient des sauveurs contre la tyrannie. Son héros est Coligny qui s’est engagé et a donné sa vie. La Saint-Barthélémy est une théophanie qui prouve que le catholicisme est mauvais et où Coligny incarne le droit du peuple à résister aux tyrans donc aux rois dont il casse les mythes.
Pourquoi Michelet est-il si mitigé à l’égard de Montaigne ?
Il le déteste car Montaigne est le contraire de celui qui s’engage puisqu’il reste dans sa tour et écrit au calme. Il ne réagit pas assez et n’a pas été un militant au service de ceux qui souffraient et il laissait passer les drames. En effet, il ne s’est engagé dans aucun combat.
Pourquoi conseiller de lire Michelet aujourd’hui ?
Michelet est un démocrate, républicain et idéaliste de l’amour de l’humanité. Selon lui, la Révolution est un soubresaut vers la fraternité. Il conçoit l’histoire comme un exorcisme.
Bien sûr, il n’a vécu ni les barricades ni l’exil en Suisse comme son ami Quinet mais il est plutôt une sorte de guide. En effet, il pense qu’il faut être sur ses gardes et que l’histoire est un outil pour ne pas tomber dans le piège des tyrans. L’histoire doit servir l’espérance et sa façon de la présenter fait œuvre de pédagogie comme l’imaginait Condorcet. Sa façon de présenter l’histoire est à l’opposé de notre histoire actuelle, scientifique qui peut paraître froide.
À sa mort, Michelet fut accompagné d’un grand cortège républicain car il faisait véritablement partie du patrimoine républicain. Ses contemporains avaient donc conscience de la place de cet homme.