Les mégafeux, incendies de très grande ampleur, semblent être de plus en plus fréquents, comme récemment en Amazonie ou en Australie.
L’absence de précipitations, le changement climatique, l’expliquent en partie. Mais il faut aussi prendre en compte les comportements humains,
qui ne sont pas sans conséquences.

Avec Vincent Dubreuil, professeur à l’Université de Rennes 2

Fabrice Argounès, professeur à l’Université de Rouen-Normandie, INSPE

Joêlle Zask, professeur de philosophie, spécialiste dans les domaines politique et social.

Capitaine Rachid Lamrhari, Chef du centre CIS de St-Dié

Gilles Fumey modérateur, professeur de géographie culturelle, chercheur à l’unité mixte de recherche du CNRS-Sorbonne « Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe »

INTRO : les mégafeux semblent de plus en plus fréquents en Amazonie, Australie, Russie… Feux d’origine naturelle ou humaine ? Comportements, actions des hommes face à eux ?

Accroche : un jour, la forêt vosgienne pourrait flamber comme celles d’Australie et de Californie actuellement  Cette perspective est-elle envisageable ?

Remarque : G. Fumey regrette l’absence d’un géographe spécialiste sur les feux de Californie.

Joêlle Zask : personne n’est aujourd’hui à l’abri de feux ou de mégafeux. Ces derniers sont devenus plus fréquents, leurs fumées font le tour de la planète. On distingue plusieurs types de feux :

-feux naturels

-feux d’entretien

-mégafeux : feux que l’on ne peut contrôler ni éteindre. Ils sont liés au réchauffement climatique.

La philosophe remarque que ces feux, mégafeux ont placé l’homme en face de cette dualité :

-soit dominer la nature, la déséquilibrer en voulant la contrôler et provoquer des dégradations. Exemple : les mégafeux ont provoqué plus d’émissions de gaz à effet de serre que ceux des activités industrielles et urbaines, les cendres se déposant sur les glaces arctiques provoquent la fonte des glaciers…

– soit la sanctuariser, ce qui peut déboucher sur une restriction des activités humaines, voire des dérives sur « la nature pure immaculée, et une vision religieuse de cette sanctuarisation.

Exemple: limiter la présence humaine dans les Calanques, ne pas prendre en compte les savoir faire des Amérindiens ou des Aborigènes. Or ces savoirs-faire, ces connaissances précieux ont souvent été perdus…

La terre a été pourtant façonnée par les usages anthropiques du feu depuis Homo erectus.

En effet, la forêt méditerranéenne, les grandes plaines américaines sont des paysages du feu (transformés par les feux et les hommes).

Il faut donc penser les 2 : domination et sanctuarisation

Intervention de Vincent Dubreuil : le cas de la forêt amazonienne

Cette forêt, c’est 20 % de la biodiversité mondiale, la plus grande forêt tropicale, 15 % des eaux fluviales. 70 % de cette forêt se situe au Brésil ; les feux et la déforestation ont fait apparaître une

3 ème saison: la saison des feux.

Nb : cette forêt n’est pas le poumon de la planète car elle absorbe presqu’ autant d’oxygène qu’elle n’en produit.

La déforestation y est un processus industriel : comme le montre la photo de deux bulldozers reliés par une chaîne pour arracher les arbres et tasser les sols.

Après la déforestation, il faut noter différents types de colonisation agricole :

– la petite colonisation d’espaces de 50 ha avec cultures vivrières sur brûlis.

– la grande culture des multinationales et de l’agrobusiness (Cargill) pour produire du soja, du coton, du maïs.

La répartition de la population au Brésil montre que l’Amazonie a connu un boom démographique dans les villes et le long des fleuves ; c’est la naissance de « l’Amazonie des routes » qui est concomitante avec la déforestation. Celle-ci varie cependant :

– 84 % des feux en Amazonie étaient liés à la déforestation de 1998 à 2006, mais seulement 47%de 2006 à 2018.

Entre 2004 et 2012 il y a eu un ralentissement de celle-ci.

Mais depuis 2012 et en 2019 avec l’élection de Bolsonaro, la déforestation a repris de plus belle: augmentation de 83% des feux de forêts par rapport à 2018 ,avec des pics lors des sécheresses qui accentuent les feux et leur extension spatiale.

Intervention de F. Argounès

La place du feu dans l’anthropocène est considérable et la catastrophe anthropocénique a ses icônes : Greta Thunberg, les abeilles, la fonte des glaces, la montée des eaux (mer) les feux. Ces derniers tiennent une grande place dans l’imaginaire actuel. On peut parler de la puissance eschatologique des feux, des mégafeux. Autant leurs images sont frappantes et dominantes sur les réseaux sociaux, les médias, autant les hommes et leurs moyens techniques semblent impuissants à les contenir, les réduire !

Ex : les unes de journaux, magazines, revues, les informations sur les réseaux sociaux ou chaînes d’information en continu, frappent nos imaginaires.

La planète en flamme (Washington Post, National Géographic) ,les vues satellitaires des incendies en Australie, en Californie et des fumées couvrant des mégapoles entières (San Francisco, Los Angeles…) témoignent de la visibilité donnée à ces évènements et de la nécessité d’agir.

Ces images incarnent, accréditent le concept de changement climatique. Jusqu’à l’émotion, quand les koalas ou les kangourous sont menacés et quand des actions de solidarité recueillent en quelques heures 5 millions de $ lors des mégafeux australiens ! dernière figure, icône, le soldat du feu, qui a supplanté celle du surfeur ou de l’athlète aux Etats-Unis ou en Australie . Mais comment passer de l’impuissance à la puissance ?

Intervention du Capitaine Lamrhari

Question : comment expliquez-vous l’impuissance humaine face aux mégafeux ?
L’organisation face au feu reposait sur une doctrine de lutte (en 1994) qui est en cours de réecriture. Elle définit 5 missions des pompiers. Mais c’est le terrain qui commande et il n’y a pas de schéma directeur sur place : tout dépend du départ du feu,du sens du vent ( voir photo document joint). Le cône du feu détermine les stratégies :

-attaque de front

-attaque de flanc droit ou gauche

-sauvetage des points sensibles (habitat,points d’eaux)

– surveillance des reprises de feux
Le CIS des Vosges compte 5000 professionnels car le territoire des Vosges est couvert à 40% par de la forêt et celle-ci souffre de la sécheresse.Toute la stratégie repose sur l’autonomie en eau sur le terrain et actuellement l’orientation se fait vers des retardants et le travail sur l’oxygène. La collaboration avec l’ONF est essentielle pour la connaissance fine du terrain que les forestiers possèdent.

Intervention de V. Dubreuil :

Question : quel est l’impact du politique sur ce sujet ?
Réponse :au Brésil le lobby de la production de viande et de l’agrobusiness a permis l’élection de Bolsonaro. Les préoccupations environnementales ont disparu,les acteurs de la déforestation se sentent désormais les mains libres pour s’approprier la forêt amazonienne

Ex : el dia del fogo est « le jour du feu » où les producteurs mettent le feu ensemble pour montrer leur puissance !

Intervention de J. Zask : 90 % des feux sont d’origine criminelle en Australie mais seulement 42% le sont en Californie . Il existe une autre criminalité qui est désormais la destruction des équilibres écologiques impactant les climats.
J. Bolsonaro , D.Trump , Scott Morrison , Johnson ont des responsabilités immenses, car très climatosceptiques, au même titre que les multinationales.

Le citoyen doit militer et mettre son énergie au service de la préservation du bien commun

Ex : débroussailler les bois, les forêts ( Drôme),contribuer à éviter les accumulations de combustibles pour éviter le scénario catastrophe de la NASA d’un embrasement progressif des terres émergées .

Intervention de F  Argounes :

Les savoir-faire des aborigènes sont à nouveau appelés à la rescousse pour mieux gérer les feux dans le bush australien. A noter aussi le « Capitalocène » et les responsabilités du capitalisme depuis les débuts de la révolution industrielle et le Covid-19, qui bonne nouvelle a eu pour conséquence la diminution partielle des feux ou mégafeux.

Questions du public

  • Est-ce que la déprise agricole et la fermeture de certains espaces ne contribuent pas à rendre plus compliquée la gestion des feux ?

Réponse : les coupes rases fragilisent la forêt,l’abandon génère des amas de combustibles, l’ONF et les forestiers ont un rôle essentiel.

  • L’utilisation massive de plantation de résineux ne favorise-t-elle pas les feux ?Ne faudrait-il pas diversifier les reboisements ?

Réponse : plus une forêt est diversifiée,plus elle est résistante.

  • Que penser de la privatisation progressive de l’ONF ? …en suspens..pas de réponse

Conclusion : il manquait un forestier ou un agronome dans cette table ronde pour avoir des informations plus précises sur la gestion des forêts. Une conférence néanmoins intéressante, vivante, riche à laquelle Catherine Helmlinger et Pierre Jégo ont le plaisir d’assister.

 

Pour les Clionautes Catherine Helmlinger et Pierre Jégo