Intervenante : Myriam Matray Vous pouvez retrouvez sa fiche [footnote]https://fr.linkedin.com/in/myriam-matray-a151b788->au lien suivant]

Le soleil est revenu sur le Festival de Géopolitique de Grenoble en ce jeudi matin , et c’est avec intérêt que nous nous présentons en salle A302, fortement remplie pour l’occasion, pour assister à la conférence animée par Myriam Matray sur la pertinence et le rôle accru des pôles territoriaux de coopération économique ou PTCE dans l’aménagement du territoire.

La communication de Myriam Matray prend pour base les conclusions du rapport France Habitat III, de la conférence ONU 2016 en Equateur en charge de définir l’agenda de la ville durable pour la France. Ce rapport insiste fortement sur le renforcement des capacités institutionnelles en charge d’accompagner le processus de décentralisation. A ce titre les pôles territoriaux de coopération économique présentent une grande pertinence pour répondre aux mieux aux nouvelles formulations de la ville durable.

Débutons par une définition des termes et une présentation des enjeux. Les PTCE s’inscrivent dans le champs de l’ESS (Economie Sociale et Solidaire). Issue du mouvement de l’économie sociale allemand du XIXème qui mettait l’accent sur la coopération dans le cadre du marche pour gagner en compétitivité, l’ESS vise à favoriser la participation des employés pour rendre le système économique plus efficace, en plaçant l’homme en son centre. En France l’ESS représente ainsi plus de 10% des salariés et 10% du PIB, notamment dans la finance, les services sociaux et le domaine de la culture. C’est 5 fois plus d’emplois que dans l’automobile et 2 fois plus que dans l’agriculture.

Les acteurs de l’ESS allient trois logiques de régulation économique :

  • La logique marchande de l’entreprise
  • La participation de la société civile
  • La logique redistributive

La loi de 2014 sur l’ESS reconnait pour la première fois le rôle de clusters sociaux dans le développement économique local, dans le cadre des logiques de durabilité. Ainsi la loi de l’ESS définit le PTCE comme le « le regroupement, sur un même territoire, d’entreprises de l’économie sociale et solidaire, au sens de l’article 1er de la présente loi, qui s’associent à des entreprises, en lien avec des collectivités locales et leurs groupements, des centres de recherche, des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, des organismes de formation ou toute autre personne physique ou morale, pour mettre en œuvre une stratégie commune et continue de mutualisation, de coopération ou de partenariat au service de projets économiques et sociaux innovants, socialement ou technologiquement, et porteurs d’un développement local durable»

Les PTCE se développe donc sur une co-construction locale et institutionnelle pour répondre à 3 objectifs bien précis :

  • Répondre aux besoins sociaux
  • Favoriser le développement durable
  • Innover sur le plan social

Les PTCE étant financés sur la base d’un appel à projet par l’Etat ce sont au total 37 PTCE qui sont actuellement financés, à hauteur de 5.7 millions €.

Quels liens entre PTCE et gouvernance mondiale ? La promotion de l’ESS se fait à l’échelle mondiale via le GPIESS (Groupe Pilote International sur l’ESS) qui agit dans 4 domaines :

  • La promotion de l’ESS,
  • Les financements de l’ESS,
  • Les indicateurs de l’ESS
  • L’enseignement de l’ESS.

Problématique : Quel est le rôle des PTCE pour relever le défi des politiques et stratégies d’aménagement des territoires en France ?

I) Les objectifs de la conférence Habitat III pour la France : interrelation avec les PTCE

Le rapport Habitat III de 2016 met bien en avant la nécessité de renforcer la capacité institutionnelle et technique des autorités locales : « La stratégie en matière de gouvernance locale démocratique…soutien au processus de décentralisation et déconcentration, une nouvelle stratégie d’accompagnement de la gouvernance territoriale par une vision spécifique centrée sur le rôle stratégique des autorités locales, acteurs légitimes et pertinents pour construire des réponses innovantes au plus proche des besoins des populations, cette gouvernance territoriale a pour objectif d’accompagner les acteurs concernés pour les aider à relever les défis de l’urbanisation, à concevoir et à mettre en œuvre des politiques et stratégies d’aménagement et de développement urbain durable et de lutte contre la pauvreté ». On retrouve donc dans les orientations politiques prises des engagements sociaux de gouvernance participative.

Concrètement comment cela s’est mis en place au niveau des PTCE ? Par l’incitation des acteurs à adopter des démarches ascendantes. Dans ce sens fut rédigée une charte des PTCE en 2014, signée par les laboratoires ESS, le Ministère de l’Economie et des Finances, les réseaux fondateurs de l’ESS et les 39 PTCE et clusters sociaux. A ceci s’ajoutent le rapport Magnen et Fourel de 2015 sur les outils d’innovation sociale et la loi le NOTRe de 2015 dans laquelle les PTCE s’inscrivent (acteur de la recomposition du territoire).

Les politiques publiques ont donc deux lignes directrices :

  • Le développement économique durable par l’innovation technologique : par exemple la politique industrielle des pôles de compétitivité lancée lors du Comité Interministériel d’Aménagement et de Compétitivité des Territoires (CIACT) du 14 septembre 2004
  • Le développement socio-économique solidaire par l’innovation sociale (ESS) : exemple des PTCE développant des projets transversaux de territoire en fonction des ressources territoriales et pour les besoins locaux.

Ainsi, alors que la loi NOTRe a dépossédé les départements de la mission de développement économique, rapatriée à l’échelle régionale, les PTCE permettent de maintenir à une échelle plus grande l’objectif de croissance économique, à travers les intercommunalités notamment. C’est ainsi un véritable outil en faveur de la décentralisation des stratégies territoriales.

II) Les PTCE répondent aux nouvelles stratégies d’organisation territoriale

Les PTCE jouent un rôle prépondérant dans les nouvelles stratégies territoriales car :

  1. La participation des PTCE à l’autonomie financière de la République est réelle en ciblant les allocations budgétaire sur des thématiques horizontales à leurs territoires et éviter ainsi le « saupoudrage » des aides.
  2. Comme l’indique le livre blanc de l’ESS l’économie sociale n’est pas subventionnée, ce qui pose le défi de l’auto-financement.

Les PTCE pose en outre la question de la résilience des territoires. Le traitement des données depuis 2013 a mis en évidence l’intérêt d’être un PTCE pour accompagner un changement d’échelle des structures. Trois perspectives se dessinent dans ce domaine :

  • Le changement d’échelle pour la résilience du territoire (PTCE Pôle Sud Archer 2007 Drôme pour la valorisation du passé industriel de la chaussure pour relocaliser l’activité sur place)
  • Perspective de changement d’échelle pour dépasser les frontières du territoire d’implantation (PTCE Matières et Couleurs dans le Vaucluse en 2015 créé pour sauvegarder le massif ocrier du Roussillon et élargissant son rayonnement autour de la question de la sauvegarde de la ressource)
  • Perspective de changement d’échelle pour répondre à l’augmentation de l’activité (PTCE Solivers favorisant la filière locavore agro-alimentaire dans les 200 km. C’est le résultat de l’articulation de la SCIC Solivers et le PTCE pour l’intégration de nouveaux membres à valeurs similaires afin de changer d’échelle quantitative).

Dans ces démarches les pôles d’infrastructures collaboratives sont soutenues par les collectivités qui les inscrivent dans les politiques d’aménagement du territoire et notamment en les finançant. Car les PTCE, par leurs activités, créent des lieux propices à la vie sociale de la communauté qui prennent diverses formes :

  • Un espace lieu commun pour les adhérents (open space)
  • Un espace lieu commun aux adhérents (co-working comme les FabLab)
  • Un espace lieu commun aux adhérents et citoyens (favoriser les échanges et l’émulation)

Conclusion

Nous pouvons dire qu’il existe une diversité d’institutions impliquées et sollicitées au sein des PTCE. Du fait de cette diversité, le PTCE est réellement intégré aux politiques territoriales. Il a réellement un rôle pour renforcer les capacités institutionnelles et techniques des autorités locales par l’intégration systématique des partenariats publics-privés. En coordonnant et hiérarchisant les acteurs locaux de l’ESS existant et des nouvelles structures, les PTCE créent une cohérence des actions ESS sur le territoire.


Ainsi les collectivités positionnent leurs interventions suivant trois axes majeurs :

  • Rendre le territoire durable pour qu’il devienne attractif en réponse au rapport Habitat III
  • Favoriser l’émergence des clusters pour attirer et maintenir les entreprises sur le territoire
  • Favoriser une puissance publique locale socialement responsable

D’où l’enjeu des PTCE qui concilient ces aspects et sont propices à l’attractivité des territoires. Ainsi ce sont un vrai enjeu pour Habitat III et la gouvernance mondiale dans la perspective d’intégrer une réflexion par cluster.

Questions de la salle :

Q1 : Pourquoi parler tant d’ESS aujourd’hui alors que cette pratique existe depuis si longtemps ?
Myriam Matray : Ce mot remonte au XIXème effectivement. Si on en parle tant aujourd’hui, c’est à mettre en lien avec le dvp de la notion de durabilité et la primauté de la question écologique dans les réflexions actuelles.

Q2 : Question de la monnaie locale : exemple et modalités d’application ? 

Myriam Matray : Exemple de la monnaie locale lyonnaise Gonette : échange d’euros en gonettes utilisables uniquement chez les marchands locaux. Limites de la taille critique nécessaire (300-400 personnes minimum). Enjeu clair du dvp économique local.

Q3 : Importance des acteurs non-marchands dans les PTCE ?
Myriam Matray : Au niveau des PTCE l’on retrouve des entreprises, des collectivités mais aussi des associations. Il existe des PTCE avec ressourcerie, avec de forts liens avec les universités locales aussi. Quand bien même elles ne dégagent pas de profits, elles participent à la dynamique du PTCE (exemple des cafés culturels). Exemple du Pôle ULISS de Grenoble, en lien avec Schneider Electric et l’Université pour la fabrication de boitiers permettant de suivre et contrôler sa consommation électrique et de bénéficier, si besoin, de rénovations énergétiques de l’habitat au sein du PTCE. Il s’agit ici de mettre en place une chaine de valeurs qui va du consommateur (on pourrait même dire consom – acteur) aux agents économiques.

En sortant de la salle à l’issue de la conférence, nous ressentons le rare plaisir d’avoir pu assister à une communication à la fois très pertinente et d’une grande clarté, permettant de saisir tous les enjeux de cet outil majeur des politiques d’aménagement en devenir et d’exploiter les apports de la conférence de Madame Myriam Matray dans la production de nos contenus pédagogiques à destination du public scolaire (lycée dans ce cadre-ci). Ainsi Myriam Matray est une jeune chercheuse que nous avons eu plaisir à écouter, et dont nous espérons lire ou entendre de nouveau prochainement.