Le 17 octobre 2024, les trois associations de parents d’élèves (FCPE, Peep, Alpec) du collège du Bois-d’Aulne à Conflans Saint-Honorine ont publié une lettre ouverte, disponible sur le site de la FCPE du 78 et adressée au DASEN des Yvelines, au maire de Conflans et à la principale du collège. Elles reviennent sur les conditions ayant présidé au changement de nom du collège qui devrait bientôt s’appeler Samuel Paty, à la mémoire de notre collègue d’histoire-géographie assassiné le 16 octobre 2020 pour un cours sur la liberté d’expression.
L’expression d’un mécontentement sur la procédure accompagnant le changement de nom
La lettre, que nous joignons en PJ, fait suite au conseil d’administration du collège, tenu le 23 septembre dernier.
Selon les déclarations des trois associations, la décision n’aurait pas fait l’objet d’une consultation directe de tous les parents d’élèves, ce qui, avec leurs enfants, représenterait selon leurs calculs, « 99% de la communauté éducative ». Partant, affirmer que renommer le collège recouvrirait le vœu de ladite communauté éducative du Bois d’Aulne paraît intenable :
‘Vous avez feint de ne pas nous comprendre quand nous vous indiquions la nécessité d’en parler collectivement : vous affirmez donc que les membres de la communauté éducative n’avaient pas à être consultés, alors que l’on parle de plus de 700 élèves et de plus de 1 100 parents qui en représentent donc 99% ? Nous déplorons que le concept de communauté, et plus particulièrement celui de communauté éducative, n’ait pas prévalu, une fois de plus.’
Plus loin, on trouve un long développement sur le préjudice, considérable, subi par les élèves et leurs familles depuis quatre ans et une conclusion sur l’appel à l’humanité et à la fraternité pour faire société.
Nous aurions espéré pouvoir remettre de l’humanité, de la fraternité, du sens. Visiblement, vous, représentants des Institutions, pensez autrement… Nous regrettons que l’esprit de communauté, de cohésion soit à ce point absent de ce processus de changement de nom, qui a finalement un goût de désincarné et d’administratif. Nous regrettons aussi que vous n’ayez pas saisi cette ultime opportunité de faire société.
Considérez-vous que c’est le dernier acte ? Si tel est le cas, nous considérons au contraire qu’une construction collective et active du devoir de mémoire comme de l’appropriation des valeurs républicaines par nos enfants est fondamentale.
En tant que bénévoles de la République, nous appelons de nos vœux que cette lettre vous permette de le comprendre et de vous faire prendre conscience de la nécessité de construire enfin ensemble une prise en charge par l’écoute et la parole de nos enfants.
La communauté éducative et ses pouvoirs en question
La lettre tourne autour d’un reproche principal : le déni de démocratie que recouvrirait cette décision où finalement 99% des membres sont exclus de la décision.
Nous sommes alertés de ce type de reproche qui paraît méconnaître ce qu’est une communauté éducative, ce qu’elle peut et surtout ce qu’elle ne peut pas. Il n’a jamais été question qu’un établissement soit administré à la façon des démocraties directes. Les écoles, les collèges, les lycées n’appartiennent pas aux élèves, et encore moins à leurs parents, tout comme du reste ils n’appartiennent pas aux enseignants et à la direction dudit établissement. L’école appartient à la nation, nation tout entière, qui dans l’unité prévoit qu’une même instruction soit dispensée à Lille, Tulle, Brest et Conflans Sainte-Honorine donc. Par conséquent, quand bien même 100% d’une communauté éducative serait en opposition sur tel ou tel aspect prévu par l’école publique, ce serait quand même l’école publique qui passerait, parce que le seul endroit où l’école publique peut être fondamentalement modifiée, c’est au sein de l’Assemblée nationale, là où la nation est représentée.
Bien sûr, pour tenir compte de la diversité des situations locales, une fraction des décisions se décide en autonomie, dans des conseils d’administration où chacun selon ses attributions et préférences, vote en conscience. Et il est normal qu’on trouve parmi les membres de ces conseils, des représentants des professeurs, des élèves, des parents d’élèves mais aussi des collectivités territoriales qui hébergent et financent les établissements, autour du chef d’établissement et de son équipe. Dans ce petit monde, la voix des parents d’élèves et des élèves est représentée mais c’est vrai, elle ne fait pas la majorité. Et c’est normal.
Il nous faut donc insister sur un point : chaque élève a son école mais il ne la possède pas. Les élèves forment ensemble une catégorie appelée par un nom souvent mal perçu : les usagers. Les usagers ont des droits, ils le savent; les usagers ont des devoirs, cela certains le savent moins ; et ils ont un pouvoir tel que défini par la loi.
La communauté éducative est par principe mouvante : tous les ans, des cohortes d’élèves s’en vont et d’autres viennent. Ainsi, la revendication que l’école doive être nommée selon les vœux de ceux qui la côtoient aujourd’hui, revient à méconnaître les vœux de ceux qui l’ont connue hier et de ceux qui l’emprunteront demain.
Quelle est la règle dans le choix d’une dénomination d’un établissement ?
La question a été posée par un sénateur RPR Michel Alloncle en juillet 1986. Le ministère de l’Éducation nationale a répondu ceci à l’époque :
Il ressort des dispositions prévues, notamment par la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 modifiée et par ses décrets d’application, qu’aucune procédure n’a été expressément prévue en ce qui concerne la dénomination des établissements d’enseignement public. C’est la raison pour laquelle un article du projet de loi portant diverses dispositions relatives aux collectivités locales, en cours de discussion au Parlement, comporte la disposition suivante : » La dénomination ou le changement de dénomination des établissements d’enseignement public est de la compétence de la collectivité territoriale de rattachement. Dans le cas des lycées et collèges, la collectivité recueille l’avis du maire de la commune d’implantation et du conseil d’administration de l’établissement « . En ce qui concerne la procédure applicable aux écoles maternelles et élémentaires ainsi qu’aux établissements du second degré municipaux, cette nouvelle disposition n’apportera pas en fait de modification à la procédure applicable depuis l’intervention de la loi n° 70-1297 du 31 décembre 1970 sur la gestion municipale et les libertés communales. Le pouvoir de dénomination était déjà réservé aux conseils municipaux. Par contre, pour les collèges et lycées d’Etat ou nationalisés, la compétence en matière de dénomination était réservée à l’Etat selon la procédure fixée par le décret n° 68-1053 du 29 novembre 1968 relatif aux hommages publics. La nouvelle disposition législative mentionnée ci-dessus prévoit expressément que la dénomination des établissements publics locaux d’enseignement sera désormais de la compétence des départements, pour les collèges, et des régions pour les lycées et établissements d’éducation spéciale. Compte tenu de la spécificité de ces établissements, les conseils généraux et les conseils régionaux devront, avant d’arrêter leur choix, prendre l’avis du maire de la commune siège de l’établissement ainsi que du conseil d’administration de l’établissement.
L’attribution d’un nom de collège n’entre pas dans la compétence des parents d’élèves et de leurs élèves mais dans celle du Département qui, en toute logique, consulte les principaux concernés. Ceux-ci se sont exprimés et ils ont dit être d’accord, que ce soit à la mairie et ensuite au collège lui-même. On n’attend plus que la décision finale du Département.
Quel est l’objectif d’une telle lettre ouverte ?
Notre association a été très surprise de ce courrier, publié au lendemain de l’anniversaire de l’attentat et qui rompt l’atmosphère d’unité des commémorations. Un tel besoin de médiatisation hors de ladite communauté éducative ne se comprend pas très bien.
D’une certaine façon, si les associations de parents ont voté favorablement au changement de nom, les plaintes formulées ici sont sans objet : la collectivité locale suit un vœu unanime. Ces plaintes ne sont compréhensibles que si les associations de parents sont hostiles au projet, ce qui expliciterait le besoin de développer en deuxième partie de courrier les grandes difficultés surmontées par les élèves et leurs parents depuis quatre ans. Mais en l’état, la lettre n’est pas explicite. Elle contient cette mention :
« Comprenez bien que nous ne sommes pas ici en train de juger la proposition de renommer le collège du nom de Samuel Paty. Nous dénonçons en revanche la manière de faire. »
Vous noterez qu’il s’agit de l’idée de débattre du sujet, pas d’affirmer son accord quant au changement de nom.
On trouve plus tard cette autre formule :
« Il est fondamental et nécessaire, d’honorer la mémoire de Monsieur Paty, de lutter collectivement contre l’obscurantisme. Il n’y a pas et il n’y aura jamais de discussion là-dessus !
Soyez assurés encore une fois que ce n’est pas le fond que nous contestons mais bien la forme et la manière de faire. »
Là encore, le positionnement final des associations sur la question soumise au vote n’apparaît pas clairement. On peut tout à fait être d’accord avec un débat et rejeter absolument sa conclusion.
La FCPE et l’affaire Paty
En guise de conclusion, nous rappelons que des associations de parents d’élèves avaient été citées dans le rapport publié par l’IGESR. Ce passage, page 14, pour le lundi 12 octobre, nous avait interpelés à l’époque :
De son côté, la FCPE du collège a un nouveau contact téléphonique avec le père de l’élève. Celui-ci refusant toujours d’admettre les véritables raisons pour lesquelles sa fille a été sanctionnée et invoquant de façon insistante un « harcèlement » exercé par le collège à l’encontre de sa fille, la FCPE estimant alors qu’elle était « dépassée » dans l’exercice du rôle de modérateur qui est le sien a conseillé au père, s’il considérait qu’il y avait harcèlement, de déposer plainte.
Nous nous en étions émus il y a quatre ans sur notre site mais aussi dans L’Express.
Cela avait donné lieu à un accrochage ultérieur avec la FCPE dont voici le retour dans cet article du magazine Marianne.
En l’état, cette prise de position des associations est totalement inaudible. Publier ce texte au lendemain de l’hommage à Samuel Paty, alors que le conseil d’administration avait organisé son vote quasiment trois semaines plus tôt, ajoute au profond embarras ressenti.
Depuis le début, les Clionautes se sont promis de suivre précisément cette affaire, de défendre la mémoire de notre collègue et la profonde respectabilité des missions du professeur d’histoire-géographie. Nous tâcherons également de bien suivre le procès des huit adultes impliqués dans l’assassinat qui commencera en novembre.