Cet atlas est projet qui rassemble plusieurs générations de chercheurs, d’historiens, d’archéologues, d’ingénieurs qui ont collectivement participé à sa création. C’est un atlas d’historiens et non de géographes. Cet ouvrage présente l’ensemble du monde musulman sur une longue durée, depuis la conquête islamique du VIIe jusqu’au XVIe siècle au moment de la conquête ottomane. C’est un outil unique qui n’existe nulle part ailleurs et qui se décline en 7 chapitres thématiques.
Intervenants
La table ronde est organisée par CNRS éditions et la revue L’élephant et permet de présenter l’ »Atlas des Mondes Médiévaux Musulmans ».
- Sylvie Denoix (directrice de recherche au CNRS),
- Hélène Renel (céramologue, ingénieure d’étude au CNRS)
- David Bramoullé (maître de conférence à l’université de Toulouse) ,
- Ingrid Houssaye-Michiemzi (chargée de recherche au CNRS)
- Dominique Valerian ( professeur d’histoire médiévale à l’université Sorbonne Paris I, spécialiste du Maghreb).
- Etienne Augris modérateur.
Un enregistrement sonore de la table ronde est disponible.
Hélène Revel explique sa méthode de travail
Pour créer les cartes, elle a dessiné des fonds de cartes, a fait des choix graphiques (privilégier les aplats et non les hachures par exemple) en respectant les demandes des historiens. La projection géographique : Mercator a semblé le plus adapté. Des courbes de niveaux ont été inscrites. Les rivages n’ont pas évolué entre aujourd’hui et l’époque médiévale.
Les données sont issues des différents chercheurs et un dialogue serré a été nécessaire entre les différentes parties des équipes pour leur mise en oeuvre sous forme de cartes.
Comment les géographes médiévaux se représentaient-il le monde ? Exemple : la mappemonde d’Ibn Hawqal.
La mer est-elle indiquée sur ces cartes ? La Méditerranée est représentée par une forme d’ ampoule avec des appendices pour l’Espagne ou l’Italie, en noir souvent et au centre. L’océan Indien est, lui, représenté en bec d’oiseau. En effet, les normes et les repères actuels ne sont pas utilisés par les cartographes médiévaux : le sud est placé en haut de la carte. Ainsi le Nil coule depuis le haut de la carte puis descend, le Sud est donc en haut. Un grand océan fait le tour de la Terre. Ce type de carte ne propose pas un espace réel mais laisse une large place à l’imagination. Cette carte est une explication symbolique où la centralité des mondes civilisés et des lieux saints est prioritaire.
Quels noms ?
Les espaces terrestres sont nommés : « les pays des Noirs » ou « l’empire des Romains ». Les espaces maritimes sont nommés par rapport à la terre. Ils changent selon les moments. La mer Méditerranée est « la mer blanche du milieu » ou le plus souvent « la Mer des Roum », l’océan Indien est nommé « Rouge » ou « la mer de Perse » car de nombreux marins qui naviguent dessus sont des Perses. On peut nommer également une mer en fonction de la ville importante qui se trouve à proximité.
Des territoires mythiques
Des monstres mythiques peuplent certains territoires au nord de la Chine et témoignent ainsi des méconnaissances des auteurs.
Al Idrissi (XIIe siècle)
Le géographe arabe Al Idrissi est place au service d’un roi chrétien, le roi normand de Sicile. Il reçoit la commande de créer un planisphère qu’il accompagne d’un texte. Son travail présente une connaissance fine de la Méditerranée et des côtes chrétiennes. Cela reflète les progrès des connaissances acquises grâce aux marins et aux voyageurs qui circulent sur cette mer.
Comment les pouvoirs du monde musulman médiéval voient-ils la mer ?
L’idée commune selon laquelle les musulmans auraient « tourné le dos à la mer » et n’auraient pas investi cet espace est une erreur (cf Christophe Picard, La mer et les califes). En effet, les musulmans, dès le début de l’Islam, circulent sur les mers, possèdent une marine et utilisent les connaissances de marins d’autres pays pour faire naviguer les navires. Les coptes sont parfois leurs marins. Ainsi, les fatimides, dynastie califale chiite, s’installent en Tunisie au début du Xe siècle puis ils fondent Le Caire en Égypte.
Dès la période tunisienne…
ils contrôlent la Sicile, envoient de nombreuses expéditions vers l’Italie du Sud et en tirent un grand prestige. La mer leur sert aussi à affaiblir leurs adversaires. Progressivement ils réussissent à détourner les routes du commerce vers l’Océan Indien et le sud de la zone d’Aden pour capter les marchandises qu’ils font remonter vers l’Egypte et vendent aux Européens. Aux VIIe-IXe siècles, on constate qu’il y a des arsenaux à Suez notamment. Des papyrus témoignent que les conquis doivent de la corvée aux arsenaux. Les calfats (qui mettent du bitume entre le planches des bateaux) sont réquisitionnés pour fabriquer une marine islamique.
Face aux deux autres dynasties, les Omeyyades en Espagne et les Abbassides, avec lesquelles ils sont en concurrence, les Fatimides montrent une grande activité sur mer. Ils détournent des marchandises pour les vendre aux Européens.
…Au XVe siècle,
des compétitions d’ordre économique se déroulent auprès du sultan ottoman entre Vénitiens et Florentins afin de contrôler l’approvisionnement et la circulation des marchandises.. Un véritable modèle économique se met en place où la soie est un enjeu essentiel car le sultan ottoman en consomme une grande quantité.
Venise a une flotte très bien organisée qui a des itinéraires bien définis. Cette organisation est constituée de ports, de routes maritimes qui lui permet de maîtriser la mer. Florence, au XVe siècle, a développé également son commerce maritime vers la soie ce qui déplait à Venise. Des conflits éclatent. Le but, pour les deux concurrents, est d’obtenir les faveurs du sultan. Mais les Vénitiens entrent en guerre contre les Ottomans à la fin du règne de Mehmet II et se font évincer.
Au début du XVe siècle le marché de la soie se ferme et Venise se rabat sur la partie occidentale alors que les Florentins n’ont plus de solutions.
Les ports
Les ports se développent fortement entre le IXe siècle et le XIe siècle. Les latins signent des traités de paix qui leur garantissent de pouvoir travailler dans les ports musulmans. Cela donne l’impression que les musulmans perdent du pouvoir en Méditerranée. Mais ils gardent pourtant le monopole de la navigation grâce au verrou égyptien. L’océan Indien est donc fermé aux Européens. Ces ports sont ainsi des éléments essentiels du grand commerce international.
Les routes maritimes sillonnent le monde. Les bateaux traversent Gibraltar et remontent vers le Nord en Angleterre, dans les Flandres, accèdent aux ports africains ainsi qu’aux ports indiens.
Les ports de Méditerranée permettent ainsi de connecter des espaces à l’échelle mondiale à la fin du Moyen Âge. C’est une première économie mondiale à partir de la mer Méditerranée.
Quelques ports se démarquent cependant notamment en Egypte. Le port d’Alexandrie est une interface entre les Latins et les Musulmans car cela leur permet de faire sortir les épices et la soie qui arrivent d’Asie. C’est aussi le moment des croisades et les populations y sont contrôlées.
Le plus grand port est cependant celui de Fustat ( Le Caire) où le trafic est le plus intense. Le port d’Ouzou sur la Mer Rouge est moins important car la navigation sur la mer Rouge est réputée dangereuse et il est remplacé par un autre port, celui de Damiette plus accessible.
Outre l’activité commerciale, les ports sont les lieux de transit des pèlerins qui viennent d’Afrique.
L’apport de l’étude des céramiques
L’étude des céramiques permet de dater les différentes strates mais aussi de donner des indications sur le niveau social et économique. La présence ou l’absence de certaines céramiques donnent, en effet, une idée des réseaux commerciaux. Elles indiquent ainsi l’existence de blocages ou de guerre puisqu’elles ne peuvent plus être livrées. Ces céramiques complètent donc les données historiques classiques.
Questions du public :
La place de l’Océan Indien dans le monde musulman
On oppose généralement, chez les auteurs arabes, la mer Méditerranée en tant que mer de la guerre et l’Océan Indien comme mer de paix et de commerce.
Bien que cet océan Indien ne soit pas assez présent dans les Programmes Scolaires, son rôle en tant que mer du commerce sous contrôle des musulmans est essentiel. C’est un espace de paix très dynamique qui ouvre une deuxième islamisation. Les marchandises vendues aux Chrétiens d’Europe viennent toutes d’Asie dont l’Inde. Le monde musulman sert donc de transit.
Voir La fabrique de l’Océan Indien, d’Eric Vallet.
La place de l’Islam dans l’économie monde
Au XIe siècle, les marchands italiens s’insèrent dans des réseaux du monde islamique. Puis, les villes de l’Italie du Nord construisent leurs propres réseaux ce qui fait basculer la Méditerranée islamique vers une Méditerranée partagée. Mais au XVe siècle, l’arrivée des Ottomans entraine un très développement de la puissance navale musulmane. Les ports sont alors aux mains des acteurs musulmans qui créent des lieux de séjour et s’enrichissent grâce aux frais de douane. La connexion entre entre le monde terrestre et le monde maritime appartient donc aux musulmans. Les mamelouks contrôlent les épices, dont le poivre, ce qui procure un grand pouvoir économique et politique.
Cependant par crainte des guerres, certains produits sont interdits au commerce : le bois, le fer, la poix sont des marchandises stratégiques. Le doge de Venise est obligé, suite à une interdiction papale, de faire incendier des cargaisons de bois. De même, le commerce des esclaves est interdit mais passe malgré tout par des réseaux illégaux.
Y’a t-il des confrontations militaires sur mer ?
Les batailles navales, entre ottomans et navires chrétiens sont rares car très coûteuses en bois qui est rare et cher. Il existe pourtant des nageurs de combat qui lancent des bombes sur les navires.
Existe-t-il une incidence sur mer des orientations religieuses ?
On ne perçoit pas de différence entre chiites et sunnites. La posture générale des musulmans consiste à encourager le commerce. En effet, un bon calife est celui qui encourage le commerce lointain.
Quels liens avec les expansions portugaises ?
Aux XVe et XVIe siècle, l’or africain attire. Les portugais fondent des comptoirs du côté de l’Océan Indien : cela contribue à affaiblir les sultanats mais les marchands musulmans continuent leurs activités pendant une longue période encore.
La Cliothèque a publié une recension de l’Atlas :
« Atlas des mondes musulmans médiévaux » – Sylvie Denoix et Hélène Renel (dir.) – CNRS Editions, 2022, 384 p. – 45€
https://clio-cr.clionautes.org/atlas-mondes-musulmans-medievaux.html