Michel Chandeigne présente le livre écrit par Bruno d’Halluin, paru le 5 mai 2022 aux Éditions Chandeigne, Les compagnons français de Magellan 1519-1522. Michel Chandeigne et Bruno d’Halluin nous proposent, alternativement, un récit vivant et chronologique de l’expédition de Magellan. La présence de Français est valorisée par des portraits documentés. Leur narration fourmille de précisions historiques rigoureuses et laisse place également à quelques hypothèse passionnantes.
Intervenants
- Bruno d’Halluin, auteur de romans historiques.
- Michel Chandeigne, directeur des éditions Chandeigne.
Composition des équipages
Ces acteurs de l’expédition de Magellan, qui n’ont jamais été mis en valeur, sont partis de Séville en 1519. Il a fallu les retrouver dans des listes d’équipage, des procès pour des soldes impayées, des témoignages… Le roman se décompose en quatre parties complétées par des fiches. Elles révèlent des informations surprenantes sur ces Français invisibles. Deux Français ont terminé le tour du monde et un seul, un charpentier natif d’Évreux, est revenu vivant.
Une dizaine de nationalités, en plus des Espagnols majoritaires et des Portugais, étaient présentes sur les 5 navires dont des Italiens, des Grecs, des Anglais, et des Irlandais.
Origine des Français : ils viennent principalement de régions peu éloignées des côtes. Rouen, Bordeaux, Nantes permettaient d’accéder directement aux bateaux. Mais deux hommes sont venus de Metz et de Troie. La Bretagne et la Normandie sont bien représentées parmi ces hommes.
Contexte historique
1519, départ de l’expédition. Le territoire français est beaucoup moins grand qu’aujourd’hui. Les hommes embarqués n’étaient pas tous « Français » au sens actuel. La Bretagne n’était, par exemple, pas encore unie au royaume de France.
Les guerres de Bourgogne et les guerres de Bretagne sont terminées donc le contexte est assez calme.
Qu’est-ce qui a motivé ces Français ? Pourquoi se sont-ils retrouvés à Séville en 1519 ?
Le moyen de transport le plus pratique pour rejoindre Séville : les voies fluviales aboutissent à un port qui permet ensuite de prendre un bateau pour l’Espagne. Il est probable que ces Français ont pris la route de cabotage entre la Flandre et l’Andalousie en passant par Bilbao qui était un lieu important d’échange de marchandises. Comment ont-ils atterri à Séville ? Avaient-ils connaissance de départ de bateaux pour de longues expéditions vers l’Amérique ? On ne peut qu’émettre des hypothèses tant que les sources restent muettes.
L’avant-port important de Séville, Sanlùcar de Barrameda permet de rejoindre Séville. À Sanlùcar se trouvait un quartier breton donc on peut imaginer que les Bretons du voyage se sont arrêtés dans ce quartier ou qu’il y étaient déjà présent depuis quelques temps.
Séville était alors un port essentiel pour l’Espagne puisqu’il avait le monopole du commerce avec les Indes.
Rappel historique :
Le Portugal avait initié les Grandes Découvertes :
- En 1434 les Portugais ont franchi le Cap Bojador (Cap Boujdour) en Mauritanie (Îles Canaries) qui représentait une limite psychologique car le monde connu s’y arrêtait.
- 1488 Bartolomeu Dias au Cap de Bonne Espérance ouvre la Route des Indes.
- 1492 L’Espagne entre ensuite dans le jeu par l’intermédiaire de Christophe Colomb qui part vers l’Ouest et pense arriver aux Indes et dans les parages de la Chine.
Les deux nations ibériques se partagent les terres découvertes ou a découvrir en deux : le traité de Tordesillas en 1494. Le méridien passe au milieu de l’Atlantique, proche du Cap-Vert : à l’Ouest, les terres sont espagnoles et à l’Est elles sont portugaises. L’Afrique et les Indes sont donc portugaises. Les Espagnols pensaient qu’ils auraient l’Asie. Ce partage n’a pas avantagé les Espagnols.
- 1498 : Vasco de Gama rejoint les Indes
Le projet de Magellan
Le voyage de Magellan se déroule donc dans cette continuité. Magellan connaît la largeur de l’Océan Pacifique, il a surtout été surpris par le vide qui l’habitait.
L’objectif de Magellan, portugais au service de l’Espagne, est de rejoindre les îles Moluques (Indonésie), les îles aux épices. Il pense revenir par la zone espagnole sans faire le tour du monde. Il faut donc passer au Sud de l’Amérique du Sud en espérant trouver un passage puis traverser l’Océan Pacifique.
L’organisation de l’expédition
Les 19 français étaient alors répartis sur 4 des 5 nefs. La Trinidad, nef amirale de Magellan, le San Antonio, le plus gros des bateaux, la Victoria et le Santiago. Sur la Concepciòn, il n’y avait aucun Français. Les nefs sont de petits bateaux : deux autobus en longueur, en hauteur et en largeur. On y entasse 50 hommes, des vivres pour deux ans (ce qui présage un long voyage) dont beaucoup de vin. En effet, chaque homme en boit ¾ de litre par jour. On embarque aussi des canons, des cordages…donc les nefs sont surchargées.
Le départ et les premiers problèmes
Le départ a lieu le 20 septembre 1519, on fait une première escale aux Canaries où 4 hommes descendent et un monte. Ensuite, les bateaux longent la côte africaine et traversent l’Atlantique. Les problèmes surviennent.
Le commandant second, qui a été imposé à Magellan, Juan de Cartagena, un espagnol fait preuve d’insolence auprès de Magellan. On suppose que Juan de Cartagena a embarqué pour destituer Magellan qui s’est immédiatement méfié et l’a donc mis aux fers 6 mois pour l’écarter.
Vers le Sud
L’expédition arrive au Brésil, où un maître italien, Salomone, qui avait été pris en flagrant délit de pêché contre nature, est exécuté. Ensuite, le séjour au Brésil se passe bien. Les bateaux arrivent au Rio de la Plata que Magellan décide d’explorer pendant 3 semaines, en vain, à la recherche d’un passage. Il continue, par conséquent, sa route. À 40 degrés de latitude, il choisit d’hiverner à l’abri d’une anse.
Mutinerie
Une mutinerie éclate alors et les mutins s’emparent de 3 nefs. Magellan reste avec les deux bateaux restants. Juan Gomez de Espinosa tue l’un des meneurs et reprend le pouvoir sur l’un des bateaux. Un retournement de situation s’opère, les 40 mutins, dont Juan Sebastian El Cano, se rendent et un seul meneur est exécuté. Juan de Cartagena est abandonné, accompagné de son confesseur privé, sur une côte avec du vin, du pain et une épée. Vu son rang, il ne pouvait, effectivement, pas être exécuté.
Les nefs, à la suite de cet événement, repartent environ 4 à 5 mois après le début de l’hivernage. Ils rencontrent alors les Patagons. Le Santiago fait malheureusement naufrage. Magellan découvre un détroit et l’explore pendant un mois. Un des bateaux, le San Antonio, celui chargé des vivres, déserte. Le pilote portugais met aux fers le capitaine, prend le pouvoir, et repart vers Séville où il arrive le 26 mai 1521 avec 55 hommes.
À ce moment, 6 français « sortent » de l’histoire : un meurt noyé mais les cinq autres rentrent sains et saufs en Espagne dont Jehan Mabire de Rouen.
Méthode de travail
Bruno d’Halluin explique alors sa méthode de travail à partir des noms des listes d’équipage qui sont hispanisés. Pour authentifier les noms, Bruno d’Halluin a choisi une approche phonétique. Ainsi, dans les listes, on trouve Juan Mavira. Mabire est typique de l’anthroponymie normande, ce rapprochement a permis de faire le lien entre les deux patronymes.
Le pistage des Français permet également de retrouver un des marins de Magellan, le prêtre Bernard Calmette, plus tard aux Canaries.
Suite de l’expédition
Magellan, au moment de la désertion du San Antonio, attend une douzaine de jours dans le détroit. Il envoie La Victoria à la recherche du San Antonio ce qui lui fait consommer des vivres inutilement et cause la mort de marins de La Victoria plus tard.
Mais, cette escale forcée des trois bateaux permet de découvrir une plante qui pousse en abondance : le céleri sauvage. Mis dans le vinaigre, ce qui le conserve, il permet de nourrir les marins et les protège du scorbut en raison de sa forte teneur en vitamine C. La traversée, contrairement à ce qui est pensé généralement, n’est pas une hécatombe et ce grâce au céleri : il n’y a « que » 9 morts (selon toutes les archives) sur 166 marins alors qu’Antonio Pigafetta compte 19 morts par erreur. Les 9 morts appartiennent à La Victoria. Pendant la traversée du Pacifique, les marins souffrent surtout de la faim puisqu’ ils passent 105 jours sans pouvoir se ravitailler.
Par comparaison, El Cano, 4 ans plus tard, passe le détroit avec 7 navires et traverse le Pacifique avec un seul bateau (car les autres sont soit déportés sur la côte chilienne soit font naufrage). Sur le seul bateau qui subsiste, on compte 40 morts dont El Cano. En effet, ils n’ont pas fait escale, n’ont pas cueilli de céleri et n’ont pas été protégés du scorbut.
1ères îles et 1ères violences
La première île que rencontre Magellan est l’île de Guam (île des Mariannes) où les équipages font le plein de vivres. La rencontre avec les habitants ne se passe pas de manière apaisée car ces derniers volent un chaloupe, volent les marins…en représailles, Magellan les massacre, pille leur nourriture puis repart. Il surnomme ce lieu l’île des Larrons. Puis, il arrive aux Philippines, sur l’île de Samar. Les équipages se nourrissent de noix de coco, riches en vitamine C.
L’île de Cebu
Ils continuent d’île en île et rencontrent régulièrement les locaux. Pigafetta témoigne qu’ils profitent particulièrement des femmes. Magellan cherche également à créer des alliances commerciales avec des rois afin de percevoir de futures rentes. Il se rend alors sur l’île de Cebu (Philippines) où il rencontre le roi qui se convertit, ainsi que ses hommes, à la religion catholique. À cette occasion, Magellan leur offre une statue flamande (toujours visible à la cathédrale de Cebu).
Cela tourne mal
Un roitelet d’une île voisine refuse l’autorité du roi de Cebu. Magellan, sans doute dans le but de montrer ce dont ses hommes sont capables, intervient et mène une expédition avec trop peu d’hommes. Ils sont accueillis par un millier d’indigènes très bien armés et les Européens, dont Magellan, sont massacrés. Deux jours plus tard, le roi de Cebu propose un banquet aux officiers européens lors duquel ils sont massacrés par leur hôte. Trois bateaux sauvent tous les hommes possibles et repartent en catastrophe. L’aventure de Cebu est ainsi désastreuse.
La Concepcion doit être brûlée car il manque trop d’hommes pour la faire naviguer. Il reste donc deux bateaux. Ils vont à Bornéo, errent quelque peu, mais signent des traités d’amitié en pensant au commerce futur. Ils quittent Bornéo, de nouveau très rapidement, suite à leurs comportements inadaptés avec les femmes locales dont un enlèvement de princesses philippines. Gomez de Espinosa devient le dernier capitaine de La Victoria.
Arrivée aux Moluques
Le 8 octobre 1521, ils arrivent aux Moluques où ils se chargent de girofles, seul endroit où pousse exclusivement cette épice.
Espinosa choisit sa route de retour : pour ne pas enfreindre l’interdit Portugais, il décide de revenir par le Pacifique alors que El Cano tente la voie portugaise et réussit le tour du monde.
La place des Français
Lors de l’attaque de Cebu (Mactan), trois Français disparaissent : tués ou vendus à des marchands chinois ? Les sources ne le disent pas.
Philibert Bodin, de Tours, a été blessé lors de la bataille où Magellan est tué. Il était canonnier sur La Victoria et a même été connétable (chef des canonniers). Il a été blessé gravement lors du combat de Mactan, a pourtant ré-embarqué mais est mort de ses blessures trois mois plus tard. Bruno d’Halluin, en tant que romancier, imagine que Philibert Bodin était une « tête brûlée » : en effet, il était connétable puis a été destitué pour redevenir simple canonnier. Qu’est-ce qui a pu justifier cette rétrogradation si ce n’est un caractère impétueux ? On peut imaginer également qu’il s’est battu courageusement lors de la bataille où il a été blessé.
Le retour (suite)
Espinosa, à bord du navire amiral, de retour par le Pacifique, repasse par les Mariannes où des marins désertent, puis il continue vers le Nord où il est pris par des tempêtes. Le scorbut tue alors de nombreux marins. Il fait donc demi-tour et se retrouve de nouveau à proximité des Moluques, envoie un message d’appel à l’aide mais voit arriver les Portugais.
Le Portugais, Antonio de Brito, prend possession officiellement des Moluques et va chercher le bateau de Espinosa. Il fait prisonnier les 20 survivants de La Victoria. Parmi eux, cinq reviennent, 4 ans plus tard, par la voie portugaise en 1526 et font donc le tour du monde.
…et la vie des Français
Sur la Trinidad, on dénombre 4 Français qui sont morts pendant le retour dans le Pacifique nord mais l’un survit : Barthelemy Prieur, surnommé Malo car originaire de Saint Malo. Il est repéré aux chantiers de Séville dès 1518. Il a été fait prisonnier par les Portugais et est envoyé à Malacca. Les sources montrent qu’il est mort en 1524. Il avait été contremaître sur Le Santiago et était le mieux payé de tous les Français.
Un mousse français breton, Pierre Arnaud, sur la Victoria, a demandé aux Moluques à rejoindre la Trinidad sur laquelle se trouvait son ami mousse Jehan Brasse, un autre breton. Ils s’étaient connus sur le Santiago et avaient sans doute noué une amitié pendant cette année. Ils meurent du scorbut à trois jours d’intervalle. Cet épisode émouvant nous permet d’entrer quelque peu dans la vie quotidienne des hommes à bord.
L’arrivée de La Victoria
La Victoria, qui a embarqué 17 Moluquois, a entamé son retour. Elle est dirigée par El Cano (l’ancien mutin), passe le Cap de Bonne Espérance le plus au Sud possible pour éviter les Portugais. Le scorbut menace de nouveau. La navigation est très longue mais ils sont sauvés par leur cargaison de noix de coco.
Ils font une escale au Cap-Vert pour obtenir de l’eau et des vivres et 12 Européens y descendent. Pour payer les vivres, l’un d’entre eux tente de payer avec un sachet de girofles (payer en espèces : épices) et les Portugais comprennent que le bateau ne vient pas, comme annoncé, des Caraïbes. Ils font alors prisonniers ces hommes. El Cano lève l’ancre précipitamment sans provisions puis arrive à Séville le 6 septembre 1522 avec 18 Européens à bord et 3 Moluquois.
…et des survivants
Aujourd’hui, on lit que l’expédition de Magellan est partie avec 265 hommes et est rentrée avec 18 survivants. En réalité, il y en a eu davantage : 55 du bateau qui a déserté, 18 de la Victoria, 5 de La Trinidad et les 12 (prisonniers mais libérés trois semaines plus tard) du Cap-Vert.
Richard de Normandie, natif d’Évreux, et un breton Stephane Bihan du Croisic sont les deux premiers Français à avoir fait le tour du monde. Ce dernier, marin sur La Victoria, réussit le tour du monde car il fait partie des 32 survivants. Il meurt pourtant sur le retour peu après le Cap-Vert soit un mois avant l’arrivée. Il est le dernier mort de La Victoria.
Richard Deffaudis de Normandie, charpentier sur le Santiago puis sur La Victoria, est le seul français rentré vivant. Il a dû témoigner pour indiquer l’emplacement des Moluques.
Epilogue
En épilogue, ces Français sont peu connus mais ont participé au premier tour du monde.
On peut se demander les raisons du départ de ces hommes pour des expéditions si dangereuses : on suppose qu’ils pouvaient s’enrichir, non pas grâce à leur solde mais parce qu’ils pouvaient revendre les épices qu’ils rapportaient. Ils doublaient leur paye ainsi.