Les intervenants:
François BOUGARD est un ancien directeur des études médiévales à l’école française de Rome, professeur d’histoire du Moyen Âge à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense. Il dirige l’institut de recherche et d’histoire des textes depuis 2014. C’est un spécialiste du haut Moyen Âge.
Giuliano MILANI est spécialiste de l’Italie communale, université Paris-Est Marne-la-Vallée.
Annliese NEF est spécialiste du royaume de Sicile entre le Xe siècle et le XIIe siècle au temps des rois normands. Maîtresse de conférences en histoire médiévale à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, UMR 8167, Orient et Méditerranée. Ses travaux actuels s’orientent sur les débuts de l’histoire du Maghreb islamique.
Armand JAMME est directeur du CNRS et spécialiste de la papauté.
Annie PETERS-CUSTOT est professeur à l’université de Nantes et modératrice de cette conférence.
Annie PETERS-CUSTOT présente les intervenants puis aborde le sujet de la table ronde, l’évocation d’un laboratoire pluriforme de nombreuses expériences politiques diverses de l’Italie médiévale. Présentation de l’Italie dans sa dimension ethno politique d’abord dans le Haut Moyen Âge, Ve et VIe siècle avec le spécialiste de la question, François Bougard, qui évoque en premier les premières expériences politiques au temps des Ostrogoths, aux Ve et VIe siècles.
Les premières expériences politiques au temps des Ostrogoths aux Ve et VIe siècles.
François Bougard rappelle d’emblée la spécificité de l’histoire italienne qui a connu son unité très tardivement par rapport à la France. On parle des Italies au lieu de l’Italie, des territorialités qui ont connu au Moyen Âge et à l’époque moderne des expériences politiques propres.
Thomas Hodgkin (1831–1913) est l’auteur d’une histoire de l’Italie après la chute de l’Empire romain d’Occident, un ouvrage publié en huit volumes, intitulé Italy and her Invaders, publié en 1879, (L’Italie et ses envahisseurs). Il est un premier historien à évoquer à partir des invasions ostrogothiques au Haut Moyen Âge, les premières expériences politiques mises en place dans le nord de l’Italie. Cet ouvrage eut beaucoup de succès car le titre a été repris, en 2002, publié par l’institut historique des études médiévales à Rome, « l’Italie et ses envahisseurs ». Le livre parcourt toute l’histoire de l’Italie jusqu’au débarquement des Américains en Sicile en 1943, jusqu’à la libération, en passant par les carolingiens, permettant de montrer les différents apports de chaque régime politique depuis le Haut Moyen Âge dans la péninsule italienne. Ces différentes expérimentations politiques ne se limitent pas à l’apport des gens venus de l’extérieur, elles ont ensuite été adaptées, modulées après chaque invasion. Cela explique que la plupart des ouvrages historiques classiques sur l’Italie ont eu beaucoup de succès du fait du rappel des différentes expérimentations politiques. Le conférencier prend pour exemple les travaux de Giovanno Tabacco, Les expériences politiques au Moyen Âge, pour évoquer les différents laboratoires politiques adoptés par les différents envahisseurs en Italie.
Le conférencier insiste sur la succession rapide des différentes royautés et de la juxtaposition dans l’espace géographique de ces différents régimes politiques. Ce qui explique l’intérêt pour les historiens italiens, d’étudier les différentes solutions politiques adoptées par les envahisseurs. Il est alors intéressant d’analyser dans le même cadre chronologique, dans les espaces voisins, les solutions qui ont été adoptées, en zone urbaine, entre l’Italie carolingienne et les principautés méridionales. Les contemporains médiévaux étaient conscients que l’Italie était la proie de conquérants extérieurs. Pour Liutprand de Crémone (vers 920-972 ?) « Les Italiens veulent avoir toujours deux maîtres pour prodiguer par la peur de l’autre ». Les Italiens faisaient appel à chaque fois à deux concurrents dans l’espoir de brider le pouvoir du second. Cela a été perçu par les médiévaux pour un principe de concorde politique.
Pour Machiavel, dans l’Histoire florentine, en 1527, il condamne l’action de la papauté au VIIIe siècle contre les Lombards. Ces derniers ont appelé à l’aide la papauté qui a inauguré l’usage de l’introduction des étrangers dans la péninsule pour aider l’un ou l’autre des rois Lombards qui se sont succédés. Ces étrangers en ont profité pour s’emparer du pouvoir. Or lorsque les Lombards ont été battus par les Francs en 774, ces derniers n’avaient rien d’étrangers, ils étaient devenus Italiens.
Ensuite le conférencier énumère toute une série d’événements qui se sont produits entre la fin du Ve siècle jusqu’au VIe siècle afin de montrer que le royaume wisigothique puis avec l’arrivée des Ostrogoths, les rois n’ont pas rejeté l’héritage antique. Il prend pour exemple le mausolée de Théodoric à Ravenne et un médaillon d’or frappé à l’occasion du trentième anniversaire de l’arrivée au pouvoir du roi Ostrogoths, représentant Théodoric vers 500 après J.-C. (exposé au musée national de Rome). Sur la mosaïque de Ravenne, Théodoric, roi des Wisigoths, est représenté avec une coiffure à l’antique. En revanche sur le médaillon, il est représenté avec une coupe au bol, avec des cheveux longs, coiffé à la mode des généraux de l’époque. Théodoric fait alliance avec l’aristocratie sénatoriale romaine. Il respecte l’héritage romain et maintient le système administratif romain. Il organise même ses troupes sur un modèle hiérarchique inspiré de l’administration civile.
L’originalité de la politique de Théodoric se situe sur le plan religieux. Il a mis en place une sorte de neutralité religieuse, entre les guerriers ostrogoths ariens et le reste de la population en partie christianisée avec cependant des passerelles par le biais de la référence ostrogothique. Pour Théodoric, être un romain c’est être un civil, un pacifique, en revanche pour être un goth, il faut être militaire. Pour un romain qui veut devenir un militaire, il doit alors donner un nom gothique à ses enfants, apprendre la langue. C’est un système avec deux strates mais sans fusion. Deux strates, dont l’une est surimposée, chacune a un rôle social défini dans une res publica. Toute l’habileté, la créativité de Théodoric a été de mettre en place une tolérance religieuse mais érigée dans un principe de gouvernement à la différence d’autres expériences contemporaines où l’intolérance religieuse est de droit dans un système de gouvernement comme dans le royaume wisigothique en Espagne. Certes les wisigoths sont minoritaires numériquement ainsi que la pratique de l’arianisme en Espagne. L’originalité de l’expérience politique au temps de Théodoric repose sur un équilibre original et archaïque et sur la poursuite d’une politique tardo antique sous la protection des armes d’un peuple ancienne fédéré. C’est un équilibre fragile certes mais c’est le reflet d’un premier laboratoire d’expérience politique au Moyen Âge pour l’historien.
La papauté, autre exemple de laboratoire d’expérience politique du Moyen Âge à l’époque moderne
Armand Jamme propose une réflexion sur la construction de l’État pontifical au Moyen Âge. Une première tentative de l’État pontifical a débuté au VIIIe siècle, un territoire conquis sur les Lombards et correspondant à l’ancien exarchat de Ravenne. La donation est ensuite confirmée en 774, à Rome, par Charlemagne, fils de Pépin. Après la donation carolingienne, l’État pontifical perd peu à peu de son autorité sur ses terres avec l’exemple de la perte du duché de Spolète et en Toscane. Le processus de construction de l’État pontifical est relancé au XIIe siècle à travers le conflit entre le pape Alexandre III et l’empereur Frédéric Barberousse (Frédéric 1er). On assiste à un rapprochement entre le pape et les villes italiennes contre l’empereur, surtout à la suite du mariage du fils de Frédéric Barberousse (futur Henri VI) avec Constance l’héritière du royaume de Sicile. Au titre de l’héritage carolingien, la papauté prétend détenir le droit de désigner et de couronner les empereurs. De ce fait la papauté prend en main la défense des cités guelfes et soutient la guerre contre l’empereur. Cependant le pape négocie sans utiliser la pseudo faux donation de Constantin. C’est une première forme de structure politique. À la fin du XIIe siècle, on assiste à un mouvement de l’essor de territorialisation auquel participe la papauté médiévale. On assiste à une double souveraineté dans l’Italie centrale, une concurrence entre l’autorité papale et l’autorité impériale.
Les revendications d’innocent III, en 1198, exerçant son autorité sur le Latium, s’étendaient sur presque toute l’Italie centrale. Ces prétentions sont énormes puisque ce pape voulait récupérer l’exarchat de Ravenne, la Toscane, le duché de Spolète. La question se pose à l’historien de savoir si pour le pape s’il s’agissait de réaliser une extension territoriale dans le cadre d’un processus classique de construction d’un Êtat ou de rendre impossible les prétentions de l’empereur jusqu’à la Sicile. Pour Innocent III, il s’agit d’un projet de partition de la péninsule en trois ensembles, dans une vision ethnoculturelle, au nord les Lombards, dans le centre majoritairement les Latins et au sud de la péninsule une forte influence culturelle grecque ou byzantine. À cette époque le but était double pour les papes, d’abord obtenir la renonciation officielle des empereurs à tous droits de souveraineté sur ces territoires, ensuite celui d’obtenir la reconnaissance et la soumission de l’aristocratie des cités de l’Italie centrale qui n’avaient jamais été parfaitement obéissantes vis-à-vis des empereurs germaniques. L’objectif des papes suivants a été celui d’obtenir ensuite la reconnaissance des cités de l’Italie centrale. Marqué par des phases de revers, exemple avec les cités de Florence et de Ravenne au temps du pape innocent III, ou bien par des phases de renforcement ou d’abandon, les pratiques politiques de la papauté ont pu laisser penser à l’absence de logique, à l’incapacité à affronter une logique d’État. Certaines cités en revanche choisirent de valoriser la personnalité pontificale. Par exemple la cité de Bologne fit ériger une statue de Boniface VIII par le maître orfèvre Manno di Bandino, en février 1301 sur la façade du palazzo della Biada de Bologne (Museo civico medievale di Bologna). La Commune de Bologne entendait marquer sa reconnaissance envers le pape pour un arbitrage, rendu le 24 décembre 1299, qui contraignait le marquis d’Este Azzo VIII à restituer à la cité romagnole deux bourgs fortifiés de son contado, Bazzano et Savignano.
Innocent VI s’entoure de conseillers afin de remettre un peu d’ordre dans ses terres de l’Italie centrale. On assiste à la construction d’un État politique pontifical qui durera jusqu’au XIXe siècle. Ses successeurs comme le cardinal Pierre d’Estaing (1320-1377), comme beaucoup d’autres de ces légats venant de France achèveront son œuvre de restauration politique dans ce qu’on a appelé les Etats pontificaux. On assiste à partir du XIVe siècle à la formation d’une véritable puissance politique étatique. Mais l’Etat pontifical s’effondre avec le grand schisme d’Occident en 1378 avec deux papes revendiquant la même autorité politique. La crise pontificale touche le catholicisme au tournant des XIVe et XVe siècles (1378-1417), divisant pendant quarante ans la chrétienté catholique en deux courants rivaux. Cela se traduit par l’affrontement du roi de France Philippe le Bel et du pape Boniface VIII qui cherchent à affirmer la primauté absolue de leur pouvoir. En Italie, les luttes du pape et de l’empereur débouchent sur l’affrontement entre guelfes et gibelins du XIIe au XIVe siècle. Tout ceci favorise une recrudescence de l’autonomie urbaine et cela se traduit par la disparition de la papauté pendant une douzaine d’années sur ses terres italiennes.
Au cours du XVe siècle, on assiste à de nombreuses tentatives de retour de la puissance pontificale en Italie mais c’est sous César Borgia à la fin du XVe siècle que l’on retrouve l’obéissance directe au pape, sauf pour Bologne et Pérouse, comparable à celle du XIVe siècle. Au XVIe siècle, avec la naissance des monarchies modernes, Jules II et ses successeurs peuvent intervenir en vrai prince territorial dans les guerres d’Italie. Sous le pontificat de Jules II, le territoire des États pontificaux s’est le plus agrandi. Soucieux de consolider les États pontificaux alors menacés de dislocation, il réannexe à la tête de son armée, dès 1504, la Romagne et les autres possessions de César Borgia dont Bologne et Pérouse.
Au total, autant de logiques de construction étatique que la finalité ultime de cet ensemble géographique pose un problème à l’historien. Ce territoire désigné notamment en France par «États pontificaux» pour évoquer l’idée d’un conglomérat territorial, de conquêtes territoriales, est employé au singulier en général par les Italiens pour évoquer plutôt la singularité d’un système de domination qui mixe le spirituel et le temporel au contrôle politique de l’ensemble du pouvoir pontifical.
Les communes italiennes, une expérimentation politique originale du XIe au XIIIe siècle
Giuliano MILANI, spécialiste de l’Italie communale. Les communes italiennes à la différence des villes de l’Europe du nord de l’Ouest ne naissent pas des chartes de franchise établissant de nouveaux pouvoirs urbains. Lorsque les rois, les empereurs arrivent en Italie à la fin du Haut Moyen Âge, ils découvrent des villes qui se gouvernent déjà toutes seules et cela explique les résistances qu’ont menées les communes face à eux. Entre 1100 et 1350, un ensemble de phénomènes uniques en Europe a connu dans l’Italie du Centre et du Nord un cycle complet de développement. Plusieurs dizaines de villes, dont la population n’a pas d’équivalent européen à cette époque, ont élaboré un système politique autonome, échappant aux cadres monarchiques et féodaux, la commune.
À partir de la fin du XIe siècle, émerge la formation et l’évolution des institutions communales. Elles émergent autour de 1100. Elles traversent des transformations dont la plus significative est l’instauration à partir de l’extrême fin du XIe siècle d’un gouvernement collectif de citoyens élus, les consuls, puis, un siècle plus tard, leur substitution par un nouveau magistrat, le podestat (lat. potestas, pouvoir), qui répond à l’impuissance croissante qu’éprouvent les consuls à maintenir le consensus dans la cité. C’est sur ce point qu’insiste l’historien sur le fait que les expériences politiques se font à l’intérieur des villes. Les villes italiennes du nord ou du centre de la péninsule sont en soi un laboratoire politique particulier.
Des intérêts et des factions politiques divergentes se disputent la gouvernance des villes au Moyen Âge du fait des différentes composantes sociales et des différentes clientèles politiques liées à la papauté, au pouvoir ecclésiastique local, au podestat et celle du populus des communes italiennes. On retrouve ces différentes strates de la composition politique dans les sociétés des villes communales italiennes dans les palais de la commune à la différence des demeures des princes. Le palais communal est le reflet de ce caractère composite de la société communale italienne. Il est souvent composé de différentes parties.
En exemple le palais communal de Bologne. On distingue un premier palais érigé au premier temps de la Commune et de l’autre côté un palais plus modeste bâti par les non nobles auquel s’ajoute un autre grand palais des notaires. Tout cela compose un équilibre politique fragile et instable. Dans ces palais multiformes, composites, des sources écrites comme les cartulaires (décrivant les statuts des villes) nous renseignent sur l’expérimentation hybride dans l’exercice du pouvoir communal par les différents successeurs pour conserver leurs droits par rapport au pouvoir extérieur. Bologne est un exemple type d’une expérimentation complexe d’un laboratoire politique au Moyen Âge. À la fin du XIIIe siècle (depuis 1279), la cité est une commune de Popolo comme beaucoup d’autres villes du centre-nord de l’Italie. En 1256, Bologne promulgue le Legge del Paradiso (la « loi du paradis »), qui consiste à racheter les serfs des propriétaires des campagnes en justifiant cette mesure comme libératrice en fondant cependant une domination fiscale sur les serfs venant vivre à la ville et devant payer des impôts à la commune. Des historiens ont pu y voir l’émergence d’un processus démocratique, une conséquence de la pression en provenance de milieux émergents au détriment de la vieille classe aristocratique d’origine féodale. Ce processus a conduit à un des premiers actes officiels en faveur de l’abolition du servage. L’intérieur des palais communaux des villes italiennes est souvent le témoignage par des illustrations, par des fresques murales de ces différentes expérimentations politiques de gouvernement comme l’exemple le plus connu celui de la ville de Sienne.
Un autre type d’expérimentation politique dans les villes communales italiennes, le podestat. C’est une invention de la commune italienne qui consiste à placer un magistrat au sommet de la ville pour gouverner par substitution d’une société trop divisée pour diriger la commune. Souvent on le fait venir de l’extérieur, Il siège sur une durée limitée, six mois à un an. Il reçoit des indemnités à la suite d’une décision du conseil qui juge de son bon ou mauvais gouvernement. Le podestat peut passer d’une ville à l’autre pour exercer leur talent politique. À partir du milieu du XIIIe siècle, les communes abandonnent les unes après les autres le régime du podestat au profit du pouvoir durable d’un homme ou d’une dynastie. Ainsi s’instaurent les seigneuries urbaines. Ces conflits peuvent aboutir à des gouvernements rivaux de la ville. Le parti vaincu quitte souvent la ville pour se retrancher dans les châteaux du contado, devenant exilé. L’exil et le bannissement des exilés (ce qui signifie qu’ils sont exclus de la communauté, leurs biens sont confisqués, leurs maisons détruites) sont jusqu’au XIVe siècle un phénomène politique majeur. Pour conclure c’est le droit qui tient un rôle privilégié dans l’affirmation des communes face à des pouvoirs extérieurs. C’est dans le contexte d’une culture juridique développée et diffusée que les villes italiennes développèrent les pratiques politiques pour être reconnues par les autorités extérieures et pour maintenir, au cours du temps, l’équilibre entre les diverses forces sociales présentes dans la cité.
L’Italie du Sud et la Sicile du Xe au XIIe siècle, une expérimentation politique inédite
Intervenante Annliese Nef. À la même période de l’émergence de l’Italie communale, se met en place une expérimentation politique originale dans la partie méridionale de l’Italie. Rappel du contexte antérieur, à l’époque de la présence byzantine. Le sud de l’Italie et la Sicile sont occupés au VIe siècle par les Byzantins puis aux siècles suivants par les Lombards. Au IXe siècle, à partir de 827, des arabo musulmans, venus d’Ifriqiya, de Kairouan, arrivent à la demande d’un ancien officier byzantin Euphèmios. Celui-ci était tombé en disgrâce à la suite d’une affaire privée et au lendemain de s’être déclaré empereur, Euphèmios tenta de prendre le pouvoir mais échoua et fut contraint de fuir en Afrique. Il s’était réfugié auprès de l’émir aghlabide de Kairouan. Ce dernier lui prêta le secours d’une armée musulmane qui, en 826, débarqua en Sicile, inaugurant la conquête de l’île. Cette rébellion manquée ouvrait une guerre qui dura environ un siècle et demi durant lequel alternèrent succès et défaites de part et d’autre, mais les Arabes avancèrent inexorablement d’ouest en est. Cependant cette prise de contrôle fut lente puisqu’elle s’acheva à la fin du Xe siècle.
Par ailleurs au IXe siècle, un certain nombre d’établissements arabes arabo musulmans s’installent dans le sud de l’Italie pour créer des émirats qui se font reconnaître en partie par Bagdad. Exemple les émirats de Tarente, en Calabre. Au tournant de l’An Mil, des Normands venus de l’Europe de l’Ouest, atteignent les côtes de l’Italie méridionale. Leur arrivée dans la péninsule n’est pas le fruit du hasard puisqu’ils naviguaient déjà sur des routes maritimes et commerciales connues entre Jérusalem, Constantinople, vers la Rus’, un agrégat de principautés comme celle de Kiev en formation, une grande région peuplée majoritairement de slaves, bordant la mer Noire longeant jusqu’à la mer Baltique.
À partir du XIe siècle, les Normands font leur première apparition sous forme de mercenaires succédant aux arabo musulmans. Ils s’installent progressivement et reçoivent des biens par des seigneurs locaux pour les récompenser de leur service militaire. Puis ils envisagent de conquérir la Sicile à partir des années 1060 jusqu’à la fin du XIe siècle. Les Normands vont alors inaugurer un système monarchique original fondé sur une dynastie les Hauteville en Sicile et dans l’Italie du Sud en particulier sous Roger II, fondateur du royaume Normand de Sicile de 1130 à 1154.
Roger II met en place un système politique original. Il élabore une sorte de construction impériale. C’est une minorité de latins venus du Nord qui va construire une entité politique originale qui intègre des ensembles politiques intérieurs et il se base sur eux. Cela demande la nécessité d’un consensus. Le roi de Sicile est à la fois roi de Sicile, de duché des Pouilles et de la principauté de Capoue. Ces entités antérieures persistent dans la titulature. C’est une construction qui va faire émerger des traditions administratives diverses qui s’expriment par un trilinguisme, latin, grec et arabe. Cela correspond à un recours à des traditions administratives diverses et à la manière de prélever les impôts en particulier à un passé islamique.
Deuxième aspect expliquant l’originalité de la gestion de la société multi culturelle de la Sicile autant de Roger II, la place donnée aux populations musulmanes. La population sicilienne est majoritairement musulmane. Ils reçoivent un statut inspiré des pratiques musulmanes, envers les autres minorités religieuses, appelé dhimmis. Les juifs et les musulmans dans le royaume de Sicile reçoivent donc un statut comparable à celui donné aux dhimmis dans les sociétés islamiques. Ils doivent payer également un impôt, la geziya, qui prouve que l’égalité n’est toutefois pas totale puisque musulmans et juifs sont dotés d’un statut inférieur et contraints de verser cet impôt spécifique. Les Hauteville assument cependant une forme de syncrétisme politique et culturel tout en ne gommant pas leur spécificité latine et en intégrant des éléments constitutifs aux divers héritages laissés par les précédents détenteurs du pouvoir. Les différentes représentations artistiques du palais de Palerme au temps de Roger II en sont la parfaite illustration.
Intervention de Annie PETERS-CUSTOT, modératrice, pose une dernière question de nature historiographique pour clôturer la conférence aux quatre intervenants sur la notion de modernité et sur la pertinence et sur quel aspect moderne a-t-on pu voir pour chacune des expériences politiques gouvernementales qu’a connues l’Italie durant toute la période du Moyen Âge.
Intervenant Giuliano MILANI, à propos des communes italiennes médiévales. C’est un anachronisme de voir dans le gouvernement des villes italiennes de l’époque une première forme de démocratie. Au XIXe siècle l’Italie communale a été perçue comme un mythe de gouvernance moderne autant du Risorgimento. Il est à souligner que le système communal italien a été unique en Europe à l’époque médiévale et moderne. Les notions d’égalité des droits de la personne et de démocratie représentative n’existaient pas au Moyen Âge.
Intervenant Annliese Nef, à propos de la Sicile. Le modèle monarchique sicilien au temps des rois Normands, pour prendre cet exemple, a été souvent opposé au mouvement communal italien émergeant à la même époque. La royauté sicilienne au temps des rois Normands a été perçue plutôt négativement, perçu comme un modèle archaïque. La royauté sicilienne a ensuite été présentée comme un modèle de gouvernement bureaucratique. Les souverains siciliens étaient présentés comme des législateurs. Ensuite on est passé à l’idée que la gouvernance des rois Normands en Italie du Sud et en Sicile, portait des éléments de pré modernité. On a cherché des éléments d’explication à partir de la pratique des institutions comme l’étude des cadastres antiques, sur l’analyse d’une féodalité étroitement contrôlée par des rois siciliens. Un autre point de vue a été développé par un grand spécialiste de la Sicile byzantine et musulmane, Michele Amari, homme politique italien à la fin du XIXe siècle, pour qui la modernité a commencé avec la domination islamique par ce qu’elle mettait fin à la civilisation byzantine, synonyme d’empire, le pire régime politique pour les Italiens de la fin du XIXe siècle. Dans un troisième temps, dans les années 70, on a cherché ensuite à valoriser la monarchie médiévale qui met au pas la papauté dans l’État normand sicilien.
Une conférence suivie d’une riche discussion a été fortement appréciée et applaudie dans une salle comble par un public conquis.
Un compte rendu très précis, dense et fidèle, de cette table ronde. Il faudrait seulement (petit détail) corriger, dans le dernier paragraphe, « Arnaldi » en « Michele Amari ».