Quelles finalités pour la géographie scolaire ? : réactions à l’article d’Yvan Carlot (formateur à l’IUFM de Lyon): la géographie est en situation de « coma dépassé » http://www.afdg.org/humeurs/findepartie.htm
« Le débat en cours est intéressant pour observer les « représentations » que nous nous faisons de notre métier »
« Il a un mérite évident : mettre sur le tapis quantité de questions qui gênent et qui font mal »
Du 7 au 15 février, une semaine d’échanges parfois virulents : plaidoyers pour une géographie vivante et aux finalités multiples, mais aussi témoignages d’un profond malaise face à une nouvelle géographie mal comprise et mal aimée.
Synthèse réalisée par Anne Philippon.
Liste des intervenants :
P Bouvier, Jean Braunstein, Philippe Caracchioli, Vincent Capdepuy, Joseph Henri Denecheau, Richard Denizou, Pierre Douillet, Pascal François, Gilles Fumey, Laurent Gayme, Stéphane Genêt, Sylvain Genevois, Jean-François Joly, Lionel Lacour, Daniel Letouzey, Philippe Lievremont, Yves Montenay, J Muniga, Emmanuel Noussis, Pierre Régine, Michel Sainero, Yann Soulier, Yves Tardieu.
(les interventions sont mises en italiques… le reste étant le travail de synthèse)
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I- Comment les enseignants se représentent-ils la géographie ?
La place de la localisation dans l’enseignement de la géographie oppose deux visions de la géographie
Pour certains, la géographie est avant tout la science des lieux et l’apprentissage de la nomenclature est la base de l’enseignement de la géographie, sans laquelle aucun raisonnement n’est possible. Cette conception va parfois jusqu’à poser la question de la pertinence à enseigner la géographie au collège, voire au lycée :
« Il vaut peut-être mieux faire de la bonne geo vidalienne que de la mauvaise geo reclusienne. D’un autre cote, est-ce dans le secondaire qu’on doit faire « un enseignement véritablement géographique » ? Au moins en collège, et dans ceux que je connais, compte tenu bien sur de mes propres limites, je ne vois pas comment faire faire une « réflexion sur l’espace » a des élèves qui ne connaissent pas du tout la « nomenclature géographique » minimum (et, petit détail, c’est tout a fait normal : ou diable l’auraient-ils apprise ?). En lycée, c’est peut-être différent. N’y a-t-il pas encore, derrière cette polémique, l’idée (l’illusion ?) qu’on doit faire dans le secondaire ce qu’on est censé enseigner ailleurs, en fac ou en classe prépa par exemple. Nous sommes en plein dans la discussion sur les objectifs des collèges et lycées : sommes nous ici pour préparer a Normal’sup, comme certains, non seulement le croient, mais l’expriment presque explicitement, ou avons-nous un autre but ? Formons-nous des géographes ou des personnes qui seront capables de faire un usage raisonnable et raisonne des quelques éléments de savoir géographique qu’ils auront réussi a intégrer a leurs connaissances ? »
La localisation : préalable nécessaire à la réflexion :
« Pour la géographie, je suis d’avis qu’il est nécessaire que les élèves aient une base, que l’on appelle nomenclature, localisation ou autres. Celle-ci ne doit pas devenir incantatoire ou absurde (comme la liste des sous-préfectures et départements dont la connaissance par mes parents me surprendra toujours 😉 mais doit être considérée comme le premier élément permettant justement une ouverture vers des choses plus complexes. C’est une règle d’or, du moins je le crois, dans tout apprentissage: du simple au plus compliqué. Comment aborder la géopolitique dès la seconde si les noms d’ensemble géographiques ou de pays ne sont pour les élèves que de vagues concepts ? Comment voir les différences entre pays d’Europe de l’Est pour l’intégration européenne en 1ère si ces mêmes élèves ne font pas la différence entre Budapest et Bucarest, qu’ils situent tous deux en Pologne ? Ca fait peut-être « nouveau réac » ou « historien vidalien » mais je pense qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain et pour cause d’overdose de géographie « à l’ancienne », oublier toute base de localisation. »
Cette vision de la géographie fait réagir :
– parce que la nomenclature dissociée de la réflexion est dénuée de sens :
« […] que nous a apporté, en primaire, d’apprendre par coeur la longueur des fleuves français, et la liste des affluents ? »
« Qu’est-ce que cette Géographie où l’on dissocie la réflexion de la nomenclature? Quel sens donne-t-on a cet apprentissage? C’est comme si en Histoire on dissociait la chronologie de l’analyse de documents, de la réflexion historique. Une nomenclature est, au sens propre, une liste de noms, en Géographie une série de localisations « primaires »: montagnes, fleuves, pays, régions, villes…villages? Comment peut-on justifier l’apprentissage préalable de tout cela avant de « faire de la réflexion en géographie »? Alors tout élève qui ne connaît pas sa nomenclature – d’ailleurs qui décide de ce qui en fera partie? Sera-t-elle suffisante? – ne mérite pas de réfléchir. Apprends tes localisations d’abord! Réhabilitons le papier calque, les départements, les régions, les préfectures et les sous-préfectures. Vive la Géographie de « Questions pour un Champion » où on évalue la « culture géographique générale » des candidats. Nos élèves ne savent plus rien de tout ce qui a bercé (au propre et au figuré) notre enfance géographique. Allons-y aussi en langues: vive la nomenclature du vocabulaire (à apprendre par coeur pour la prochaine fois). Laissons les concepts (donc la réflexion) aux géographes « reclusiens » et apprenons à nos élèves le catalogue du Monde. Et si l’on a l’aval des programmes c’est encore mieux! On est couverts par la hiérarchie. Vaste et très « ambitieux » programme… »
– on peut apprendre la localisation dans une démarche globale :
« Les « études de cas » bien choisies peuvent aider à enraciner la mémoire des lieux et des noms. En 1ere, un travail sur la cartographie statistique aide à localiser les départements « utiles ». Quitte à combiner logiciel (Cabral) et carte murale. »
La place des concepts dans la géographie révèle aussi des conceptions différentes :
Y Carlot évoque la » technicité de la géographie qui rebute « , en particulier son vocabulaire spécifique . Il évoque aussi la carte outil et objet d’étude » qui » continue à faire peur « . A ce propos, une remarque virulente
« Pourquoi tant de haine ? Parce qu’une coterie a redéfini la géographie dans son charabia paradigmatique et l’impose avec intolérance à l’ensemble des enseignants. Alors, comme Yann Soulier, nous avons, sans y croire, infligé la douzaine de schémas laïques et obligatoires à des élèves qui ne s’y intéressent nullement. Cela par crainte des correcteurs du bac. qui traquent les copies « vidaliennes ». »
…qui provoque de nombreuses réactions pour défendre des concepts nécessaires et utiles :
« Je comprends que l’on soit réfractaire au vocabulaire de la géographie moderne et à ses évolutions vers des horizons très conceptuels. Malgré mes efforts il y a des bouquins de géo que je n’arrive pas à lire ! Mais il est trop facile d’en faire un snobisme ou un acte gratuit. Toute science, dure ou « molle », se traduit par des concepts et accouche d’un langage spécialisé. En premier lieu, j’ai bien peur que le « charabia paradigmatique » ne soit pas l’oeuvre d’une quelconque « coterie » mais bien une évolution lourde de la recherche universitaire géographique en général ( et pas seulement de la bande à Brunet !). Alors de grâce s’il vous plaît épargnez les IUFM dont la tâche est de réfléchir au moyen d’établir des ponts entre ce monde-là et l’univers scolaire. C’est d’ailleurs une constante, on tire à vue sur ces derniers mais la fac est toujours épargnée, quelle que soit la qualité de son enseignement en premier cycle. le concept s’il est bien défini et employé avec modération me semble efficace car il permet de créer un cadre et une grille d’analyse. Je suis navré (en fait pas du tout 🙂 ), mais je sort d’une séance avec mes élèves de seconde sur le bassin du Colorado à grands coups, d’acteurs, d’enjeux, de stratégies et d’aménagements… et ca marche »
« Il y a évidemment avec ces notions et ces concepts une réelle volonté de réflexion sociale en géographie et c’est ce qui gêne les tenants d’un certain libéralisme qui ne voient en Brunet, et donc tous ceux qui voudraient dépasser le cadre limité de la « géographie science de la nature » , que comme d’affreux « néomarxistes ». Il y a, de la part de certains milieux , et c’est vrai aussi pour le milieu universitaire en géo, une volonté de refuser la conceptualisation donc les mots nécessaires. […]. . Ainsi, on aura tout dit quand on aura avancé le mot « jargon ». Mais alors, toute science jargonne, toute activité humaine un peu structurée, que dire , par exemple, de l’informatique? Qu’il y ait parfois des abus, certainement. Est-ce pour cela qu’il faut se priver des moyens de penser le monde? »
Géographie vidalienne contre nouvelle géographie ?
Les avis divergent nettement, certains sont nostalgiques de la géographie vidalienne, considérant que la nouvelle géographie ne permet pas aux élèves de comprendre les grandes questions géographiques
« pour moi qui ai subit étant petit élève de primaire et de collège tout un apprentissage de géo « vidalienne » qui me donne ensuite une certaine capacité d’abstraction pour espérer comprendre un peu (mais je ne suis qu’un historien sic!!!!!) de systémique. Or, maintenant que[…], on ne fait quasi que de la géo excusez moi l’expression « gipreclusée », nous voyons dans nos cours de lycée des élèves qui ont une incapacité à comprendre les tenants et les aboutissants des systèmes faute de maîtriser les autres paramètres : localisations…etc alors oui, échec de la géographie, des géographes, des historiens lablachisés et donc de leurs formateurs au sein de cette institut de déformation ( ce dernier mot étant à prendre au 28 ème degré bien sur) des maîtres. »
« Quelques mots d’un « vieil » enseignant, qui a commencé par enseigner la géographie en seconde avec le Boichard et Prévot « La nature et les hommes », dans lequel les « éléments de géographie physique » occupaient la plus grande place. Certes, le chapitre « l’influence des roches sur le modelé » pouvait avoir un caractère bien rébarbatif, mais, il me semblait, pourvu que le professeur s’en soit donné la peine, qu’à la fin de l’année scolaire, les élèves étaient capables de « lire » un paysage. J’avoue qu’à cette époque, je n’avais pas le sentiment que la géographie scolaire était en « coma dépassé ».
Aujourd’hui, alors que, je ne cesse, conformément aux instructions, de multiplier les études de cas pour pouvoir généraliser, d’où vient ce sentiment que nos élèves ne sont guère intéressés et qu’à la fin de l’année, ils n’ont pas les outils qui leur permettent de faire une lecture géographique des questions majeures qui intéressent l’avenir de notre planète. »
Pour beaucoup d’intervenants, la nouvelle géographie a donné un sens à l’enseignement de la géographie en lui donnant une finalité essentiellement civique : comprendre l’organisation de l’espace et ainsi apprendre aux futurs citoyens à agir sur cet espace
« Amener des élèves à comprendre que l’espace est organisé, que de la multitude d’actes individuels et en apparence anarchiques naît un ordre spatial, c’est fondamentalement une leçon d’éthique, une élévation de l’enfant à la conscience de son intégration sociale et naturelle, écouménale. Amener des élèves à penser que nous ne sommes tous que des hommes moyens -je n’ai pas dit médiocres!-, des hommes statistiquement moyens, est une leçon d’humilité. Car derrière la géographie science de l’espace il y a aussi une leçon de morale. Une leçon d’éthique individuelle et une leçon de morale politique. »
« Il y a comme une nouvelle vulgate qui voudrait que seule la grande échelle soit pertinente en géo, qu’il faille de nouveau pour être un « vrai » géographe se trouver sur le terrain avec un marteau , ( le terrain il n’y a que cela de vrai ! ) et revenir à l’étude des cuesta sur des cartes au 1:10 000 ème. Là, pas d’idéologue qui « prennent la tête » et le monde peut bien continuer à tourner, ce n’est pas l’affaire du « bon » géographe. Le « localisme » voilà l’horizon ! Empilons de nouveau les monographies locales et renouons avec l’ambition du début du siècle, d’une géographie : « science naturelle » . Quelle avancée ! ce n’est pas en additionnant la description, même « raisonnée », des 22 régions administratives françaises que je comprendrai l’organisation géographique de la France. Braudel ( mais, lui aussi, je crois qu’on le jette aux orties ? ) posait les mêmes questions dans les années 40 et 50 pour l’histoire quant au refus de la synthèse. Qui veut revenir, aujourd’hui, à l’histoire de E. Lavisse? La physique a permis que la systémie soit un outil pertinent d’analyse, la géo s’en est inspirée. C’est, de fait, plus riche que la démarche causale. Passer par le système-monde et l’accompagner, éventuellement, d’ une modélisation graphique et utiliser le tout comme outils de préhension intellectuelle c’est proposer une aide, d’une certaine façon un paradigme, une « boîte à outils ». Ce n’est pas une vérité révélée. C’est la confrontation du réel au « modèle » qui permettra d’en déceler les écarts et donc de le relativiser. »
« la géographie, ça sert à quoi ? « . à être citoyen si on fait une géographie active, appliquée, je dirais même militante. Je ne peux donc qu’approuver le message de J.Braunstein et en particulier son intérêt pour les études de cas qui permettent de prendre le temps de poser de vrais questions géographiques. Je souscris donc à sa phrase : » nous ne sommes pas là pour former des géographes mais des futurs citoyens capables de comprendre les enjeux de l’aménagement du territoire ou de l’aménagement urbain, de futurs lecteurs de journaux et de futurs touristes. » sauf que je ne trouve pas cette ambition modeste !! Dans une démocratie digne de ce nom, le savoir penser l’espace doit être partagé (comme le savoir utiliser l’internet !) et cela justifie la présence de la géographie dans l’enseignement. C’est pour la même raison – ses objets propres – que je me suis opposé à ces programmes de première qui regroupaient histoire et géographie sous une même bannière avec une cohérence dictée par l’histoire. »
« La géographie, moi j’y crois. L’enseignement de la géographie dans le secondaire, moi j’y crois. L’intérêt, voire l’utilité (pour être juridique on pourrait même aller jusqu’à la nécessité) de la géographie, moi j’y crois. […]Or, la géographie est noble et irremplaçable. C’est elle qui permet d’approcher l’espace au sens le plus noble. C’est elle qui permet de comprendre notre monde. Mais pour cela il faut initier les jeunes esprits à la représentation de notre monde. Il faut profiter des outils extraordinaires dont nous disposons aujourd’hui pour leur montrer le monde tel qu’il est et non pas l’enfermer dans une caisse. En revanche, quand on connaît bien son village, on peut participer à des réunions au cours desquels de grands spécialistes, proposant un nouveau P.O.S., dessinent des caisses pour mettre en évidence « l’organisation territoriale « . Là, le villageois qui connaît bien son village pourra comprendre et pourra surtout apporter un avis. C’est là, la démarche citoyenne »
Une position qui s’élève contre une géographie sociale aux finalités civiques ?
« « Ma géographie à moi« , plaidoyer pour une géographie épicurienne et plurielle »
Ma géographie à moi (nouveau titre de Patricia Kass !!) ce n’est pas ça.
C’est un rêve d’enfant, teinté de l’esprit des Lumières, de l’émerveillement devant des cartes colorées, avec une envie de voyage et un oeil vidalien sur le terrain parcouru à pied, c’est passer de J. gracq à un stage au CNES de Toulouse. c’est un peu d’ethnologie pour comprendre l’autre là-bas. c’est peut-être du Chateaubriand mais aussi des Tices pour construire des cartes avec Corel, en salle multimédia.
c’est du plaisir à faire partager il n’y a pas de honte à expliquer l’organisation d’un coteau champenois, plutôt que d’essayer de comprendre pourquoi un con à construit en zones inondables !!!!
être géographe c’est avant tout être modeste et ne pas placer sa civilisation au centre du monde. c’est essayer de comprendre pourquoi on va manquer d’eau ,savoir si la terre se réchauffe, c’est comprendre des faits et prévenir des risques à l’échelle sociétale inscrite dans le temps long et on retrouve là le lien fort histoire et géo, mais ce n’est pas débattre sur l’emplacement d’une sanizette ! ce n’est pas le travail du géographe, pas plus que de vouloir traduire toute réaction humaine en algorythme .
être géographe n’est pas un état, mais un état d’esprit. ordre et intégration spatiale, dit vincent, comprendre l’ordonnancement de la Nature, mais pas l’ordre des humains géographes décideurs gestionnaires d’un pré carré tout à fait temporel comprendre l’espace et le critiquer, mais le géographe n’a pas à mettre la géographie au service d’une géographie pour le citoyen, comme le dit Jean François; c’est rentrer dans un moule dangereux que de marier géographie et politique. la géo doit être au dessus de ça, franc-maçon me direz vous ? ?
chacun s’habille du manteau de géographe qu il veut mais à l’image de certain parti,. et si je suis tout seul tant pis, je vis très bien comme ça avec mes élèves.
Pour d’autres, la géographie enseignée dans le secondaire est une géographie économique :
« Ceci dit, l’opposition Vidal/Brunet, dans les collèges et les lycées, il me semble que c’est très secondaire. Le vrai problème, c’est l’importance encore grande (voir pas mal de sujets de brevet dans les annales 2003 : par exemple « Le japon une grande puissance incomplète », ou « les mutations de l’économie française et leurs conséquences géographiques » plutôt que « les conséquences géographiques des mutations de l’économie française ») de la géographie économique : certes on n’en est plus aux listes et aux chiffres de productions, mais souvent (voir les manuels de CLG) le passage sur la localisation dans l’espace arrive un peu comme un « alibi géographique » après de longs développements économiques «
II- Quelles démarches pour enseigner quelle géographie ?
Pour la défense de la géographie, des exemples de démarches qui semblent réussir :
– une étude de paysage pour comprendre l’organisation de l’espace :
« J’ai fait des études de géo (suis-je géographe?), j’ai aussi subit certains ayatollahs du volapük géographique, mais également des passionnés de leur planète. La géo elle me colle aux sabots, je la vis au quotidien et c’est ce quotidien que j’essaye de faire passer à mes élèves avec des concepts pas si compliqués que ça parce qu’ancrés dans le réel; et quand je les plantais sur la pelouse du lycée et qu’on dessinais ensemble la Zone indus du coin, la RN10; le parc d’attraction en construction, la pluie, le cultivateur en plein labours , et les copains hilares aux fenêtres, je crois qu’ils comprenaient qu’un paysage c’est pas qu’une carte postale figée… »
– pour une géographie citoyenne :
« A titre d’exemple, dans mes classes de seconde, cette année, j’ai fait un pari.
Profitant des journaux gratuits qui déferlent dans nos grandes villes, j’ai demandé à mes élèves de découper tous les articles qui avaient un rapport avec les thèmes d’histoire-géographie de la seconde. En géographie j’ai été (agréablement) submergé. J’ai donc placé la barre plus haut en leur demandant de faire une courte synthèse et si possible de dévoiler un avis personnel. Le mur de ma salle de classe croule actuellement sous les affichages tant ils sont nombreux. Il est donc possible de faire sortir la géographie de son carcan et d’établir un lien avec notre quotidien pour initier une démarche citoyenne. Et, pour l’année prochaine, j’envisage (sous réserve d’autorisation !) de poursuivre avec ces élèves en première. J’envisage de leur offrir le vrai visage des pays étudiés tout en poursuivant ce travail de presse. » On » comprendra peut être mieux le pourquoi du comment de l’Europe par exemple.
Je compte d’ailleurs, mettre ce travail des élèves en ligne (il peut également servir de base d’échange pour l’ECJS) mais les » caisses administratives » n’ont pas encore fait sauter leurs cadenas !
Pour ceux qui s’interrogent sur ma démarche je me permets de les adresser à mon site : http://membres.lycos.fr/munigajacques Un site qui sera diversifié et enrichi dans les prochaines semaines avec une version s’intitulant » des croquis de géographie pour comprendre, des croquis de géographie pour apprendre« .
« Alors vive le programme de seconde et ses études de cas, c’est à dire souvent locales, donc concrètes, à partir desquelles on peut généraliser et vive le local (le « terrain » ). »
III- La formation en question
Des parcours différents expliquent souvent ces conceptions différentes. A coté des critiques qui stigmatisent l’IUFM sans réelle argumentation , voici deux exemples d’enseignants de formation plutôt historienne qui retracent leur rencontre avec la nouvelle géographie et l’évolution de leur enseignement
« … j’ai suivi des études d’histoire surtout, mais aussi de géographie (en prépa et en licence, une chance, la géographie nouvelle manière – sans géomorphologie – m’a permis de réussir à obtenir l’agrégation d’histoire),
Vidal/Brunet ?
En prépa (milieu des années 80) opposition non abordée (chorèmes découverts pendant la préparation de l’agrégation, dans un atlas sur le Brésil, où c’était très bien expliqué, et bien pratique pour apprendre à faire des croquis géographiques) : on faisait de la géographie spatiale (aménagement du territoire : professeur – brillant – de la prépa : Jacques Scheibling), on entendait pour la première fois parler de Christaller et et de Lacoste, on lisait Pinchemel et surtout Noin sur la France, dans mon souvenir, plus Gourou sur les pays tropicaux par exemple, et des études de cartes au 1/50 000. Brunet évoqué pour l’hexagone, la diagonale du vide et la banane bleue, avec les critiques sur l’aspect schématique de ces concepts.
En licence de géographie (Paris IV), la géographie était encore plus éclatée: beaucoup de géographie historique (vins et vignobles par exemple), de la géomorphologie, de la géographie régionale, des études de cartes, les livres de X. De Planhol, ou de Beaujeu-Garnier sur les villes. À l’étage du dessous (à l’Institut de Géographie), à Paris I, sur les villes, pour le peu que j’en ai vu, c’était de la géographie plus complexe (vocabulaire beaucoup plus spécialisé et technique, plus de séries chiffrées, bref un air plus « scientifique »).
Brunet découvert donc en préparant l’agrégation, parce que on nous conseillait d’abord d’utiliser un bon manuel de Première ou de terminale (donc hexagone, banane bleue, etc.), et grâce au T1 de la Géographie Universelle, plus la généralisation des schémas type chorèmes (sur le Brésil, sur les États-Unis). La seule claire critique de Brunet, j’y ai eu droit à l’oral de géographie, parce que le jury m’a demandé ce que je pensais de la représentation de la France par un hexagone, et de la diagonale du vide. L’hexagone me semblait bien pratique pour apprendre à un élève à dessiner des cartes. J’ai changé d’avis au collège… »
Evolution des pratiques et des conceptions de la géographie grâce à la formation et aux nouveaux programmes:
« les questions soulevées me paraissent parfaitement légitimes. « Historien » de formation et ayant suivi des UV de géo à la fac, je n’ai réellement « compris » la matière qu’à deux moments : à la fac en préparant le CAPES, puis à l’IUFM en PLC2 ou j’ai suivi quelques cours d’épistémologie et de didactique ; puis quelques années plus tard en suivant les travaux de mes collègues formateurs du « groupe de développement géographie » dans un de ces IUFM tant décriés. Entre temps, dans mon collège, j’ai fait une géographie comme j’ai pu : – effectivement très vidalienne – mal problématisée et parfois peu spatialisée. Par ex. sur l’Europe en 4°, un must… Cela ne veut pas dire que le boulot fait n’a été ni sérieux, ni inutile. Je pense que les élèves y ont gagné une certaine connaissance de la nomenclature « géographique », des éléments culture générale… tous éléments nécessaires et réclamés par les programmes. Je n’ai par contre que rarement mis en oeuvre un enseignement véritablement géographique c’est à dire une réelle réflexion sur l’espace et son aménagement, ainsi que la mise en ouvre des principaux concepts de la géo moderne (à de rares exceptions comme la notion de centre-périphérie par ex.). D’autre part je n’ai jamais véritablement mis directement mon enseignement dans une perspective civique. Le programme de seconde a, par contre, profondément remis en question ma manière d’enseigner. A la fois par la structuration des séquences autour des notions données par le programme et par la possibilité d’employer certaines de celles-ci dans un but plus clair et direct d’E.C (acteurs spatiaux, environnement, risques, aménagement auxquels je rajoute enjeux et stratégies). Ce qui me gêne dans la violence des réactions c’est ce sentiment d’être agressé dès que quelqu’un dit que tout ne va pas bien (même si le papier de Carlot prend une position extrême), et ce refus de regarder la critique en face. Il est évidemment plus facile de mettre tout sur le dos d’une institution ou sur celui des élèves plutôt que de nous avouer qu’il y a parfois des trucs que nous ne savons pas faire, même s’il y a des tas de bonnes raisons pour cela. »
Si pour certains le nouveau programme de seconde à servi de révélateur, d’autres n’y adhèrent pas :
« Quant aux études de cas de seconde, n’en déplaise à certains, ce n’est pas un remède, c’est un fourre tout qui oblige à répéter x fois la même chose pour comprendre l’étude elle même et passer ensuite à la généralisation. »
un point de vue qui évolue sur les paysages en 6e
« Comme beaucoup je n’ai pas apprécié au début les nouveaux programmes de 6e sur l’étude de paysages, et j’étais d’accord avec les critiques sur le caractère touristique, non analytique, non spatial, superficiel et uniquement descriptif de ce type d’approche. À l’usage, c’est mieux que sur le papier (même s’il y a encore beaucoup d’aspects critiquables), on peut faire comprendre des choses (merci à l’émission d’Arte sur les paysages ou au Dessous des cartes, ça c’est de la géographie), c’est peut être plus facilement abordable qu’une carte pour des élèves qui ont beaucoup de mal à comprendre les échelles, ou à utiliser une légende, même en 3e. »
IV- L’épreuve de géographie au bac suscite aussi des commentaires
Diversité des conceptions de la géographie, diversité des démarches, conduisent nécessairement à poser la question de l’évaluationdes élèves :
« je m’interroge tout de même sur la fiabilitéde nos évaluations dans le cadre de l’épreuve du baccalauréat. Tant de correcteursauxexigencessidifférentes »
Le croquis au bac : géographie ou bachotage ?
Une incidente sur les nombreux éléments apparus sur la liste ; le croquis de bac subit ce que subissent toutes les épreuves de bac : le bachotage utilitaire. Si au lieu de faire réfléchir les élèves pour leur faire produire un croquis personnel les professeurs leur font apprendre un croquis par coeur on peut dire qu’il ne font pas de géographie mais qu’ils préparent au bac. En cela ils ne font rien d’autre que ce qu’ils ont toujours fait. Une dissertation au bac n’a jamais été autre chose qu’une question de cours plus ou moins bien assimilé. Derrière le grand mot de dissertation il n’y a jamais eu autre chose que de la récitation plus ou moins habile. C’est ainsi et incriminer la géographie brunetienne ou vidalienne ou l’iufm est se tromper de criminel. Notons que ce sont les professeurs qui font tous ces choix et personne d’autre qu’eux. Ils (les choix) sont peut être inévitables (?) mais il n’y pas de complot ! «
« Juste une petite question concernant ce débat sur la géographie : « La Russie: atouts et contraintes du territoire » et « le Japon : l’organisation du territoire » : est-ce de la géographie « vidalienne », de la géographie « réclusienne » ou de la « géographie maltraitée par des professeurs etc… » ? J’avoue avoir du mal à savoir quel type de géographie j’ai enseigné l’an dernier pour préparer mes élèves de Terminale aux brillants sujets du baccalauréat L-ES. Je crois que la méthode employée était la suivante : « apprenez par coeur la carte que nous venons de faire ou qui est page tant de votre manuel, restituez-la, taisez-vous, faîtes un beau paragraphe argumentatif pour expliquer que vous avez mis du jaune ici et des figurés ponctuels là et vous aurez une bonne note ». Elle a le mérite d’avoir permis à de sérieux élèves de Tes d’avoir une bonne note et le sacro-saint bachot au passage. C’est bête, mais c’est pour moi un élément important ma profession. A quand une véritable épreuve de géographie (vidalienne, réclusienne, iufmesque ou autre ?) J’avais déjà posé une telle question l’été dernier, mais les choses n’ont guère évolué. Au fait, à quelle approche systémique ou autre devra répondre le fabuleux croquis sur les grandes villes d’Afrique ? A moins que la géographie au baccalauréat (et donc, au moins, en Tale) ne se réduise qu’à des études de documents à la problématique aussi recherchée que celle du « Gaullisme en France » (ah bon, il a existé ailleurs ?) du mois de juin dernier ou à des compositions résumant grossièrement le cours du prof.
Faisons donc de la vraie géographie, problématisée, axée sur l’espace et les problèmes de société, mais modifions aussi les modalités de l’épreuve finale de l’enseignement secondaire et les consignes de correction de la-dite épreuve (« valorisez, valorisez »…). »
V- Quelle place de la géographie dans l’enseignement d’histoire-géographie ?
Un déséquilibre horaire justifié par le refus de cette nouvelle géographie ?
« Résultat : l’histoire est devenue le centre de notre enseignement et cette géographie rhétorique la périphérie. »
Des enseignants qui privilégient souvent l’histoire à la géographie ? Jusqu’à quel point ? Pourquoi ?
« Une des principales misères de la géographie scolaire, en dehors de toute considération sur les contenus enseignés et sur les méthodes, n’est ce pas d’abord son oubli total ou partiel par nombre d’entre nous ?
Ma fille est en 5ème. Elle fait de la géographie cette année. Apparemment un peu moins que d’histoire mais guère moins. C’est pas mal mais elle devrait en faire autant. Avant d’être en 5ème, comme c’est une élève organisée et disciplinée, elle a fait une sixième, mais une sixième sans géographie. Elle n’a étudié aucun des paysages au programme, elle n’a pas étudié les domaines biogéographiques ni les grands ensembles du relief, ni ni …Evidemment cette situation reste exceptionnelle à ce niveau mais quand même. L’immense majorité des professeurs font « moins de géographie ».
Je suis élu local et la plupart des problèmes que nous rencontrons sont liés peu ou prou à des enjeux géographiques : environnement, aménagement, territoire, … N’importe quel maire analphabète ou politicien ambitieux manipule ces mots sans arrêt. Les enjeux civiques de la géographie sont primordiaux (et ceux de l’histoire bien faible dans la pratique !). Ce qui menace la géographie ce ne sont pas que les querelles de chapelle, que les iufm, que la nullité supposée ou réelle des profs de géo : c’est la façon dont les « géographes » sont devenus parmi les technocrates/experts intervenant sans préoccupation démocratique et civique dans des décisions nombreuses et importantes pour la vie de tous. Une pensée critique là dessus est ultra-nécessaire et une traduction dans un enseignement qui pose ses questions et celle des acteurs qui agissent sur l’espace est importante. Aucune discipline scolaire n’est incontestable. On pourrait se passer d’histoire aussi bien que de géographie, de physique aussi bien que de techno et il pourrait y avoir du droit ou de la sociologie ou de la paléontologie et ce serait tout aussi formateur. Il se trouve qu’il y a de la géographie. Assumons donc notre responsabilité : il y a bien plus de finalités « intellectuelles », »culturelles » ou « civiques » dans l’étude correctement problématisée d’un paysage en 6ème que dans une description sans fin des dieux égyptiens. Pourtant l’immense majorité des professeurs préfèrent passer deux fois, trois fois, quatre fois le temps prévu dur l’Egypte et « oublient » de nombreux paysages. Pourquoi ?« »