Valentin Schneider s’est demandé pourquoi ce million de prisonniers de guerre allemands resté plusieurs années en France a été oublié par la mémoire collective. Ils furent presque aussi nombreux que ceux qui occupèrent la France de 1940 à 1944 ; très actifs dans la reconstruction de la France, aussi bien dans l’agriculture que dans l’industrie. Tous ne furent pas aussi bien traités qu’on l’a souvent dit ; ceux qui furent enfermés dans de grands camps (jusqu’à 50 000 hommes) souffrirent de la faim par exemple. Les Français qui les employaient eurent de bonnes relations avec eux, contredisant le discours officiel affirmant au contraire une hostilité collective. L’auteur émet l’hypothèse que c’est la rapidité du rétablissement de bonnes relations franco-allemandes qui explique l’occultation de cette réalité par la mémoire collective.
Gérard Leray et Philippe Frégné viennent, eux, de publier un passionnant ouvrage tout entier consacré à la célèbre photographie prise par Capa le 16 août 1944 à Chartres d’une femme tondue serrant son bébé dans ses bras et conspuée par une foule hilare, hostile et méprisante. Nous rendrons prochainement compte de cet ouvrage, « La tondue ». Les auteurs ont mené une enquête d’une extrême minutie pour mettre à jour une réalité qui était restée ignorée à Chartres. Car si la photo fut rapidement mondialement connue, à Chartres la honte avait muré les acteurs dans un silence complet. Philippe Frétigné est né dans le quartier où vécu Simone Touseau, la tondue, et sa connaissance intime des gens du quartier lui a permis de percer ce mur et de recueillir des témoignages. A ces sources orales sont venues s’ajouter des sources issues des archives, en particulier le dossier judiciaire. Les auteurs pensent avoir contribué à lever trois tabous :
– Celui de l’épuration sauvage
– Celui de la tonte (les travaux de Fabrice Virgili sont évidemment évoqués)
– Celui de la véritable histoire de Simone Touseau. L’enfant qu’elle porte dans ses bras a trois mois, c’est le fruit d’une vraie d’amour avec un soldat de la Wehrmacht qu’elle a ostensiblement fréquentée dans son quartier. Mais elle fut aussi une admiratrice du nazisme, dès avant la guerre ; elle s’engagea comme interprète chez les occupants ; elle adhéra à un parti collaborationniste, le Parti populaire français de Jacques Doriot à une époque où les Allemands entraient dans la phase de leur défaite ; elle se rendit en Allemagne en 1943 comme travailleuse volontaire.
Fabrice Grenard se montre mesuré sur le terme de « tabou » et préfère parler des « apports » de son livre et de sa recherchesur les faux maquis. L’historien, dit-il, ne défriche jamais un terrain totalement vierge et s’inscrit dans une continuité. Il souligne donc trois apports :
– Il y a eu des usurpateurs dans les maquis, des hommes qui ont profité du contexte pour infiltrer les maquis et se livrer à des actions criminelles. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant, souligne-t-il, car les moments troubles ont toujours favorisé les phénomènes de brigandage.
– Il y a eu des chefs de maquis indisciplinés, ne respectant pas les ordres des états-majors, confondant la lutte patriotique avec le brigandage, agissant en totale autonomie.
– La Résistance intérieure était très divisée : il y a eu de durs affrontements entre groupes et organisations de résistance (pour le contrôle des armes et munitions parachutées par exemple) ; le qualificatif de « faux maquis » a parfois été utilisé par des organisations non communistes (ORA et Armée secrète) pour discréditer les maquis FTP.
Pourquoi ces questions n’ont-elles pas fait l’objet pendant longtemps d’études historiques plus approfondies ? Pourquoi le débat public ne s’en est-il pas emparé plus tôt ? On peut évoquer la rareté des sources, ou plutôt leur difficulté d’accès, mais ce n’est pas très satisfaisant ; on peut même souligner la grande abondance des sources en ce qui concerne les PG ; on peut évoquer la difficulté à faire admettre la réalité mise en évidence par la recherche : ainsi les résistants pouvaient craindre que les travaux sur les faux maquis ne discréditent la Résistance ; les acteurs survivants figurant sur la photo de Capa pouvaient craindre qu’on ne les accuse de leurs actes.
La réception de ces ouvrages par le public et les acteurs est bonne car l’honnêteté, l’objectivité et la rigueur de la démarche historienne sont évidentes et reconnues. Les habitants de Chartres semblent soulagés ; la Résistance sort plutôt grandie car le travail de Fabrice Grenard montre que les faux maquis sont un phénomène exogène à la Résistance qui a d’ailleurs souvent punie elle-même les responsables de ce exactions. De nombreux témoignages affluent auprès de Valentin Schneider.
Les auteurs ont enfin répondu à plusieurs questions ponctuelles et le débat s’est ensuite poursuivi sur le stand des éditions Vendémiaire.
Joël Drogland