Utilisées par les randonneurs comme par les géographes, les cartes au 1/25 000 – soit 1cm sur la carte pour 250 mètres réels – regorgent de détails insoupçonnés. Ils donnent de précieux indices sur les dynamiques territoriales actuelles des territoires alpins mais aussi sur celles du passé. Des exemples dans les Alpes du Nord et les Alpes du Sud montrent la diversité des trajectoires des territoires alpins.
Conférence présentée à l’espace Géo- Numérique du FIG par Claire Gérardot, géographe agrégée, docteure en géographie et aménagement et enseignante en CPGE au lycée Pasteur de Besançon.
Disons-le d’entrée, si cette conférence tombe à pic pour les randonneurs amoureux des cartes, elle intéressera à coup sûr les enseignants de géographie, soucieux d’utiliser en classe les outils IGN, qu’ils soient en papier ou numérique.
La carte topographique, témoin des évolutions des territoires
La carte topographique présente le couvert végétal, l’hydrographie, le bâti et les routes, et pour les randonneurs les sentiers de grande randonnée – les fameux GR – en rose. Elle est l’héritière d’une lignée française pionnière avec les cartes des Cassini à la fin du XVIIIe siècle, puis les cartes d’Etat-Major, mieux adaptées aux préoccupations militaires, devenues prioritaires pour les gouvernements français, après la défaite face à la Prusse en 1871. L’Institut Géographique National créé en 1940 prend enfin le relais, jusqu’à nos jours.
L’échelle retenue pour des cartes de ce type est de 1/25 000e soit 1cm pour 250 m. C’est suffisamment précis pour apprivoiser un paysage en tant que randonneur.
La version numérique sur Géoportail permet en outre de calculer des superficies ou des tailles de bâtiments.
Claire Gérardot va faire découvrir à son public, que oui, les bonnes vieilles cartes IGN s’adaptent aux changements. Pour ce faire, à partir de l’exemple des Alpes, elle nous propose de bien comprendre la notion de « dynamique ».
À la recherche des dynamiques alpines passées et récentes
Appréhender les dynamiques spatiales d’un territoire en perpétuelle évolution n’est pas évident lorsque la carte topographique semble figée.
Il s’agit de changements concernant les paysages, toujours en évolution. Car la géographie s’intéresse d’abord aux interactions entre le territoire et les humains qui l’habitent.
L’exemple de dynamiques spatiales torrentielles : la forêt du Mont Jovet
La forêt domaniale dite « de protection » a été plantée pour limiter l’érosion des sols sur les versants, en liaison avec les lois RTM de restauration des montagnes depuis le XIXe siècle : plantations d’arbres et correction du torrent par des aménagements, comme celui de son cône de déjection, à la suite d’une catastrophe torrentielle en 1904.
L’exemple de dynamiques glaciaires : la mer de glace
Les glaciers sont en mouvement et de fait les mouvements apparaissent sur la carte topo. Ainsi, les rimayes (les crevasses d’amont) ; les isohypses (les courbes de niveau des glaciers, en bleu) et leur différente épaisseur traduisent l’avancée différente au centre (maximale) par rapport aux bords. Apparaissent en aval les moraines latérales (grattées par le glacier) et les moraines centrales qui attestent du recul du glacier.
La carte topographique se doit de prendre en compte les bouleversements induits par ce recul. Ce qui explique que la gare de Montenvers, située originellement à 40 mètres au dessus de la Mer de Glace ; puis la télécabine puis un escalier pour atteindre le glacier qui recule inexorablement.
Les ruptures économiques majeures et leur effet sur les cartes
Les changements d’activité économique dans l’histoire des Alpes ont laissé des traces sur les cartes. Essayons de les interpréter.
Les conséquences du déclin de l’ancien système agro-sylvo-pastoral
Ce système vaut pour l’adret (le versant de la montagne exposé au sud) (diapo carte). On trouvera donc sur la carte des traces toponymiques (« les granges ») mais aussi un abandon partiel avec mention de broussailles et de forêts ouvertes, témoins de la reconquête par la nature sur l’activité humaine. Par contre, l’élevage alpin demeure. Dans le cas contraire, les chalets abandonnés seraient qualifiés de l’appellation « anciens chalets ».
L’hydro-électricité du nord des Alpes
Les « conduites forcées », témoins du développement historique de l’hydro-électricité du nord des Alpes, ont permis le développement industriel notamment dans les vallées élargies par les glaciers comme la Tarentaise. Leur désenclavement s’est fait grâce aux chemin de fer. Ce qui a permis l’installation d’entreprises électro-industrielles et électro-chimiques.
Le tourisme alpin, 2nde révolution
Le tourisme alpin débute avec la pratique du « grand tour « anglo-saxon et les stations thermales (thermalisme et sanatoriums) dans la 2nde moitié du XIXe et le début du XXe. Puis, ce qu’on appelle depuis 1950 « l’or blanc » a couvert les paysages de remontées mécaniques.
Le déclin démographique avait pourtant à l’époque massivement touché certaines vallées montagnardes enclavées. Mais ici, l’industrie puis le tourisme blanc ont indirectement permis le maintien de l’élevage pastoral.
Par contre, dans les massif des Alpes du sud – par exemple le Dévoluy, peu industrialisé et peu touristique du fait de vallées trop étroites, la conséquence a été la disparition de l’ancienne économie agro-sylvo-pastorale. Les mentions des bergeries ont ainsi disparu…
Les conséquences du réchauffement climatique
Nous vivons actuellement une troisième rupture concernant les stations de sports d’hiver. Alors qu’à côté de la station d’Aiguilles (1450 m) apparaît le logo « sport d’hiver », on peut lire sur la carte la mention « anciens téléskis » qui prend acte des récurrentes difficultés d’enneigement pour la dernière décennie. Les deux téléskis ont en effet été démantelés et la station s’est lancée dans la promotion d’un tourisme d’été.
Conclusion
La carte topographique est loin d’être une relation figée du territoire ! Elle sait s’adapter, comme précieux outil pour les randonneurs qui participent ainsi au renouvellement des pratiques touristiques pour les vallées.
Et deux remarques
En tant qu’enseignants, nous n’oublions pas que l’usage et l’étude des cartes IGN se fait au primaire comme en secondaire. En géographie, bien sûr, mais également dans les Sciences et Vie de la Terre ; sans oublier en Education Physique et Sportive (EPS) avec les courses d’orientation…
Le temps imparti ne permettait pas à la conférencière d’évoquer les nombreuses couches numériques rajoutées aux cartes IGN qui font le bonheur des randonneurs connectés – IPhiGéNie, Cartes IGN, IgnRando – et qui tendent à remplacer les cartes papiers classiques par l’usage numérique. L’objet d’une autre conférence à l’espace géo-numérique ?
Et un grand merci à Claire Gerardot pour nous avoir transmis ses diapos de la conférence.