Du pourquoi nous étions réunis à Lille

Les 25 et 26 octobre 2004 a eu lieu à Lille la 2è université d’automne des Clionautes. L’association des Clionautes est issue de la liste de discussion h-français qui réunit environ 1500 enseignants du secondaire. Créée en 1996 sur l’ordinateur de François Jarraud, longtemps solitaire modérateur de fond, cette formidable liste de discussion a ensuite été transférée sur un serveur américain rassemblant de nombreuses listes consacrées à l’histoire, http://www.h-net.org, notamment pour ses qualités d’archivage. Le nom d’h-France étant déjà pris par une liste de discussion universitaire anglophone sur l’histoire de France, c’est le nom d’h-français qui a été choisi.

Dès 1997 François Jarraud organisait des rencontres bisannuelles dans son lycée qui aboutirent bientôt à la création d’une association afin de mieux gérer la richesse des échanges de la liste, notamment par le biais d’un site http://www.clionautes.org, appelé à porter en ligne les ressources mutualisées les plus intéressantes. Les rencontres permettaient aussi et surtout de partager des expériences pédagogiques prenant appui sur l’ordinateur en général et internet en particulier. Bientôt apparut aussi l’envie d’approfondir un domaine d’étude, afin de créer ensemble une séquence pédagogique basée sur des ressources électroniques. C’est ainsi que fin août 2002 eurent lieu à Paris les premiers « ateliers d’été » où une quinzaine d’enseignants ont travaillé ensemble sur le thème « villes et ports » en seconde. Le même type de travail a été mené plus brièvement en mars dernier sur le thème de la Méditerranée en terminale, avec Gérard Hugonie.

Cette rencontre automnale a été remarquablement organisée par Laurent Albaret et Caroline Jouneau-Sion qui a créé l’année dernière avec ses élèves un hyperpaysage sur Raismes-Sabatier près de Valenciennes à partir du concept de Christine Partoune et de son équipe.

Nous étions particulièrement heureux, au sein des Clionautes, de rencontrer enfin la dynamique initiatrice de projets pédagogiques si motivants en géographie, que nous lisons sur internet depuis longtemps, notamment sur le site de l’Université de Liège en Belgique (http://www.ulg.ac.be/geoeco/lmg).
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Où l’on entre progressivement dans la pensée complexe appliquée au paysage

– Christine Partoune a proposé de commencer par un tour de table où chacun disait le lieu d’où il vient. Les autres devaient ensuite le « canarder » avec les mots que lui évoquait ce lieu. Enfin, chacun concluait cet échange avec une expression qui pour lui symbolise son paysage. Nous avons pu ainsi mesurer la diversité des origines de la vingtaine de participants, venus du Nord, de la région parisienne, du Havre, Rouen, Dijon, Grenoble, Béziers.
Christine Partoune nous a expliqué l’origine de son projet, né en 1996 à l’Institut d’Ecopédagogie, devenu finalement une thèse de doctorat soutenue en février 2004.

Venue de l’éducation à l’environnement, Christine Partoune tenait à l’approche systémique, qui se traduit dans les classes par des organigrammes. Elle se demandait quelles relations à l’espace pourraient favoriser un mode de pensée plus systémique, l’hypothèse étant que notre manière de parcourir l’espace contribue à construire notre espace mental. Ainsi les petits citadins tenus par la main auraient une approche plus linéaire, tandis que les enfants de la campagne pourraient davantage développer une approche systémique grâce à une plus grande liberté de mouvement et des parcours en réseau.

Internet lui a semblé être l’outil idéal pour la systémie. L’hyper-texte présentait en effet un caractère de non-linéarité, multi-dimentionnalité, interactivité, virtualité (son existence est conditionnée par l’utilisation par quelqu’un). La notion d’hyper-image a conduit à l’hyper-paysage. Celui-ci se présente comme un paysage panoramique en rotation lente, faisant apparaître des étiquettes sur certains éléments. Un clic sur ces étiquettes permet d’aller plus loin, vers un autre panoramique ou vers des pages d’information.

Le concept d’hyperpaysage a été développé dans le cadre d’un partenariat mixte : d’une part le Laboratoire de méthodologie de la géographie de l’Université de Liège, avec Christine Partoune et Marie Pirenne, d’autre part l’Institut d’Eco-pédagogie, plus particulièrement avec Michel Ericx, qui est d’ailleurs l’auteur du néologisme hyperpaysage.

Le premier hyperpaysage construit fut celui de la Fagne de Malchamp en Belgique (fagne = zone tourbeuse). Un deuxième hyperpaysage, urbain cette fois-ci, fut créé sur Liège. Enfin, deux classes du secondaire ont été associées pour l’hyperpaysage de Visé.

Ayant observé le mal que les enseignants ont eu à faire accoucher les élèves d’une parole personnelle tant ils étaient dans le désir présumé de l’enseignant, Christine Partoune conseille de leur faire vivre une série d’activités de découverte des paysages qui les amènent à s’impliquer émotionnellement, à donner leur avis sur l’aménagement du territoire et à débattre de l’avenir des paysages. Elle propose aussi de faire en sorte que les trois étapes du projet (j’observe, j’interprète, je communique) se fassent en même temps alors qu’elles sont en général envisagées comme linéaires.

Au-delà du travail technique prenant en compte des aspects pratiques (par exemple ne pas utiliser de logiciels onéreux), le travail accompli sous-tendait une question de fond : cette approche permet-elle de développer la pensée complexe chez les élèves ? Christine Partoune préfère désormais parler d’approche de la complexité qui met l’accent sur les représentations et les valeurs, plutôt que de systémique qui reste un point de vue positiviste aspirant à l’objectivité.

Ainsi concernant les conceptions du paysage, Christine Partoune a mis l’accent sur les représentations mentales en reprenant l’idée de catégorisation de l’environnement par la Canadienne Lucie Sauvé (se reporter au site du Laboratoire de méthodologie de la géographie).

Ce travail sur les hyperpaysages s’intègre dans le cadre des finalités pédagogiques contemporaines.

Ils permettent aux élèves de mieux percevoir leur propre paysage. En effet, conformément à la Convention européenne du paysage et contrairement à la conception du 19è siècle où le territoire était vu par un observateur, la définition d’aujourd’hui envisage le territoire comme perçu par les populations : l’inventaire des paysages se fait en impliquant les habitants au travers des associations qui définissent des Zones d’intérêt paysager, le pouvoir n’étant plus donné uniquement aux spécialistes.

Ils permettent éventuellement d’étudier des espaces gérés dans une perspective de développement durable, comme nous montre l’exemple de la Fagne.

Enfin, le type de pédagogie mis en œuvre dans la construction d’un hyperpaysage va dans le sens des objectifs demandés aux enseignants belges, visant à développer chez leurs élèves leur personnalité, leur responsabilité, le pluralisme, l’apprentissage pendant toute la vie (« Décret mission »).

L’éducation par le paysage et l’éducation pour le paysage sont au service
– de l’apprenant (comme dans le nouveau programme de géographie de 1ère belge avec son approche sensorielle, les idées d’enracinement, de sens, de découverte, d’émerveillement),
– de la société (pour laquelle les paysages constituent une identité collective, sont objets d’enjeux contradictoires),
– de la discipline (c’est un système complexe où s’inscrivent les actions humaines et les phénomènes naturels),
– de la gestion du paysage (par l’aménagement du territoire, la gestion, les études d’impact).

Christine Partoune nous a ensuite montré une méthodologie pour apprendre à construire un hyperpaysage. Afin d’apprivoiser la démarche en la rendant plus concrète, le panoramique peut d’abord être réalisé sur un support cartonné avec des photos collées en couronne, des fils de laine en couleur rejoignant des petits cartons portant une image et un texte (la couleur est significative de différents types de liens : dénomination, cause à effet, approfondissement, etc.).

Christine Partoune nous a avertis du « piège de l’information » dans lequel sont tombés des étudiants instituteurs car l’approche systémique n’est pas dans notre culture : le risque est de vouloir accumuler des informations plutôt que de réfléchir aux interactions des habitants avec leur paysage. Elle a du coup proposé des questions sur les acteurs du paysage qui n’appelaient pas de réponse linéaire (comme « qui rencontre le plus de contraintes du fait d’être sur la Grand Place aménagée ainsi ? » ou « qui aurait le plus à perdre s’il devait quitter la Grand Place? »). L’objectif, même avec de jeunes élèves est de montrer qu’il n’y a pas une seule vérité, qu’il y a plusieurs points de vue, et donc toujours de l’incertitude.

Comme Christine Partoune et son équipe sont des tenants du « socio-constructivisme », ils ont réfléchi à la façon d’adapter les « intelligences multiples » de l’Américain Howard Gardner (voir par exemple ce site) à ce travail sur les paysages.

L’intelligence intrapersonnelle est la capacité à avoir une bonne connaissance de soi-même. Elle est peu développée dans le système scolaire français.

L’intelligence visuelle-spatiale est la capacité à percevoir le monde visible avec précision dans ses trois dimensions. Le regard à 360° que permet le panoramique peut donner l’habitude de réfléchir de façon élargie.

L’intelligence corporelle-kinesthésique : on rencontre cet appétit-là en menant les élèves sur le terrain. Une activité proposée est de reconstituer un paysage-type dans une boite transparente avec des éléments prélevés dans le paysage.

L’intelligence logico-mathématique intervient dans la lecture des cartes géologiques. Afin de mieux les comprendre, on propose aux élèves l’activité suivante : ils disposent de matières comme la craie, le sable, les cailloux, l’argile. Les yeux bandés, ils doivent reconstituer l’histoire géologique du paysage telle qu’on la leur raconte. Puis on coupe pour reconstituer l’érosion et on obtient l’équivalent des bandes de couleur des cartes géologiques.

L’intelligence interpersonnelle entre en jeu lorsqu’on propose aux élèves d’échanger leurs émotions sur le paysage, lorsqu’ils rencontrent les acteurs du paysage, lorsqu’ils négocient un projet d’aménagement.
L’intelligence verbale-linguistique est mise en œuvre lorsqu’on demande aux élèves de décrire, d’enquêter ; par exemple de rédiger un dialogue entre différents éléments du paysage (un dialogue amoureux, de petits potins, de conflit de génération, politique…).

L’intelligence naturaliste-écologique correspond à l’approche classique du paysage. Elle est appelée lorsqu’on ordonne le monde en en faisant l’inventaire, lorsqu’on structure l’environnement par des nomenclatures, des repères. Avec les élèves, il peut s’agir de trier des photos.

L’intelligence musico-rythmique est peu mise en œuvre (il existe un seul jeu édité par un CAUE sur la lecture sonore du paysage). Il est difficile d’utiliser les vrais sons du paysage photographié car le matériel, onéreux, est en outre d’une manipulation difficile. C’est envisageable en s’associant à un prof de musique bien équipé.

La notion d’émotion traverse tous les styles d’apprentissages, même chez le mathématicien. Dans l’ancienne approche influencée par la vision de Descartes, on oppose cognition et émotions, ces dernières étant considérées comme malfaisantes et mises de côté par l’école. Pour les chercheurs actuels, émotions et cognition sont indissociables, les informations étant « engrammées » par les émotions. Christine Partoune remarque que le terme d’émotion en français a une connotation plus « visible », plus démonstrative qu’en anglais.

Christine Partoune met l’accent sur l’importance des représentations, dans une approche « phénoménologique ». S’il y a des représentations, c’est qu’elles existent, même si elles semblent « fausses » : enrichissons-les au lieu de vouloir les remplacer dans la lignée d’Astolfi. Ainsi par exemple François Terrasson explique dans « La peur de la nature » que si on pollue l’environnement c’est car on en a peur. Dans le travail de Caroline Jouneau-Sion sur Raismes, un élève a parlé d’ours vivant dans la forêt de Raismes. Au lieu de le rabaisser en lui disant que les ours n’existent pas, il était important de comprendre quelle peur représentaient ces ours.

Des expérimentations à géométrie variable sont possibles à partir du concept d’hyperpaysage : par exemple Christine Partoune a proposé à des élèves d’étiqueter (ajouter des étiquettes) un paysage panoramique urbain en se mettant dans la peau de personnages « lunettes » tels une personne à mobilité réduite, un agent de police, un artiste, un chien etc.

Concernant la prise de vue de l’hyperpaysage, on peut le scénariser un peu, en faisant venir un acteur de l’aménagement que l’on souhaite interviewer.

C’est un travail possible en classe résidentielle sur une semaine. Il est utile d’être habitué à la pédagogie du projet.

Dans la salle
Dans la salle

Caroline Jouneau-Sion nous a exposé ensuite son projet de création de l’hyperpaysage de Raismes-Sabatier, réalisé en 2004 avec une classe de 5è dans le cadre d’un itinéraire de découverte, en 12 séances de 2 heures. Après un long travail de recherche, les élèves ont abouti à un hyperpaysage papier dont les liens étaient réalisés par des bouts de laine, puis à l’hyperpaysage en ligne techniquement réalisé en grande partie par Caroline. La motivation des élèves a été encore accrue lorsque le projet a été par la suite intégré dans le « BMU » 2005 (bassin minier Unesco) qui souhaite inscrire le bassin minier dans le patrimoine de l’Unesco. Un échange a démarré avec une classe située dans un bassin minier du pays de Galles.

L’après-midi a été consacré à une promenade dans le quartier environnant l’Institut Lillois d’Education Permanente où l’Université d’automne était accueillie. Christine Partoune nous a proposé plusieurs activités de repérage des lieux consistant d’abord à lancer des « ancres » constitués de repères (re)connus, puis à classer dans l’ordre des photos de la place du musée des Beaux-Arts de Lille disposées par terre ; et enfin à choisir parmi une kyrielle d’images une petite photo couleur destinée à nous permettre d’évoquer chacun quelque chose du paysage de cette place. Nous nous sommes ensuite rendus place de l’Hôtel de Ville où les trépieds ont été installés afin de pouvoir prendre des photos stables. Les conseils expérimentés de Christine Partoune se trouvent en ligne (prendre plutôt 380° de photos que 340°, prendre les photos lorsque la lumière du ciel est uniforme).

La couleur du ciel s’étant assombrie, le retour dans la salle de travail s’est précipité, chacun a fini la journée en installant les logiciels nécessaires sur sa machine :
Le Kit panoramique
Netscape composer(le téléchargement est un peu long).
– Photostitch , logiciel de fusion d’images livré avec les appareils photo Canon (tout autre logiciel de fusions d’image est possible, celui-ci a seulement le mérite d’être très simple d’emploi).

Le montage de l’hyperpaysage a commencé le lendemain mardi 26 octobre en suivant la fiche-conseil de Christine Partoune (disponible sur le site du LMG, remplacer le cas échéant pc par mac).
Les résultats obtenus étant relativement rapides et gratifiants (voir prochainement les images sur le site), certains ont imaginé pouvoir utiliser d’autres panoramiques pour l’étude (toujours sous forme de projets) d’autres parties du monde que l’environnement proche des élèves.
Pour aller plus loin, on peut consulter ce site belge de « panographes » http://www.outline.be (QuickTime nécessaire) ainsi que, par la même équipe, http://www.world-heritage-tour.org, dans le cadre de la protection du patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco. Ces images en .mouv ne sont pas récupérables, à moins de passer par la copie d’écran. En revanche les panoramas en .vms sont enregistrables et utilisables dans le kit pédagogique (le mode d’emploi de Caroline Jouneau-Sion se trouve ici).

Autres outils : http://www.all-in-one.ee/~dersch et http://www.panoguide.com.

La dernière demi-journée a été consacrée à la mise en commun des travaux. Jean-Pierre Meyniac, webmestre du site des Clionautes, a montré la façon de mettre en ligne de nouveaux articles sur le site ouvert à tout adhérent afin de favoriser le mieux possible la mutualisation.
Puis a eu lieu la présentation des hyperpaysages, notamment par Cécile de Joie, Emmanuel Maugard, Caroline Tambareau (où l’on apprend qu’un détournement humoristique d’un hyperpaysage est toujours possible).

Enfin, Isabelle Trehoux a présenté le résultat de son groupe de travail, une fiche de travail à destination d’élèves de 4è permettant de travailler à partir de l’hyperpaysage de Raismes-Sabatier (mise en ligne prochaine sur Clio-collège). Caroline Jouneau-Sion a d’ailleurs mis en ligne une liste d’adresses d’hyperpaysages sur le site, inventaire que www.hyperpaysages.org est appelé à rassembler également.

La fin de l’université d’automne a permis de se rendre compte de l’importance de la clé USB, permettant aux plus futés (c’est-à-dire aux mieux équipés) de repartir avec leur travail, éventuellement d’autres ressources, telles la fameuse macro de Word qui permet de mettre des travaux en ligne sur le site des Clionautes en gardant la mise en page du logiciel de traitement de texte. Le bilan était jugé très positif, ces deux journées ayant permis de parler davantage de pédagogie que de technique, aux dires d’une participante qui s’attendait à l’inverse. Les « adieux » ne furent qu’un « au revoir », comme à l’accoutumée lorsqu’on participe à la même liste de discussion…

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