Durant la dernière décennie, les déserts de sel d’Amérique du Sud sont devenus des territoires à forts enjeux économiques, sociaux et politiques, en étant confortés dans leur rôle de fournisseurs de matières premières comme le lithium et le cuivre. Les discours et les législations qui sont élaborés dans et sur ces espaces en font des lieux d’extraction de ressources au service de la transition énergétique. Ces territoires en marge sont néanmoins centraux dans la chaîne de production mondialisées de dispositifs énergétiques, les résistances locales y étant souvent fortes.

 

Vincent Bos est géographe, chercheur à l’université de Lorraine.

Marie Forget est enseignante chercheure en géographie à l’Université de Savoie Mont Blanc.

Sébastien Velut est professeur à l’Université de Paris 3, vice président délégué aux relations internationales de la COMUE USPC et membre des comités de rédaction des revues Mappemonde, auteur de L’Amérique latine (éd. Armand Colin).

Le modérateur est Antoine Baronnet, enseignant d’Histoire Géographie.

3 présentations introductives 

Grâce à une carte de localisation des grands déserts de sel dans ce qu’on appelle le « triangle du lithium » au Chili, Argentine et Bolivie, Marie Forget rappelle les caractéristiques de ces espaces : ce sont de grandes étendues salées avec extraction de ressources dans un écosystème endémique fragile. Ces déserts sont en effet englobés dans les hauts plateaux andins de la Puna.

Pourquoi parle-t-on de transition énergétique ici ?

D’abord ce sont des territoires avec des ressources anciennes comme le cuivre, mais aussi nouvelles comme le lithium dont le Chili est le 2nd producteur derrière la Chine et devant l’Argentine.

On y trouve aussi des terrains industriels avec de grands bassins pour faire évaporer le sel, de grands parcs solaires photovoltaïques. En exemple, le complexe Cerro Dominador construit avec des capitaux espagnols en plein désert d’Atacama au Chili, sur une superficie de 1000 ha, avec plus de 10000 miroirs de 140m2 et de grands parcs éoliens couplés avec les parcs solaires.

Ensuite ce sont aussi des territoires pilotes où la population fabrique artisanalement son énergie comme sur le Salar d’Uyuni au Sud-Ouest de la Bolivie qui est la plus grande étendue de sel au monde avec 11000km2.

Des territoires intégrés à la mondialisation

Vincent Bos poursuit en indiquant que ces marges sont intégrées à la mondialisation, car les déserts de sel sont pourvoyeurs de ressources de manière ancienne et engendrent des rivalités. La guerre du salpêtre ou du nitrate entre la Bolivie et le Pérou de 1879 à 1884 s’est, par exemple, soldée par la perte du département littoral qui était le seul accès à la mer de la Bolivie.

Leur attrait actuel est lié aux faibles densités, et donc ce sont des espaces ouverts à de grands projets d’extraction de salpêtre, de cuivre et lithium.

Un écosystème paradoxalement favorable ?

Sébastien Velut localise les déserts de sel dans 4 zones : au Mexique dans le désert de Sonora et Chihuahua, dans le désert d’Ica au Pérou et dans le désert d’Atacama.
Ces régions désertiques aux précipitations si faibles que l’agriculture n’est pas pratiquée, sont entourées de steppes de haute montagne, la Puna, où vivent les populations.

Ces déserts sont marqués par des lacs salés d’altitude, recouvert de croûtes comme sur le Salar du Uyuni. Le chlorure de sodium provient de sources thermales profondes. L’altitude moyenne est de 2500m et il y a des années sans eau du tout dans le désert d’Atacama avec une forte amplitude de températures jour/nuit, mais tous les dix ans environ, sauf dérèglement climatique, il pleut et cela donne lieu à une floraison spectaculaire du désert.

Les adaptations humaines à ces contraintes sont des filets pour attraper les brumes littorales, la désalinisation des eaux du Pacifique et l’utilisation de l’énergie solaire.

Questions aux intervenants

Antoine Baronnet : Pour exploiter il faut de l’eau. Où se situent les ressources en eau disponibles dans ces déserts salés ? 

Marie Forget : Ce sont des eaux souterraines, sous forme de saumure, stockées dans des dépressions sous les croûtes de sel. Il y a aussi des systèmes d’amenées d’eau dessalée transportée par conduites vers les sites industriels. L’eau potable sert aux campements de travailleurs et est transportée par camions citernes. Le problème du pompage abusif est la salinisation des eaux et des sols par capillarité, ce qui nuit à l’agriculture de subsistance de la population locale qui vit en périphérie et donc qui est donc évincée de manière délibérée.

Sébastien Velut : Il en va de même pour l’exploitation du cuivre qui utilise l’eau des usines de dessalement du Pacifique.

AB : Quelles sont les autres stratégies des entreprises pour maintenir leur production ?

MF : Il y a plusieurs stratégies pour différencier eau douce et saumure. L’eau douce est dans ces pays une ressource privatisable et il n’y a aucune priorisation faite entre usage agricole et usage industriel. Donc les entreprises multiplient les stratégies pour que la loi ne considère pas la saumure comme eau.

AB : Quelles en sont les conséquences sur les populations ?

Les conséquences sont nombreuses : les mines d’extractions deviennent le 1er employeur des paysans qui migrent vers les zones d’exploitations depuis la Puna, les écosystèmes fragiles sont bouleversés et les flamands rose changent leur route migratoire donc les traditions culturelles autours des œufs de ces flamands disparaissent.

AB : Y a-t-il un suive de l’impact environnemental de ces exploitations minières ? 

SV : Il y a eu plusieurs phases de l’exploitation du cuivre au Chili, pays qui possède le quart des réserves mondiales et en est le 1er producteur :

D’abord il y a eu exploitation des salpêtres et des nitrates, puis au début du XXe siècle la 1ere exploitation de cuivre dans une mine à ciel ouvert et aujourd’hui exploitation des veines souterraines. Le tout s’est accompagné de construction de routes pour les camions, de chemin de fer et d’activités chimiques.

MF : Ces mines s’ouvrent ainsi directement sur la façade pacifique, une fois les installations industrielles établies, afin de s’insérer dans le très vaste marché asiatique.

AB : Ces entreprises s’organisent-elles entre-elles ? 

MF : Oui pour construire les infrastructures et les financer et également de manière plus informelle, sur ce qui est possible de négocier avec les populations locales.

AB : De grands parcs solaires ont été construits dans ces déserts salés. À quoi servent-ils ? 

MF : Les entreprises minières ont tout intérêt à afficher une volonté « verte » en s’alimentant avec le solaire, sans oublier l’effet d’économie d’échelle, d’où la multiplication des parcs solaires à proximité des usines d’extraction.

SV : Le marché chilien est en forte croissance et a peu de ressources énergétiques, d’où ce recours au solaire car les centrales au charbon polluent beaucoup. De plus la filière hydrogène est en cours d’expérimentation au Chili, avec de l’énergie solaire.

AB : Ces activités sont-elles un frein au tourisme ? Y-a-t-il concurrence ?

VB : Oui et non. Par exemple dans le Salar du Uyuni le tourisme est important pour observer la faune des flamands, le rallye du Dakar y est aussi passé et les mines se visitent. Des observatoires astronomiques s’implantent comme ALMA à San Pedro de Atacama au Chili avec 66 antennes paraboliques de 15m de haut et un autre observatoire au Nord du Salar. L’altitude et l’absence de pollution lumineuse sont propices à l’observation des zones sombres de l’univers. Tout ceci fait synergie et contribue à la multiplication des vols touristiques, des tracés de routes et de création d’hôpitaux.

AB : Comment s’adaptent les populations locales ?

VB : On l’a vu, les populations locales forment la main d’œuvre des mines mais elles souffrent de la concurrence pour l’eau douce, pour l’usage de ces routes construites qui sont privatisées. Les négociations avec les entreprises privées ne se font plus par des combats mais par des demandes de compensations financières des communautés (tant de pourcentage des profits réalisés par l’entreprise par exemple).

SB : Dans la périphérie des déserts de sel, les populations vivent le long de petits cours d’eau dans de petites oasis désormais perturbées par les ponctions d’eau douce. Donc ces populations migrent vers les mines ou la ville.

MF : Les populations locales ont compris que la négociation permet d’obtenir de l’argent, mais il y a tant de projets qui changent les espaces, que désormais les populations font de la résistance passive et boycottent les négociations en ne répondant pas aux demandes.

AB : Question de conclusion : Peut-on considérer que l’image de ces déserts devient un enjeu dans l’imaginaire touristique ?

Les observatoires astronomiques s’y multiplient en réseau et renforcent cet imaginaire lié à la connexion « avec le cosmos » comme le montre le film de GUZMAN « Nostalgie de la lumière ».
En effet, le désert permet en effet de remonter le temps de l’histoire du monde, de l’histoire humaine (par exemple des camps de la dictature) mais le désert est aussi un enjeu du futur, comme espace d’expérimentation dans la transition énergétique.