Bernard Hourcade, directeur de recherche émérite au CNRS (CeRMI, centre de recherche sur le monde iranien), dresse un exposé sur les déserts iraniens. Dans le cadre de la thématique Le grand Sahara de l’Atlantique à l’Indus, cette troisième et dernière intervention de la matinée inscrite au Plan national de formation (PNF), fait suite à l’exposé de Frank Tétart sur Les déserts de la péninsule arabique.
Les illustrations qui accompagnent cet article sont extraites du diaporama projeté par Bernard Hourcade.
Dans le cas de l’Iran, le désert n’est pas une région périphérique, ni une zone de communication comme au Sahara, mais plutôt une région centrale, pour des raisons topographiques. Il s’agit d’un vide protégé par de hautes montagnes, comme le Zagros à l’est. Les précipitations y sont faibles, moins de 100 mm.
Alors que les piémonts sont des espaces très peuplés, on observe dans ce désert central un vide démographique, moins de 1 habitant au km², à l’exception de quelques oasis. Le territoire iranien est fait de contrastes entre des zones très urbanisées et des espaces désertiques. Pour avoir du plein, il faut avoir du vide.
L’espace iranien fonctionne sur 3 territoires complémentaires :
- La montagne (4 000 m, au-dessus de Téhéran) est associée à la ressource de l’eau. Elle est le monde des dieux, et constitue un refuge, mais il y fait froid. Les résistances à l’invasion mongole au XIVe siècle s’y trouvaient. La montagne est le cœur de l’iranité, de l’identité nationale.
- Le piémont est un espace où l’on peut vivre, été comme hiver, en disposant de l’eau descendue des montagnes. Il caractérise le monde des hommes, des villes, des champs.
- Le désert est vide, aride. L’hostilité du désert donne son sens à la montagne et aux piémonts. « On apprécie mieux les choses par leurs contrastes ». Ainsi la culture du jardin persan, vue comme un paradis, s’oppose au désert. Bernard Hourcade met en évidence la filiation directe entre les jardins persans et les cloîtres du Moyen-Age. Le désert montre ce à quoi on a échappé.
Il existe deux types de désert :
- Le Kavir, situé au nord, au pied des montagnes, qui renferme des sédiments quaternaires. C’est un désert de sable, de cailloux.
- Le désert du Lout, au sud-est du pays, représente le désert le plus absolu du monde. L’eau n’arrive pas dans ce milieu, car le Zagros a arrêté les nuages. C’est aussi la zone la plus chaude du monde. Une température de 73°C a été enregistrée. Ce paysage ne s’est pas fait par des rivières, mais par le vent qui a provoqué l’élimination des vallées. On distingue donc une sorte de dédale, sans haut, ni bas, totalement azoïque. On arpente ici un monde abiologique.
La présence de l’eau en profondeur est notable dans le désert iranien. La technique des Qanats a été développée vers 3 000 à 4 000 ans avant JC. Ce sont des canaux souterrains qui creusent dans la nappe phréatique en amont. L’eau des Qanats irrigue les villages du piémont et se perd dans le désert.
Le désert iranien, très peu valorisé, n’est pas traversé. La carte de droite (ci-dessus) montre les caravansérails. On ne remarque pas de grandes pistes caravanières. Une route va de Téhéran au nord, passant à Ispahan et arrivant à Chiraz vers l’ouest. Une autre route mène depuis Chiraz vers le nord-est. Mais au milieu il n’y a rien.
Le désert intéresse les militaires. L’Iran est une puissance spatiale. Des essais nucléaires sont effectués. L’espace libre paraît idéal pour l’implantation de bases de lancement de missiles.
Bernard Hourcade présente la carte du vote au premier tour des élections présidentielles en 2005 pour Ahmadinejad, candidat conservateur, originaire du désert, iranien moyen. Il veut être proche des gens simples, loin de Téhéran. Il concentre le plus de voix dans le cœur de l’Iran désertique.
Dans le domaine des traditions religieuses, on trouve les Zoroastriens au centre du désert, avec la ville de Yazd, capitale du désert, jadis le cœur de l’Iran « éternelle », au milieu d’un immense vide. Cette cité compte autour de 300 000 habitants, bénéficiant de l’eau venant de Zagros.
Échanges entre les intervenants de la table ronde :
- Bruno Lecoquierre, géographe, professeur émérite de l’université du Havre
- Frank Tétart, géographe, enseignant-chercheur spécialiste du golfe persique
- Bernard Hourcade, directeur de recherche émérite au CNRS CeRMI, Centre de recherche sur le monde iranien, Paris
- Laurent Carroué, inspecteur général de l’Éducation nationale
- Catherine Biaggi, inspectrice générale de l’Éducation nationale
Catherine Biaggi questionne sur le rapport Iran-Arabie (par delà l’image stéréotypée sunnite-chiite).
Bernard Hourcade : Jamais les chiites ont fait la guerre aux sunnites. L’Irak et l’Iran étaient chiites. Les Iraniens ne sont pas des arabes. Le golfe persique représente une région de synthèse, à part, de passage entre deux rives, non désertique.
Frank Tétart évoque l’instrumentalisation du fait religieux, avec cette fracture entre sunnites et chiites. Pendant la guerre froide, les deux piliers proaméricains, l’Arabie saoudite et l’Iran, ont été dans le même camp. La Révolution islamique va marquer une rupture géostratégique. Les américains, perdant un de leurs alliés, vont se redéployer sur les pays arabes du golfe persique, en raison du bénéfice à obtenir du pétrole pas cher. Aujourd’hui, la nucléarisation de l’Iran crée des tensions dans le golfe et inquiète les États voisins.
Bruno Lecoquierre : Les Israéliens ont été pendant très longtemps les alliés des chiites iraniens.
Questions de la salle :
Pascal Orcier, enseignant au lycée Beaussier de la Seyne-sur-mer, interroge sur le désert iranien qui n’est pas traversé. Qu’en est-il des projets de liaison entre la mer Caspienne et le golfe ?
Bernard Hourcade : L’Iran était le pont de la victoire pour ravitailler (avec les armements anglais et américains) l’armée soviétique à Stalingrad. Des chemins fer partent d’Hamadan vers la mer Caspienne. Des routes partent le long de la frontière pakistanaise et afghane qui monte vers l’est de l’Iran en direction du Turkménistan. Les Iraniens considèrent qu’il s’agit d’une grande autoroute pour désenclaver le Kazakhstan et toute l’Asie centrale plus généralement.
On contourne donc le désert. L’Iran reste le pays des piémonts.
Le désert est le cœur de l’iranité. Mais que peut-on dire du désert à la frontière pakistanaise, au Baloutchistan, avec ses minorités ?
Bernard Hourcade : Le Baloutchistan manque d’eau, mais ce n’est pas un désert pour autant. C’est une région faiblement habitée qui répond à une logique de peuplement, donc sans frontière.
Concernant l’instrumentalisation du fait religieux, existe-t-il un lien avec le désert, comme type d’espace caractéristique de ce phénomène ?
Bernard Hourcade ne voit pas de lien entre les deux.
Bruno Lecoquierre : Dans le Sahara, on ne distingue pas de routes du djihadisme même s’il apparaît beaucoup de circulation. On est dans le domaine de l’informel. Les déplacements de petits groupes se font à 4×4 ou à dos de chameaux, pour ne pas être repéré. L’avantage du désert est qu’on peut s’y cacher et voir de loin le danger, s’y camoufler, passer d’un pays à l’autre, sans frontière matérialisée.
Tous les immeubles de la marina de Palm Jumeirah à Dubaï sont-ils occupés ? Sont-ils des produits spéculatifs ? Quel avis sur le livre de Mike Davis, Le Stade Dubaï du capitalisme ?
Frank Tétart : Cette Palm est déjà un peu ancienne. Majoritairement, on trouve des gated communities, résidences fermées et sécurisées. Certaines habitations ne sont pas occupées à l’année. Dubaï souffre aujourd’hui de ne plus avoir d’investisseurs iraniens. Le marché immobilier baisse donc. Beaucoup d’immeubles qui sont en partie vides, ne sont que des investissements financiers.
L’ouvrage de Mike Davis, Le Stade Dubaï du capitalisme décrit le développement de la ville, avec des populations venues de l’étranger. Frank Tétart veut toutefois nuancer la vision de Davis, car Dubaï est désormais attentif à son image, afin de promouvoir son rayonnement. Des campagnes d’affichage rappellent combien l’Émirat est attaché au respect de l’individu et à l’encadrement de l’immigration…
Les personnes qui viennent, sont souvent exploitées par les entreprises (indiennes) sous-traitantes de ces migrants. On peut y voir dans une certaine mesure une forme de l’esclavagisme moderne. Pour travailler aux Émirats arabes unis et au Qatar, il faut être parrainé. Ce système s’appelle la Kafala. Un kafil est la personne qui est responsable d’un migrant. Le droit du travailleur reste limité (pas le droit à être syndiqué, ni à faire la grève).
Question sur la mise en tourisme du désert dans la péninsule arabique. L’ouverture de sites nabatéens en Arabie saoudite semble-t-il annoncer un accès plus facile du pays ?
Frank Tétart : A Dubaï et à Abou Dhabi, des excursions à la journée sont organisées. On arrive sur des campements, soi-disant bédouins, mais qui sont en fait artificiels. Un repas typique est servi avec de la viande cuite dans le sable (à partir la chaleur du soleil).
Terre sacrée de l’islam, l’Arabie saoudite était fermée aux non musulmans. Seuls les pèlerins de la Mecque pouvaient y séjourner. Depuis quelques années, l’Arabie saoudite s’est ouverte progressivement au tourisme. Des sites anciens, autour de Ryad, cherchent à valoriser le patrimoine des premières villes de la famille al Saoud. On assiste à une révolution sociale dont l’enjeu est la diversification économique par l’accès à l’emploi des Saoudiens dans ce secteur en expansion.
Question sur l’agriculture dans le désert.
Frank Tétart dénonce l’aberration à vouloir faire de l’agriculture dans un milieu désertique. Le pétrole a permis d’avoir de l’eau dessalée. On a aussi autorisé de forer de plus en plus, en récupérant des nappes fossiles. Cette pratique a été arrêtée en raison du coût et de l’aberration écologique. Par ailleurs, la mise en place de fermes hydroponiques, hors terre, montrent la volonté d’élaborer des produits frais.