« Il manquait un autre récit de la première rencontre. J’ai voulu y remédie autant que faire se peut par cet ouvrage » Dans l’intimité chaleureuse du café Fluxus, entourée d’un public dense et attentif, Marie Hélène Fraissé, grand reporter, écrivaine, productrice radio, introduit son dernier ouvrage paru aux éditions Albin Michel « L’Eldorado polaire de Martin Frobisher».

Frobisher…..Pour se familiariser avec ce nom âpre à l’oreille, rien de tel que de se plonger dans un atlas, ou mieux, de naviguer dans un des nombreux bras de mer du Labrador, Canada . Un point, une échancrure dans le bleu de la mer marque la baie de Frobisher. Encombrée en hiver de glaces dérivantes dominées par de noires falaises, celle qui porte le nom de son inventeur est à l’image de la terre des alentours : « désolée et pleine de montagnes aux contours inégaux, la plupart couvertes de neige ».

Quinze ans d’effort ont été nécessaires à Martin Frobisher, l’explorateur, le soldat, l’opportuniste pour récolter les subsides indispensables à son premier voyage vers ces territoires austères. Le marin Anglais n’a cependant cure des contrées polaires, ces « quelques arpents de neige » raillés deux siècles plus tard par Voltaire. Non, Martin Frobisher a une ambition plus haute : découvrir le fameux passage du Nord Ouest dont on croit qu’il devrait exister à défaut de savoir s’il existe vraiment. Le pari est risqué. Mais le succès apporterait gloire et richesse à son inventeur.

La mise est en outre relativement peu élevée : trois navires de petit tonnage sont armés. Ils appareillent en juin 1576, dérivent de leur route initiale, se perdent. Un seul parvient au continent, en juillet. Persuadé d’avoir atteint l’entrée du passage, Frobisher l’arpente un mois durant sans résultats tangibles. Il s’enfonce, guidé par des Inuits, dans un dédale d’iles, pour in-fine aborder la « terre de la pierre plate », dénommée aussi Qikiqtaaluk en Inuktitut. Un territoire qui sera un jour l’île de Baffin . En septembre, Frobisher tourne voiles et s’en retourne en Europe.

Les résultats de cette première aventure sont maigres. Dans ses bagages, il ramène un Inuit dont il espère faire un traducteur pour ses expéditions ultérieures. Et une la pierre noire trouvée sur place, qu’il pense aurifère. Les deux expéditions suivantes sont autrement plus conséquentes. Celle de 1578, la troisième, rassemble une flottille de 15 navires, ce qui en fait la plus importante expédition polaire de tous les temps. Leur objet est clairement énoncé : prendre possessions des terres au nom de la couronne, trouver le passage mais aussi exploiter les fameuses pierres noires, gages supposés de richesses. Si la recherche du passage du Nord-Ouest y est vite abandonnée, une ébauche de colonie est esquissée. Et les cales sont chargées, de la quille jusqu’ au pont, du minerai sombre. Direction : les fonderies d’Angleterre ou au détour de l’extraction du supposé métal précieux, les savants forgerons s’avisent que la pierre noire ne vaut pas son pesant d’or


Les expéditions de Frobisher sont elle des échecs partiels ? Commercialement, à coup sûr. Mais le propos de Marie Hélène Fraissé permet, à cinq siècles de distances de prendre toute la mesure humaine de la rencontre et de comprendre la tradition coloniale et maritime alors naissante de l’Angleterre.
En compagnie de Frobisher, le lecteur entend un récit à deux voix : celui des autochtones Inuits et celui des Britanniques. A tel point qu’aujourd’hui encore, des projets d’ampleurs au Canada, tels que que « Meta Incognita », cherchent à comprendre, par l’archéologie ou la transmission orale du récit, ce que fut ce premier contact. Pour les Européens, manifestement un pêle-mêle d’impressions, mélange de supériorité, d’appréhension du « sauvage » , de paternalisme. De la part des Inuits, d’étonnement distancié, d’incompréhension, d’utilitarisme de la technicité matérielle européenne, notamment du bois.

Par cet ouvrage, Marie Hélène Fraissé répare enfin deux injustices. De celles, nombreuses, qui jalonnent l’histoire. Elle replace d’abord la découverte des pôles au sein du récit maritime moderne. Puis elle rend une place éminente au découvreur Anglais. Frobisher n’avait en effet jusqu’ici que peu suscité la curiosité de nos contemporains. Les ouvrages dédiés à sa vie et aventures sont peu nombreux et pour la plupart anciens. Cet état de fait n’est plus. Matin Frobisher réintègre aujourd’hui le panthéon des aventuriers de son temps, celui des Jacques Cartier, des Williams Raleight et des Francis Drake

Une bibliographie sommaire complémentaire :
– Sharat K. Roy, The history and petrography of Frobisher’s « Gold Ore », Field Museum of Nat. Hist. Pub., 384, Geol. Ser., VII (1937) : 21–38.
-William McFee, The life of Sir Martin Frobisher (New York and London, 1928).— Oleson, Early voyages, 148–154
The three voyages of Martin Frobisher in search of a passage ta Cathaia and India by the north-west, A. D. 1576–1578, ed. R. Collinson (Hakluyt Soc., lst ser., XXXVIII, 1867).
-Thomas Ellis, A true report of the third and last voyage into Meta incognita : atchieved by the worthie capteine, M. Martine Frobisher, esquire, Anno 1578 (London, 1578), reproduit dans l’édition Stefansson, II et dans l’édition Collinson.