Avec Pascal Brioist
(Professeur à l’Université de Tours,
spécialiste de la Renaissance)
Concernant Léonard de Vinci, deux écoles analysent différemment la valeur de son travail.
Il y a ceux qui pensent qu’il était un génie sans pareil à l’imagination inégalable, et ceux qui le perçoivent comme le catalyseur du processus d’invention de son époque.
Leonard n’a pas inventé tout ce qu’il a dessiné
Marcelin Berthelot attaque l’idée du génie, vision qui est née dans les années 1880, quand un savant publie les manuscrits de Léonard. Il explique que les célèbres dessins de chars par exemple ne sont pas l’œuvre de son imagination, car il s’est largement inspiré de machines semblables utilisées en Perse. De même, le « parachute » de Léonard est postérieur à une création similaire d’un ingénieur Siennois de 1430. Idem pour la scie hydraulique, documentée avant que Léonard ne s’en saisisse. En fait Léonard apparaît pour de nombreuses machines être non pas l’inventeur, mais celui qui en fait l’inventaire. Que ce soient les roues demi-engrainées, les dispositifs anti-friction des cloches, le canon à futs multiples, les tours à inertie (tournebroche)… ; un grand nombre de ses dessins montrent surtout la volonté de Léonard de saisir tous les savoirs techniques de son temps. C’est en quelques sortes un précurseur de l’esprit encyclopédique, appliqué à la mécanique.
Autre critique, plus récente : certaines machines n’auraient pas pu être construites (soit en raison de mauvais choix de matériaux, pas assez résistants, ou de dessins erronés avec des engrenages incohérents par exemple). Certains dessins doivent être perçus comme des expériences de pensée et non pas comme des croquis de machines possibles.
Le processus d’invention de Léonard, dans un contexte historique propice
D’autres machines attribuées à Léonard ont bien existé et d’autres sources écrites en attestent. C’est le cas du compteur d’eau, du lion mécanique, des ailes…
Car l’époque est propice à l’invention technique : la peste noire a décimé 1/3 de la population. Les survivants ont eu besoin de fabriquer des machines pour remplacer les hommes disparus.
La contribution majeure de Léonard, ce ne sont pas ses machines en elles-mêmes, mais surtout la méthode qu’il a utilisée pour les fabriquer : la réduction en art, qui suit un cheminement en 4 étapes.
Décomposer en éléments simples
‚ Faire l’inventaire des éléments
ƒ Calculer les effets
„ Combiner les complexités
Cette méthode le conduit à penser en termes de machines simples (balance, poulie, roue…) qui permettent de calculer le fonctionnement mécanique (réduction, multiplication de la force…) et de faire de la combinatoire. L’observation du battiloro en est le parfait exemple : il est fait de câbles, de crémaillères, de contre-poids…
Le dessin comme lieu de conception
Une particularité de Léonard est sa capacité à utiliser le dessin comme un lieu de conception. Il présente pour chaque projet une vue de dessus, une axonométrie, des éclatés… avec souvent un mode d’emploi en annotation. Il réalise aussi de nombreux dessins techniques avec schémas et notes permettant de nourrir ses réflexions.
Léonard a de plus inventé toute une terminologie technique utilisée dans l’ensemble des ouvrages qu’il a documenté. 44 termes sont ainsi recensés dans le codex de Madrid ; ils permettent de mettre à plat les savoir faires de son époque.
Le transfert
Un des talents de Léonard est le transfert, qui consiste à adapter une solution dans un champ à un autre champ. Par exemple, il utilise le mécanisme du trébuchet pour penser son excavatrice (même mouvement de balancier). De même, il transpose la technique de l’encliquements du domaine du génie civil à celui du textile, pour fabriquer les navettes des métiers à tisser. Il s’inspire aussi beaucoup de la nature et faire figure de précurseur du biomimétisme, il observe les oiseaux, les chauve-souris et les libellules pour penser ses machines volantes…
Postérité de Léonard de Vinci ?
Ce qu’il reste de Léonard, c’est son idée de simplifier la mécanique en éléments simples, qui fera son chemin tout au long du XVIIe siècle. Ce principe est encore utilisé au XIXe siècle et à la naissance de l’école Polytechnique. Et si ses travaux ne sont publiés qu’au XIXe, il existe des témoignages indiquant que ses inventions ont été utilisées avant, notamment dans les fonderies royales françaises, dès le XVe siècle.
Pour terminer, retenons que Léonard s’est illustré comme un « encyclopédiste » de la technique, et qu’il a inventé avant tout une nouvelle méthode pour aborder la mécanique.
Par Jessica Boyer, professeur de SVT, membre des Clionautes