Hadrien Dubucs est professeur chercheur à l’université de la Sorbonne.
L’émigration des Français fut un sujet longtemps méconnu car la France est un perçu comme un pays d’immigration plutôt. L’Italie a un musée national de l’histoire de l’émigration, nous en France, c’est l’inverse ! Ce regard complémentaire devrait aussi avoir lieu en France !
Le paradoxe est qu’on connait mal cette situation de l’émigration française, elle s’inscrit dans un contexte de migration Nord/Nord ou du Nord au Sud. C’est un « life style migration », une migration d’élite, avec un intérêt croissant de la part du politique pour cette question.
I/ Est-ce qu’on peut parler d’une diaspora française ?
L’émigration est plus faible que dans d’autres pays européens (italiens … XIXème siècle où 60 millions d’Européens partent, surtout outre atlantique mais peu de Français au final). Jusqu’au Code civil, les citoyens français perdent leur citoyenneté dès lors qu’ils résident hors du territoire. 2GM aussi. On peut le voir à l’échelle régionale aussi, basque.
Mémoire très forte de cette immigration française. Cas de Huguenots, 200 000 à 300 000 protestants qui partent à l’étranger, Du Plessy, Joubert, Pienard, l’activité viticole porte l’image de cette immigration française, le rugby aussi et avec le cas des toponymes.
Moins de 2 millions de Français sont résidents hors de France, on sait moins bien compter ceux qui sortent par rapport à ceux qui entrent. Souvent ils sont binationaux, nouveaux de déclaration au niveau consulaire qui est quantifié de manière fragile. Proportion de binationaux grande, aux statuts variés, personnes qui acquièrent la nationalité française et qui retournent dans leur pays d’origine, ou qui ont hérité de la nationalité d’origine de leur parent et qui ont émigré en France.
Ce sont des migrants qui ne disent pas leur nom. Expatrié = dans le carde d’une même entreprise dispose d’un contra à l’étranger et le contrat de travail est pris en charge par l’entreprise mère (frais scolaire..), cette catégorie professionnelle très précise a tendance à se diluer (10% des Français à l’étranger correspondants à cette catégorie). Donc débat conceptuel.
Idée de privilège dont disposent ces immigrés français. Or c’est varié, auto-expatrié = immigré en fait.
3,5 et 5% de croissance annuelle pour eux.
Répartition spatiale
migration régionale de proximité tout d’abord, 50% des émigrés français résident dans un pays de l‘UE. Pas d’accroissement pour eux. Ressource pour compter : registre consulaire. C’est non obligatoire de s’y enregistrer, c’est surtout dans les pays à risque que s’enregistrer est important. En Angleterre avant le Brexit, il y avait 100 000 Français enregistrés, or on peut compter 150 000 Français de plus. Profil qui se détache : jeune adulte, souvent en couple avec enfant, homme/femme c’est égal. Mais jeunes actifs en famille plutôt.
Quelle profession ?
Secteur privé, mais aussi étudiant et retraité et 10% entrepreneur et profession libérale.
Retraite à l’étranger, avec à Agadir ou le Portugal qui émerge, avec institution et acteur économiques qui accompagnent et suivent cette retraite à l’étranger avec un imaginaire et un visuel, retraire ensoleillée et aventureuse…
Pourquoi partent-ils ?
Motifs professionnel, et aussi existentiel (découverte, expérience, confrontation à l’altérité ou à l’ailleurs et qualité de vie…). La figure de l’exilé fiscal, émigré français qui fuit le fisc français, est marginal ! 1/3 des Français étrangers n’était pas imposable une année avant le départ.
II/ Est-ce un phénomène positif ou négatif ?
Enjeux politique et économique de cette immigration : prise en considération croissante, avec rapports gouvernementaux ou parlementaires pour comprendre, saisir et mesurer, contrôler cette émigration française.
Lecture positive du phénomène. Révélatrice du savoir-faire à la française, tête de pont du rayonnement commercial et culturel à l’étranger. Vision positive dans ces rapports qui tranche avec les autres rapports du mouvement inverse.
Dans la presse, thème de la fuite des cerveaux. On le trouve dans les rapports parlementaires de manière récente. Champs politique en Italie récemment, qui va aider à la réinstallation de ces personnes. En France ce n’est pas encore le cas, ce sont 15% à 20% d’ingénieurs et cadres diplômés qui trouvent leur premier emploi à l’étranger chez les ingénieur et cadre diplômé en France. Il y a une part des actifs très qualifiés qui immigrent en rance restent très élevé donc ça va. Et les émigrés très qualifiés tendent à revenir en France aussi.
Ces Français de l’étranger sont vecteurs d’un levier économique et culturel, donc il faut une politique de cette diaspora : pas seulement compter et connaitre ces Français mais aussi maintenir du lien dans cette distance, entre les émigrés et entre le gouvernement et ses émigrés ; pour en faire une extension de notre société et pas une perte.
Y a-t-il une diaspora française ?
Cette diaspora est singularisée par l’importance des acteurs autour des ambassades et des services consulaires : établissement scolaire français à l’étranger, centre de recherche…approche institutionnel de cette diaspora. La question de la représentation est importante : enjeu électoral. Chambre des Français de l’extérieur : 2 sénateurs et 12 députés au parlement, conseillers consulaires. Découpage électoral, pas de similitude régionale. Un vote plutôt plus à droite qu’en France de ces expatriés et un vote faible des extrêmes. Variété des profils d’un pays à l’autre.
Remise vers la France : transferts de fonds opérés par les migrants vers les pays d’origine. 1% du PIB de la France et c’est en très forte croissance au cours des dernières années.
III/ Etude de cas : Français aux Emirats Arabes Unis
30 000 Français à Abu Dhabi et Dubaï, mais entre les deux le vote des Français est très différent (voir carte). Composition socio-professionnelle différente : les miliaires votent plus aux extrêmes et ils sont plus à Dubaï.
Relai qui est pris d’associations et d’acteurs à base régionale. Mobilisation plus précoce qu’à l’échelle nationale. Histoire du mouvement, association mutualiste au départ puis activité culturelle dans ces associations. A Dubaï il y a un groupe d’association très active de Savoie ! Cf. : « La tartiflette annuelle dans le désert ». C’est un point d’accroche pour les marques sur ces territoires pour communiquer et diffuser leurs produits.
Présence française peu nombreuse mais multiforme et variée : firme industrielle, militaire et défense/armement comme Thalès et une base française militaire aux EUA. « Emiratisation » de l’emploi. Effort des EAU pour accroitre les pourcentages des émiriens dans l’emploi public et privé. Processus de transition post pétrolière en faveur de la culture, du tourisme et de l’environnement et cela ne se résume plus aux grandes entreprises pétrolières. Cela va du monde des galeries d’art à celui de la muséographie.
Imaginaire blingbling de la présence française aux EAU. Idée du dynamisme entrepreneurial, vu du côté des EAU : un espace hors norme, cuisiner, cadre du privé. Imaginaire de l’eldorado pour ces expatriés.
Voici 3 caractéristiques de ces diasporas au-delà du blingbling :
- Des profils socio professionnels variés, pas que des expatriés du luxe mais aussi faillite et surendettement ave des expatriés qui doivent aller aux services consulaires se faire aider. Poids important du passeport français dans EAU pour accéder à un certain salaire. Ingénieurs du bâtiment, maréchal ferrant qui travaille dans les écuries royales. Le passeport de la marque « France ».
- Des parcours rarement linéaires : café ou pâtisserie : succession de première tentative et d’échec, de vas et viens entre l’entreprenariat et le salariat. Réseau des alumnis, crêperie à Malibu qui ne marche pas et on retrouve l’ancien du BTS à Paris qui va à Dubaï. Avantage du passeport français. Entreprise minuscule. Marché émergent dans le domaine de l’alimentaire, culturel… c’est trop frais pour les étudier.
- Récurrences des motifs existentiels, variété dans le niveau de projection à l’étranger ; qui vont de la parenthèse jusqu’à la construction d’une nouvelle vie. Jeunes actifs très diplômés qui sont bloqués par un marché de l’emploi et un contexte sociétal en France discriminatoire, qui les bloque dans leur pratique religieuse. Enfant d’émigré algérien en France très diplômé. Et là aux EUA, environnement sociétal plus conforme à leur idéal.
Pauline ELIOT, pour les Clionautes, samedi 5 octobre 2019