Alors que les Alpes françaises sont en lice pour accueillir les JO de 2030, de moins en moins de stations de ski du massif bénéficient d’un enneigement adapté. Chaque année, l’utilisation de canons à neige ou des projets d’agrandissement de domaines skiables font désormais débat, alors que de nombreux territoires réfléchissent à développer d’autres activités sportives. À l’heure du réchauffement climatique, c’est tout un modèle touristique qu’il faut réinventer.
Cette table-ronde, animée par Christophe Gauchon, géographe de l’Université Savoie/Mont-Blanc, réunit Eric Adamkiewicz, maître de conférences en Management du Sport et Développement TerritorialAprès avec été directeur de l’office de tourisme des Arcs, en Savoie, puis Chef du Service Tourisme et Économie Montagnarde au Conseil Général de la Drôme, il est aujourd’hui enseignant chercheur de l’Université Paul Sabatier Toulouse 3., Delphine Rime, présentera la situation en Suisse et Emmanuel Salim, maître de conférences en géographie à l’Institut du tourisme, de l’hôtellerie et de l’alimentation de l’Université de Toulouse Jean Jaurès.
En introduction, Christophe Gauchon rappelle l’importance de l’activité touristique, ce qui dans le contexte de changement climatique en fait un sujet sensible, voire polémique.
Une typologie des stations
Delphine Rime présente une typologie des stations de ski suisses et leur vulnérabilité face à la baisse de l’enneigement.
Le tourisme, qui s’est développé au cours du XXe siècle, connaît une reconfiguration différente selon les territoires.
- Un lieu et une installation méconnue, comme la Chia située entre 900 et 1200 m, confronté à l’absence de neige, le fonctionnement quelques jours par an repose sur des bénévoles, par et pour les locaux. D’autres installations sont en friche, le musée de Berne leur a consacré une exposition : « Après-lift, les montagnes du ski en mutation ».
- Les stations de moyenne altitude en danger, se dirigent vers un tourisme 4 saisons, exemple Magic Pass (Avec Magic Pass, profitez d’un accès illimité aux remontées mécaniques partenaires présentes en Suisse, en France et en Italie.). Il s’agit de développer l’attractivité, ces stations étant facilement accessibles depuis les métropoles suisses.
- Les stations-villages périphériques, dont la population est vieillissante et qui cherche, par des subventions, à accueillir de nouveaux résidents.
- Les grandes stations internationales comme Verdier, qui, même si elles disposent de pistes en altitude, cherchent à développer d’autres atouts : activités estivales, organisation de festival. On y constate à la fois la gentrification et l’éviction des locaux qui ne parviennent pas à se loger.
Ch G – Cette même typologie se retrouve en France et en Italie. Le changement climatique s’accompagne d’une croissance des inégalités sociales, la fermeture des petites stations de proximité restreint l’accès au ski pour les populations modestes.
E S – également dans les Pyrénées.
Comment le changement climatique impacte les sites touristiques ?
Emmanuel Salim montre les effets du retrait glaciaire : le dégel du permafrost, la réduction du cumul de neige, la moindre durée de la saison et la multiplication des événements extrêmes (laves torrentielles, canicules).
Dans le Parc des Cévennes, on assiste à une évolution des pratiques touristiques. La demande est aujourd’hui tournée vers la baignade estivale, ce qui augmente la fréquentation sur certains écosystèmes montagnards jusqu’ici peu fréquentés.
Autre question : quelle adaptation aux aléas pour des systèmes touristiques si vulnérables ? E S évoque les travaux de Giacomo Federe. Il s’agit de soustraire le système à ses vulnérabilités.
E S mentionne la sphère de la « maladaptation », quand la stratégie de lutte contre la vulnérabilité a des effets inverses. À qui profite les politiques d’adaptation ? Les risques, sont-ils réduits ?
L’exemple porte sur le choix de l’enneigement artificiel.
Quelle place pour la diversification ?
Elle n’est souvent vue que comme un développement complémentaire.
Eric Adamkiewicz décrit comment, dans les grandes stations savoyardes qu’il connaît bien, les décideurs, s’ils sont convaincus que la transition sera nécessaire, repoussent à 2040, soit après les J.O. toute prise en compte réelle des changements inévitables comme le montre l’analyse des investissements, comme une fuite en avant.
Ce décalage risque de provoquer quelques surprises comme récemment la fermeture annoncée le 4 octobre de la station de l’Alpe du Grand Serre, en Isère, alors même qu’au printemps dernier, elle était présentée comme un modèle d’adaptation Voir cet article de France Bleu, intervention d’Hugues François, Alpe du Grand Serre : comment en est-on arrivé là ? Le décryptage d’un spécialiste des écosystèmes de montagne.
E A revient sur l’utopie du Plan neige. Le diagnostique de l’inadaptation a été fait il y a 50 ans. (Voir La neige empoisonnée publié en 1975 par Danièle Arnaud, réédité par les Éditions Inverse.)
Et on fonce dans le mur comme le montre l’échec de la politique de limitation des UTN (unité touristique nouvelle). Il semble impossible d’arrêter la machine du développement en dépit de ce que l’on sait de l’avenir. On ne sait pas freiner la modèle, malgré l’importance des « lits froids ». La transition est reportée après les J.O. de 2030. Leur coût est estimé à 4 ou 5 milliards d’ €, des fonds qui vont manquer pour aider à l’adaptation des petites stations.
E A présente d’autres exemples de mauvais choix d’adaptation : les ascenseurs valléens comme celui de Bozel-Courchevel, ce sont des échecs, car le départ est trop éloigné des voies d’accès autoroutiers ou ferroviaires ; le fantasme des 4 saisons ; les estimations ClimSnow.Estimation de l’enneigement par versant, présentée comme un instrument incontournable pour guider les stations dans leurs réflexions stratégiques.
Dans les 10 ans à venir, la transition sera amère, imagine-t-on fréquenter les stations en ciré breton, car si la neige persiste en altitude, en dessous, ce sera de la pluie.
Est-il difficile, pour l’expert, de se faire entendre ?
Les différents intervenants réagissent à cette question.
La temporalité du savant qui étudie le retrait des glaciers, 10-15 ans, n’est pas celle des acteurs à 2-3 ans.
Des friches touristiques, il en existent déjà et malgré tout, il est difficile de travailler même à La Clusaz où le défaut d’entretien des pistes les plus basses annonce une fermeture à venir, Gresse en Vercors où les défenseurs des investissements (remontées, canons) sont aussi ceux qui dépendent de l’économie touristique.
L’accompagnement, en Suisse, est différent et les prêts bancaires à 20 ans font pression pour une prise en compte des évolutions nécessaires. Pas de Plan neige qui fige le tableau. Les possibilités d’un tourisme 4 saisons (vélo, via ferrata) sont plus grandes du fait d’une clientèle urbaine de proximité, comme en Autriche.
Les grandes stations sont soutenues par leur clientèle étrangère. En France, le manque à gagner des remontes mécaniques est compensé par des subventions.En 2007, le chiffre d’affaire du Super U de Bourg Saint Maurice était supérieur à celui des remontées mécaniques des Arcs..
Quelques stations font des efforts pour intégrer le changement climatique : Tignes à l’horizon 2040, Bourg Saint Maurice, Métabief.
La difficulté : comment passer de la conception d’une réaction quand on a 1 année sur 5 sans neige à un rythme où c’est 1 année sur 5 avec neige ? C’est difficile pour les professionnels alors que les touristes semblent avoir déjà intégrer l’idée de la montagne sans ski.
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C’est sans doute une question de générations et d’imaginaire de la montagne immaculée.