Les langues locales viennent de faire l’objet d’un vif débat en France qui n’est que le rebondissement d’une discussion séculaire. Après leur inscription dans la constitution, une loi vient d’être proposée, puis à demi censurée par le conseil constitutionnel.
Soit dans le cadre de ce débat, soit à l’occasion de l’enseignement de la géographie humaine, le présent texte a pour objet de déblayer la discussion sur les langues dominées.
Nous avons vu le cas de l’occitan, langue dominée par le français et qu’il est bien tard de vouloir sauver, au-delà d’un simple archivage et de sa maîtrise par quelques militants ou érudits.
Deux évolutions contradictoires
Cette question des langues dominées qui se pose dans le monde entier, où la plupart des langues sont en voie d’affaiblissement ou de disparition. Cela malgré un mouvement général de sens inverse pour leur réhabilitation. Ainsi la nouvelle présidente de l’assemblée constituante du Chili a pris la parole en mapuche, langue « indigène » antérieure à l’arrivée de langue espagnole.
Une langue peut d’ailleurs être dominante ici (le français par rapport à l’occitan) et dominée ailleurs, comme le français en Amérique du Nord hors Québec, si présidente du Chili présidente du Chili m’a pu et même dans une certaine mesure au Québec. Elle peut aussi être disparaître tout en restant respectée comme le latin naguère, ou le français en Amérique latine et dans certains milieux nord-américains. Le souci est alors culturel et non utilitaire : l’objectif premier n’est pas de faire du tourisme à Paris, où d’ailleurs le français n’est plus indispensable, mais de se cultiver.
Langues locales ou minoritaires ?
Le cas du français mène à distinguer les langues locales des langues localement minoritaires. Si dans beaucoup d’endroits d’Amérique du Nord le français langue maternelle ou langue seconde est une langue minoritaire et menacée, il bénéficie néanmoins de l’énorme appui de son « corpus » : sa littérature, sa bibliothèque scientifique, universitaire, scolaire, ses médias…
En France cela amène à distinguer par exemple le basque de l’occitan. Le premier a apparemment moins de locuteurs que le second, mais il bénéficie du « corpus » de cette langue officielle en Espagne, alors que l’occitan, langue locale, ne peut s’appuyer que sur ses propres forces. Le cas de l’alsacien, ou plutôt « des » alsaciens, est intermédiaire : s’il n’y avait pas eu les mauvais coups de l’histoire, il pourrait s’appuyer sur le corpus de l’allemand. J’avoue ignorer dans quelle mesure le breton est soutenu par un corpus irlandais, gallois ou écossais, langues celtiques voisines et soutenues par leurs administrations.
Vous remarquerez que je parle uniquement l’existence d’un corpus ou d’infrastructures d’appui, et non pas d’incitation au séparatisme, par exemple du Roussillon qui voudrait rejoindre la Catalogne ou du Pays basque qui voudrait rejoindre l’Espagne.
L’officialisation : compliquée mais pas forcément efficace
Le premier réflexe pour qu’une langue soit « sauvée » est de réclamer son officialisation. Mais ce n’est à mon avis qu’un élément parmi d’autres, et l’essentiel est ailleurs. Je vous renvoie à mon article sur la langue corse pour apprécier les difficultés organisationnelles, humaines et donc budgétaires d’une officialisation.
Voici quelques exemples de langues minoritaires officialisées :
- les langues celtes : en république d’Irlande, le gaélique est est une langue officielle en principe à égalité avec l’anglais. En pratique si elle est effectivement enseignée dans le primaire et dans le secondaire, elle est quasiment abandonnée, sauf dans quelques « gaëltacht » où elle est la langue unique d’enseignement et de signalisation (je connais celle du comté de Galway, appréciée par le général De Gaulle) regroupant quelques villages.
Je connais mal la situation de l’extrême nord gaëlophone de l’Écosse, mais bien noté que le gallois officialisé au « pays de Galles » est encore largement parlé dans certaines des régions de ce « pays ».
- les langues berbères : ce sont les langues parlées par les premiers occupants du Maghreb avant les invasions arabes et qui sont toujours largement présentes dans certaines régions dont la plus connue est la Kabylie si.
Ces langues ont longtemps été ostracisées : « tout berbérophone est un séparatiste » a-t-on longtemps entendu en Algérie, tandis qu’au Maroc arabophones et berbérophones s’opposent toujours aujourd’hui sur le « Dahir berbère » de l’administration coloniale française. Pour les premiers il s’agissait de « diviser pour régner » (ce qui n’est pas faux), pour les seconds c’était un acte positif de défense de la culture berbère.
J’en profite pour signaler le sauvetage de la culture kabyle, et de certaines cultures berbères marocaines par les « pères blancs » qui, à défaut de convertir les musulmans locaux ont transcrit, archivé et dans une certaine mesure sauvé les langues et cultures berbères.
Ces langues sont maintenant officielles en Algérie et au Maroc, mais je ne suis pas arrivé à savoir si ça a changé vraiment grand-chose, malgré la proclamation de leur présence dans l’enseignement et l’ouverture de quelques chaires universitaires. Il ne suffit en effet pas d’une déclaration gouvernementale pour créer et former les instituteurs dans une nouvelle langue et les nommer au bon endroit…
Il est vrai que cette officialisation a caché un « coup de Jarnac » avec l’introduction d’un troisième alphabet « le tifinagh » aux côtés des alphabets arabes et latins. Voir la fin de mon article ci-dessus sur la Kabylie.
- le français hors Québec au Canada : au Canada, le français et l’anglais sont officiels, en principe à égalité. Mais il faut voir de plus près ce que ça signifie : seules les administrations fédérales sont concernées sans que le bilinguisme y soit toujours respecté.
Au niveau local tout dépend du pouvoir provincial ou municipal. Même si en principe toute communauté francophone représentant 15 % de la population dispose de certains droits, en pratique ces vieilles communautés, qui existaient avant l’arrivée des anglophones, ont été noyées dans une immigration massive, européenne d’abord, et mondiale aujourd’hui. Et les nouveaux responsables représentatifs, ukrainiens par exemple pour prendre une communauté particulièrement nombreuse, ne voient pas pourquoi on accorderait aux francophones des droits supérieurs aux leurs.
L’officialisation n’est pas un remède miracle.
Cet écrasement des langues minoritaires est un phénomène général. En effet on est passé de sociétés villageoises où la langue locale était effectivement parlée, qu’elle soit officielle ou pas, à des sociétés urbaines plurilingues où la langue majoritaire est omniprésente.
Et les mariages se font alors en partie avec des partenaires de la langue majoritaire ne connaissant pas la langue de l’autre. Alors, sauf militantisme de la part du conjoint « minoritaire », sa langue n’est pas transmise aux enfants, ou pour quelques expressions seulement. C’est massivement le cas en France, tant pour les langues indigènes que pour les langues immigrées (chronologiquement, de l’italien aux langues africaines). À la limite, ceux qui veulent préserver à tout prix la transmission de leur langue devraient demander qu’on interdise les mariages mixtes
En conclusion, l’avenir d’une langue locale dépend d’une multitude de critères démographiques, politiques et sociologiques parmi lesquels l’officialisation ne joue pas un rôle déterminant.
Pour découvrir les autres articles des Clionautes à Montpellier, c’est par ici…