Les glaciers sont une composante essentielle de la géographie et de l’environnement des Alpes. Mais, dans les dernières décennies, ils ont subi les effets du réchauffement climatique et cela contribue à rendre visible et concret auprès du grand public le phénomène complexe du changement climatique.
C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles la salle était comble pour écouter la conférence de Denis Mercier sur « les glaciers alpins face au changement climatique ». Denis Mercier est professeur de gémorphologie à l’université de la Sorbonne. Spécialiste reconnu des glaciers, il vient de publier en septembre 2024, avec la cartographe Gaëlle Sutton, un Atlas des glaciers aux éditions Autrement. Dans un langage clair et précis, accompagné de nombreux tableaux, graphiques et photos, ce spécialiste des glaciers a offert au public un exposé riche et passionnant pour répondre à la question qui sert de fil rouge :
Quelles réponses les glaciers alpins ont-ils face au réchauffement climatique?
La forte présence des glaciers dans les Alpes
La présence des glaciers dans les Alpes est forte et cela s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs favorables liés à la géographie physique. Denis Mercier rappelle que pour qu’il y ait des glaciers, il faut :
- un climat froid : à ces latitudes moyennes, le froid nécessaire n’est possible qu’en altitude. L’arc alpin à 3000-4000 mètres d’altitude offre donc un milieu favorable.
- Pour que la glace se forme, il faut des précipitations suffisantes sous forme de neige, ce qui est le cas dans les Alpes.
- Enfin, il faut une topographie accueillante pour assurer la survie des glaciers. Logiquement, on trouve les plus grands glaciers sur la face nord des massifs située à l’ombre.
Denis Mercier rappelle rapidement qu’il existe plusieurs reliefs glaciaires : le cirque glaciaire idéal pour la formation de grands glaciers, comme celui d’Argentière dans le massif du Mont-Blanc ; les glaciers de vallée qui sont en mouvement, comme la mer de glace. Les bandes de Forbes, grises en été et blanches en hiver, témoignent de ce mouvement perpétuel des glaciers de vallée au fil des saisons. Enfin, très spectaculaires, les glaciers suspendus déconnectés des glaciers de vallée. Situés sur le versant nord, on les trouve à une altitude très élevée et sont formés de glaces très vieilles, jusqu’à 6000 ans.
Quelles sont les réactions des glaciers face au changement climatique ?
Des graphiques permettent à Denis Mercier de montrer que depuis les années 1950, tous les glaciers alpins ont un bilan de masse déficitaires. Ainsi, année après année, les glaciers « maigrissent ». Depuis 1950, seules 5 annés ont fait exception, avec un bilan de masse positif. À l’échelle de la Suisse, le phénomène a été particulièrement bien étudié et confirmé : même en 2024, alors qu’il a beaucoup neigé, le bilan de masse est négatif, comme partout ailleurs dans les Alpes. La variable déterminante de cet « amaigrissement » des glaciers est évidemment la hausse des températures moyennes, en particulier l’été avec des périodes caniculaires de plus en plus fréquentes. Avec l´élévation des températures, les précipitations augmentent aussi mais ne compensent pas la fonte des glaces, car elles sont plus sous forme de pluie que de neige.
Une variation des glaciers alpins qui s’inscrit dans la très longue durée
Denis Mercier rappelle que la variation des glaciers s’inscrit dans la très longue durée des temps géologiques et des grandes osccillations du climat. Le dernier maximum glaciaire, correspondant à une extension maximale des glaciers, a eu lieu vers -22.000 ans. On en retrouve des traces avec les blocs erratiques déposés loin des Alpes par les glaciers. C’est le cas, par exemple, avec le gros caillou de la Croix rousse à Lyon.
Plus près de nous, le « petit âge glaciaire » qui a débuté au 14e siècle pendant le Moyen âge et a pris fin vers 1850. Depuis, les glaciers ne cessent de reculer, comme on le constate en comparant les photos du glacier d’Argentière prises entre 1890 et 2015. Et cette tendance ne devrait pas s’inverser.
Quel avenir pour les glaciers alpins?
Le scenario de la disparition des glaciers des Alpes au cours de notre siècle doit être sérieusement envisagé. Le rythme dépendra du paramètre thermique, c’est à dire de l’ampleur (1, 2, 3 degrés?) et de la vitesse du réchauffement climatique dans les prochaines décennies. Les études prospectives sur le sujet ne sont de toute facon pas très optimistes. Ce sont les plus petits glaciers, ceux dont la superficie est inférieure à 1 KM2 qui disparaîtront les premiers. Les plus gros vont s’amenuiser plus ou moins jusqu’à leur complète disparition(?).
Dans cette perspective, la fondation Ice Memory , fondée par le grand glaciologue et biochimiste francais Jérôme Chapellaz, s’attache à conserver la mémoire des glaciers des Alpes en prélevant des carottes de glace conservées comme archives des climats du passé et qui sont ensuite stockées dans la base Concordia située dans l’Antarctique.
Quels sont les risques associés à la fonte des glaciers?
- Les risques de vidange des lacs proglaciaires (c’est à dire situés en avant des glaciers) : les fortes pluies peuvent provoquer la rupture de barrage et entraîner avec le courant roches et cailloux qui dévalent la pente à vive allure vers les villages situés à l’aval. C’est ce qui s’est produit le 21 juin 2024 dans le hameau de la Bérarde situé dans l’Oisans.
- Le risque lié à la fonte des glaces et du pergélisol : chutes de séracs, éboulements des parois qui provoquent des accidents parfois mortels, en particulier en été.
- Les pertes de ressource économique qui risque de disparaître à plus ou moins brève échéance : les glaciers alpins font l’objet d’une exploitation touristique, avec par exemple le ski hors piste ou bien les randonnées organisées sur la Mer de glace.
Denis Mercier tient à terminer sur une note plus optimiste, en évoquant le passage « du blanc au vert » : avec la fonte progressive des glaciers, on assiste à la conquête végétale progressive des marges libérées.
En conclusion de cette conférence menée d’une main de maître, Denis Mercier insiste sur le fait que les glaciers rendent visibles l’augmentation des températures et le changement climatique en cours. L’autre manifestation de ce changement est d’ors et déjà perceptible à des centaines ou à des milliers de kilomètres de l’arc alpin, sur les côtes grignotées par l’élévation du niveau des mers…