Le Congrès « Métiers et professions des médias XVIIIe-XXIe siècle » est organisé par la société pour l’histoire des médias (SPHM) et le centre historique des sciences historiques de la culture (SHC)
Intervention de Claire Blandin
L’histoire rend visible le travail des femmes dans les médias. L’enjeu de la recherche sur l’histoire des femmes est d’arriver à les voir (en lien avec l’ouvrage de Michelle Perrot « Le silence des femmes » sorti en1998) On a nouveaux outils pour faire évoluer l’histoire des médias grâce à l’outil numérique. La numérisation des corpus anciens permet de repérer les réseaux féministes : il y a un renouvellement des sources. Il y a aussi un renouvellement de questionnements.
L’histoire des femmes a été écrite dans la presse par des pionnières. Elle va privilégier des approches biographiques. (exemple du Journal La Fronde).
En 1979, sortie du livre de Jacqueline Beytout « Les échos » : une femme a la tête des Echos.
Yvonne Baby devient première chef de service au journal Le Monde et fut la seule femme à participer à la conférence de rédaction du journal. Une vidéo INA de 1980 la montre lors d’une de ces conférences où elle est la seule à avoir un vêtement de couleur. Ce reportage met en scène les relations de travail et ce document peut-être une ouverture à la réalité à la présence des femmes dans les médias.
La presse de télévision a des sources bien connues même si les femmes ont une place de second plan. Il y a aussi à l’INA, des photos et papiers qui montrent le relatif isolement des femmes dans le travail des médias. On peut voir à cet égard l’ouvrage d’Elisabeth Darcey, « Les méconnus du 8ème art » et celui de Marlène Coulomb Guly. Faire de l’histoire, c’est croiser les sources : par exemple, on va chercher les portraits de Madame Inter : Annik Beauchamps.
Dès les années 60, les métiers des femmes dans l’audiovisuel sont très nombreux mais est-ce que ces secteurs sont des tremplins pour les femmes ou alors des sortes de ghettos? L’exemple de Françoise Giroud est emblématique ? Beaucoup de femmes sont cantonnées dans le rôle de speakerine alors qu’elles sont sur diplômées pour ça).
Dans les années 60, les programmes diffusés donnent la voir la difficulté du travail des femmes. Les femmes rentrent massivement dans le monde du travail dans l’après-guerre dans le phénomène de tertiarisation et ensuite, il s’agira de la féminisation de la presse écrite. Mais aujourd’hui, il y a beaucoup de reporter de guerres femmes ou sur le terrain.
Une séance au Sénat le 20 février 2007 s’interroge : les femmes ont-elles toute leur place dans les médias ? Laure Beaulieu a écrit une thèse sur le traitement des violences des femmes dans les médias après le mouvement Me Too. On traite aussi du genre et du journalisme et l’intérêt du genre au travail.
Intervention de Isabelle Veyrat-Masson
La TV n’est pas un média comme un autre : elle est là pour informer et distraire à la fois. Il y a une mission d’intervention. Elle apparait surtout après la 2GM avec la création du premier journal TV : elle est sous la tutelle de l’état, il y a un ministère dédié à cela. La TV est trop puissante pour la laisser entre les mains d’un « saltimbanque » mais les journalistes font peur car ils sont indépendants. Il faut donc les contrôler et on va créer des SSLI pour les contrôler.
La TV va délivrer une information et va acquérir une importance singulière dans le monde des médias. Les journalistes sont visibles et deviennent rapidement des vedettes : ils ont une audience, sont reconnus dans la rue : Léon Zitrone, Yves Mourousi, Georges de Caunes, PPDA, Alain Duhamel, Stéphane Bern etc : ils auront un rôle particulier en dehors de leur métier (Stéphane Bern a des missions particulières pour le patrimoine).
Il est de tradition que la presse écrite donne un rôle important au journaliste. Cela se voit dans leur formation : ils sont formés (aussi bien les dirigeants que les journalistes) à Sciences Po. Par ailleurs, les dirigeants des chaînes sont surtout des hommes (8 femmes sur 57 hommes).
Les journalistes appartiennent surtout à un groupe, se créent un réseau et font beaucoup du copinage.
Quelles différences entre un journaliste et un dirigeant de télévision ?
Pour être journaliste, il faut la carte de presse alors que les dirigeants, non. Ils sont donc en dehors du monde de la presse en étant dedans malgré tout. Pour les médias privés (TF1 par exemple), il y a un grand rôle des actionnaires.
Quelles sont les valeurs qui président ces métiers ?
Dans le service public, la TV est la voix de la France soumis au principe de responsabilité avec une forme d’auto-censure. On ne peut pas critiquer le gouvernement : ils sont presque des fonctionnaires. Avec la privatisation de ce secteur vont s’imposer les dirigeants des médias. La TV fixe une règle : les journalistes doivent se limiter à certains sujets et mettre de côté la politique. Dans l’après-guerre, les médias sont dirigés par des autodidactes, des réalisateurs. Dans les années 60, les énarques vont ouvrir la TV à l’information et aux émissions politiques. Mai 68 constitue à la fois une défaite des journalistes et leur victoire. Ils sont largement réprimés mais reviennent plus tard avec un recrutement plus professionnel.
En 1987, il y a une large privatisation et ce la signifie l’arrivée des hommes d’affaires à la TV (exemple de Bouygues avec Etienne Mougeotte) et dans le service public, les journalistes prennent beaucoup de place (Patrick de Carolis, Michèle Cotta, Pierre Lescure) qui vont avoir des postes à responsabilités. Le numérique va tout bouleverser : il y a beaucoup de journalistes très diplômés et de femmes. Ils ont surtout gagné une bataille : leur indépendance et faire concrètement leur travail.
Christian Delporte : Qu’est ce qui a changé dans le travail et la pratique des journalistes ?
Les journalistes sont dépendants des transformations économiques, politiques et sociales. En 1995, c’est l’essor d’internet dit grand public et cela va transformer le métier des journalistes. On va avoir des ordinateurs miniaturisés, des smartphones : on ne travaille plus de la même façon. Il y a l’importance du web et des réseaux sociaux avec notamment le GAFAM (Google, etc..) : ils sont dépendants de ce qui se publie sur ces plateformes. Cela change leur travail en profondeur. Certaines plateformes se contentent de reprendre les infos publiées en amont et ne fournissent aucun travail.
En France, il y une progression de la concentration des médias et des grands industriels, possèdent des journaux, des radios (ex : Vincent Bolloré qui place ses pions et interventionniste dans le travail des journalistes, dans une logique marchande ?)
De quelle manière utilisons-nous les médias ?
On mélange tous les médias traditionnels, utilisations des podcasts, visionnage des replays. Les jeunes ne s’informent pas en allant sur les sites traditionnels mais par le biais d’amis qui leur rapportent un fait vu ou lu. Pour les autres générations, on sait ce qu’on cherche en allant vers des médias que l’on sait sérieux. En fonction des diplômes, on s’informe via des médias choisis avec soin alors que les autres regardent surtout la télévision.
La profession de journaliste connaît une crise depuis 20 ans. De plus en plus, quittent le métier. On estime qu’au bout de 15 ans, on quitte le métier et ce sont les moins diplômés, les pigistes et les femmes. On estime que 25% de la profession est en situation de précarisation et qui ne peuvent poursuivre dans le métier. C’est une profession qui se féminise beaucoup : 52% hommes/ 48% femmes (plus diplômées et moins payées)qui ont la carte professionnelle.
2010 : 37 500 journalistes, 2021 : 34 000 journalistes.
Beaucoup n’ont pas la carte professionnelle : environ 15 000 personnes (ils constituent une sorte de zone grise de la profession). C’est une profession qui vieillit (44 ans en moyenne) mais le niveau de diplôme augmente (bac + 3 il y a 20 ans alors que bac + 4 aujourd’hui), en danger et qui est fragile. Elle est même remise en cause par les français : beaucoup d’idées reçues.
- Les journalistes travaillent sous contrainte : en fait, on ne connaît pas bien leur travail et leur travail est très contrainte et ont peu de marge de manœuvre.
- Temps : tout va très vite dans la circulation de l’information et partout. Ils doivent être constamment en veille, doivent être dans du direct : aucun recul pour trier l’information à donner. On est confronté à du bachotage (BFM).Certains veulent faire du travail plus long : faire des reportages plus longs, dans des magazines, etc.
- Les journalistes doivent être multitâches : savoir écrire un papier pour le web, savoir monter un reportage, être réagir sur tout type de support et média. On va devoir jongler avec ces casquettes. Cette polyvalence va construire des carrières hachées. Ils collaborent avec des graphistes, des statisticiens etc.
- Le métier est soumis à la pression de l’audience, du marché, du nombre de likes : être un bon journaliste est un journaliste qui doit être visible. On est dans une logique de l’émotion désormais mais on est dans une logique de répondre à la demande par l’offre.
- Les journalistes sous soumis aux pressions (non pas de politiques) mais des communicants, aux stratégies de communications des hommes politiques, entreprises, administrations etc. ceux qui font de la communication sont souvent d’anciens journalistes qui savent très bien comment faire.
- Il y aucun rapport différent au public. Ils dialoguaient peu avec leurs lecteurs et les spectateurs, sur les radios (on donne la parole au public), à la TV et sur les réseaux sociaux. On fait davantage intervenir les spectateurs, on répond aux SMS, etc. Si on ne réagit pas au public, on le perd et les journalistes ont beaucoup de mal à gérer ça.