Participants :
Fabien Terpan Fiche de présentation au [lien suivant->http://www.sciencespo-grenoble.fr/membres/terpan-fabien/]
Henri Oberdorff Fiche de présentation au [lien suivant->http://institutdelors.eu/tous-les-contributeurs/henri-oberdorff/]
Modérateur : Quels liens et points de comparaison entre les États-Unis et l’UE ?
Henri Oberdorff (HO) :
Les États-Unis ont été une grande source d’inspiration philosophique et historique, notamment concernant la guerre d’indépendance du pays et de la Déclaration des Droits de 1789, intégrée à la Constitution en 1791. C’est ce que l’on retrouve lorsque Victor Hugo parle des États-Unis d’Europe et de Jean Monnet sur la construction de la CECA.
Cette inspiration américaine dans la construction de l’Europe prend d’autres aspects :
- Puissance des lobbies
- Libre circulation économique et humaine
- Inspiration juridique
Il est vrai que cette inspiration a plus ou moins bien marché et que de fortes différences demeurent :
- L’UE a des attributs constitutionnels (Traité de Lisbonne) mais n’a pas de constitution.
- Il n’y a pas de gouvernement européen mais une gouvernance.
- La démocratie européenne est imparfaite, et les citoyens ne savent même pas qu’il est utile de voter pour mener des représentants à Strasbourg.
- On parle de « fédéralisme à l’envers » pour l’UE, et c’est assez juste : le « fédéralisme à l’endroit » veut que les principales compétences soient confiées à l’état fédéral, et pas l’inverse comme c’est ici le cas.
- Il y a aussi l’idée que l’UE a du mal à se concevoir comme une puissance : la monnaie unique des 19 États de la zone euro est l’une des plus importantes réserve de change du monde, mais le hard power est mal vu par les européens.
A ce titre peut-être que Trump est une chance pour l’UE en affirmant que l’OTAN est obsolète et poussant les européens à prendre leur défense en main. Citons Pascal Lamy « Les européens partagent les mêmes rêves mais pas les mêmes cauchemars ».
Fabien Terpan (FT) :
Peut-on dire que les États-Unis agissent sur l’UE comme un fédérateur extérieur avec l’arrivée de Trump ? La question est ancienne et l’idée pas si nouvelle (elle remonte à l’époque de la guerre froide). Une école de pensée considère que ce pays a déjà joué ce rôle en poussant les européens à s’unir contre l’URSS.
Maintenant Trump jouerait un autre rôle de fédérateur extérieur : il constitue un facteur de déstabilisation qui offre aux européens une fenêtre d’action pour s’imposer. Afin de savoir si les États-Unis jouent ce rôle, penchons-nous que quelques dossiers :
- Dossier commercial : le protectionnisme annoncé sur l’acier et l’aluminium suscite des réactions de la part de l’UE (rétorsion) et pousse à l’unité.
- Dossier climatique : en réaction de la sortie des pays du traité COP21, les européens réaffirment leur poids et la possibilité d’assurer le leadership dans cette lutte.
- Dossier défense : Trump n’est pas un grand défenseur des alliances militaires. S’il n’a pas remis l’OTAN en cause il ne s’appuie pas dessus, militant pour un partage du fardeau. Ainsi depuis 2016-2017 les européens lancent des pistes pour gagner une certaine indépendance dans ce domaine.
Néanmoins cette vision rencontrent des limites qui sont de trois ordres :
- L’unité des européens sur le plan écologique n’est pas assurée. Ceux-ci sont d’accord sur le principe d’assurer le leadership sur la question du climat, sans s’investir davantage financièrement.
- Engagement financier dans la défense et vision pérenne avec son prédécesseur
- Effet insuffisant : le facteur doit être intégré dans l’analyse sur l’union des européens mais n’est pas suffisant. Les dynamiques sont avant tout internes.
Modérateur : Dans quelle mesure la défense européenne peut participer à la création de l’unité du continent ?
FT :
La défense européenne est une compétence extrêmement récente (années 1990). Les politiques de défense ont pris la forme d’une trentaine d’opérations depuis cette époque, mais la plupart des efforts militaires restent réalisés à l’échelle nationale. D’ailleurs le PESC du traité de Maastricht n’avait pas pour objectif d’assurer la défense continentale. Mais le désengagement progressif des États-Unis pousse les européens à s’unir. A termes les fonds pour la construction de la défense s’élèveront à 5.5 milliards. Est-ce que cela agira dans le sens d’une unité civique ? Nul ne le sait.
HO :
Les politiques de défense européennes doivent aller de pair avec l’OTAN selon les traités. Mais en même temps les propos de Trump ont poussé les européens à dépenser plus dans leur défense, notamment en Allemagne. Quid du départ de la Grande Bretagne ?
Modérateur : peut-on penser que s’inspirer des institutions américaines peut-être un facteur d’intégration au moment où celles-ci sont critiquées et remises en cause ?
HO :
Dans les premiers temps de l’UE l’idée de fédération est déjà présente (CECA). Ceci explique le côté bancal de la création : celle-ci a l’apparence de l’État fédéral sans l’être. Ainsi la comparaison avec les États-Unis s’arrête sur ce point. D’où le poids majeur de l’intergouvernementalité et non pas de l’intégration. La légitimité des États demeure forte et puissante (le blocage politique qu’a connu récemment l’Allemagne a provoqué celui de l’ensemble des institutions européennes).
Il est intéressant de noter que pour la COP21 le président américain ne fut pas présent, à la différence des représentants des grandes métropoles du pays, ainsi que le gouverneur de la Californie.
FT :
Je complète juste sur l’idée du déficit démocratique de l’UE. C’est devenu une idée que l’on ne remet plus en cause, ce qui me gêne car sans comparaison avec d’autres systèmes politiques elle ne tient.. Bien souvent cette analyse se base sur le manque de soutien des citoyens qui serait une preuve du déficit démocratique. Or les institutions sont parfaitement démocratiques. La logique des check and balances américain se retrouve en UE, avec de multiples points de contrôle. Cour de Justice, Parlement Européen et État de droit sont autant de preuves de l’existence de la démocratie en Europe.
Modérateur : Dans son livre Euro par ici la sortie Patrick Arthus propose la mise en place de plus grands projets de coopération en contrepartie d’une perte de souveraineté. Est-ce que cela pourrait être une solution ?
HO :
L’euro est intéressant : beaucoup d’économistes parlent d’une monnaie mal conçue. Or observons les eurobaromètres réalisés tous les 6 mois : globalement les européens affirment que leur voix ne compte pas, mais en même temps demeurent largement favorables à l’euro (71%). Cela ne donne pas un jugement sur le fonctionnement de la monnaie en tant que tel, mais démontre que l’euro joue un rôle fédérateur.
FT :
Les projets coopératifs renvoient à l’idée de susciter l’intégration par de grandes coopérations. C’est un peu retourner à la CECA et les solidarités de fait (approche néo-fonctionnaliste) pour créer des interdépendances. Mais on s’est aperçu dans les années 1960 que cela ne suffisait pas et que la direction politique demeurait nécessaire. Je ne pense pas qu’il existe de mécanisme parfaitement adapté. Imaginer que l’on peut simplement aboutir à des abandons de souveraineté, c’est aller vite en besogne. Toute la question est de savoir si cette approche suffit pour passer à l’étape suivante : ainsi est-ce que financer des projets coopératifs sur la défense suffira pour mener des projets coopératifs sur le plan industriel ?
Modérateur : Le Brexit a bouleversé l’UE. Il y a-t-il un parallèle à faire entre la sécession de la Grande Bretagne et la sécession des États du Sud ? Que peut-on apprendre de cette expérience et quels changements ?
HO :
Je n’imagine pas l’UE faire la guerre à la Grande Bretagne pour rester dans l’union ! Nous ne sommes pas dans une structure fédérale rappelons-le. La possibilité juridique du divorce existe depuis peu (art.50) et le parcours de la Grande Bretagne va nous apprendre beaucoup. Cela montre aux autres États que la démarche engagée demeure complexe et risquée. A tel point que les principaux partis populations européens ont abandonné cette posture (Lega ou Mouvement 5 Etoiles).
FT :
Finalement la Grand Bretagne peut-être un autre fédérateur extérieur. Elle l’est dans une certaine mesure car on voit que les 27 fonctionnent de manière unie sur ce dossier, sous la direction de Michel Barnier. Pour le moment il n’y a pas de mouvements similaires ailleurs, mais cela pourrait arriver. Sur le court terme cet évènement à pousser l’union. Est-ce que cela jouera dans le long terme en faisant disparaitre une voix disparate dans le concert des États-membres ? Nous verrons, notamment sur la défense, car le départ de la Grande Bretagne représente une perte de puissance militaire. Son départ marque-t-il une affirmation de la liberté des pays ou un affaiblissement de l’UE ? Le temps le dira.