Catherine Fournet-Guérin, est professeur des universités en géographie à l’Institut de Géographie – Lettres Sorbone Université, spécialiste de géographie sociale et culturelle et des villes des pays du Sud, d’Afrique en particulier. Sa thèse est publiée en 2007 aux éditions Karthala sous le titre Vivre à Tananarive. Géographie du changement dans la capitale malgache et plus récemment en 2017 L’Afrique cosmopolite: Circulations internationales et sociabilités citadines aux presses Universitaires de Rennes.

L’objectif de son intervention est de contrer la sursaturation de l’imaginaire, dominant dans les représentations en Europe, d’un flots de migrants à l’assaut de la France, diffusé dans la presse et par le discours politique.1

Traditionnellement les Africains voyagent, circulent, migrent. Les villes africaines sont cosmopolites comme le montrent les nationalités très diverses des victimes des attentats (Nairobi, Bamako, Ouagadougou) même si les médias s’intéressent plus aux victimes occidentales. Cela montre l’ouverture du continent sur le monde.

Certes les statistiques sont peu fiables on les retiendra seulement comme ordre de grandeur : 70 à 80 % des migrations des Africains sont intra-africaines et les migrants représentent environ 5% de la population de l’Afrique (les migrants du monde représentent 3% de la population mondiale).

 

Les causes de la migration sont :

1 – Contrainte sécuritaire :la fuite devant la guerre, les troubles politiques.

Les pays d’Afrique sont ceux qui accueillent le plus de réfugiés en nombre comme en pourcentage total du nombre dans le monde, par exemple le Kenya, l’Ouganda. Le Mozambique qui accueille des Rwandais, des Burundais, des Congolais de l’Est de la RDC, c’est peu connu mais c’est un pays très pauvre.

2 – La recherche d’une vie meilleure dans un pays légèrement plus riche, où il existe un différentiel de salaire même faible. Par exemple les Guinéens installés à Dakar comme portefaix ou les Burkinabés en Côte d’Ivoire, les Congolais ou les migrants originaires du Zimbabwe en Afrique du Sud.
Les géographes parlent de contrainte économique.

Beaucoup de chercheurs travaillent aujourd’hui sur les migrations et circulations intra-africaines, voir l’ouvrage d’Armelle Choplin et Olivier Pliez, La Mondialisation des pauvres – Loin de Wall Street et de Davos, Seuil paru en 2018

Ce sont des études au long cours qui montrent tous la très grande capacité d’adaptation des migrants. Ils possèdent des compétences linguistiques, ils utilisent la langue du pays d’accueil mais aussi des pays de transit. La conférencière donne l’exemple d’un Congolais qui parle le swahili, le français, le lingala (sa langue maternelle), le portugais du Mozambique et l’anglais.

A noter l’importance du haoussa, langue du commerce en Afrique de l’Ouest.

Ce sont des migrations sur plusieurs années : ex d’un Ivoirien au Mozambique qui a voyagé pendant 4 ans, ce tailleur tient boutique, il n’avait pas un objectif précis : c’est une migration au gré des occasions.

Les migrants montrent aussi des capacités d’adaptation, de circulation entre des espaces pour passer les frontières, déjouer le racket des administrations.

 

Question d’échelles

Ce sont des migrations à l’échelle du continent.

On rencontre des Congolais partout en Afrique depuis notamment le conflit dans l’Est de la RDC (1996) qui fut le conflit le plus meurtrier depuis la seconde guerre mondiale.

Les Mourides sénégalais (communauté religieuse) qui ont structuré un grand réseau en Afrique, mais aussi en Europe (Italie, France), Usa, Canada (commerce + identité religieuse).

La conférencière aborde la question de la Libye depuis la chute de Khadafi, la présence de centaines de milliers de travailleurs  sub-sahariens dans le pays dès les années 90, et le fait qu’on puisse voir dans les mauvais traitements et les stigmates qu’ils subissent un héritage de la traite négrière transsaharienne.

On peut noter qu’au sein de la CEDEAO il y a en principe libre circulation sur le modèle européen de Schengen.

A l’échelle de la ville, on constate l’insertion des migrants souvent dans le commerce de proximité comme à Dakar, Maputo ou Libreville.

Exemple aussi des Zimbabwéens professeur d’anglais dans d’autres pays d’Afrique non anglophones : intérêt pour cette langue

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La situation des migrants est variable. Certains pays sont accueillants : Sénégal, Mozambique, d’autres moins ou selon les moments : Maroc, Algérie ou très peu Libye ou même Afrique du Sud comme le montrent les récents événements (septembre 2019). On peut aussi penser à la traite de prostitution, forme de migration qui reste marginale : Nigeria, Dakar et Petite côte, voir l’article Sur la plage, à Saly, la traite des mineures africaines paru le 2 octobre dans Libération de Nelly Robin2 (chargée de recherches, Ceped (IRD Paris-Descartes, Migrinter (CNRS, université de Poitiers) ou au plus grand camp de réfugiés au Kenya (Dadaab).

 

En réponse aux questions

Quelques politiques d’installation des réfugiés, contrairement à la politique du HCR, comme un Ouganda où de petites parcelles sont distribuées aux réfugiés.

Ne pas oublier les migrations d’étude vers le Maroc, le Kenya ou le Sénégal. (de plus en plus aussi vers la Chine, l’Inde).

Émergence de la figure de l’aventurier.

 

Bibliographie

http://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/breves/migrations-intra-africaines

Migrations : l’Afrique a un temps d’avance, article de Tancrède Voituriez, chercheur à l’IDDRI et au CIRAD paru dans Alternatives Economiques du

Les Mouvements Migratoires en Afrique, Gouvernance des Migrations Octobre 2017 Projet de Rapport pour La Réunion consultative régionale africaine sur le Pacte mondial pour une migration sûre, ordonnée et régulière Des Nations Unies

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1  Voir l’ouvrage de Stephen Smith, La ruée vers l’Europe – La jeune Afrique en route vers le Vieux Continent, J’ai lu, 2019.Très contesté par les chercheurs en sciences humaines lors de sa parution

« La « jeune Afrique » – 40 % de sa population a moins de quinze ans ! – émerge de la pauvreté absolue. Elle compte aujourd’hui 1,3 milliard d’habitants et en comptera 2,4 milliards dans trente ans, face à 500 millions d’Européens vieillissants. Elle ne crée pas assez d’emplois pour tous ses jeunes – il en faudrait 1,7 million par mois – mais ceux-ci ont de plus en plus souvent les moyens de partir à la recherche d’une vie meilleure. Leur migration de masse va constituer l’un des plus grands défis du XXIe siècle. La pression migratoire polarise le débat : l’État-providence sans frontières est une illusion ruineuse, « l’Europe forteresse », la tombe des valeurs humanistes. Guidé par la rationalité des faits, cet essai de géographie humaine assume la nécessité d’arbitrer entre intérêts et idéaux. »

2  Nelly Robin (2019) « Fabrique des réseaux de traite et parcours migratoires de l’Afrique subsaharienne au marché européen de la prostitution » (Communication orale), présenté à Colloque Traite des êtres humains : de la diversité des pratiques à la qualification juridique, Université de bordeaux, CNRS, Mission de recherche Droit et Justice.