Modérateurs:

  • Walter BRUYERE-OSTELLS professeur à l’IEP Sciences Po d’Aix-en-Provence

Intervenants

  • Daria ERMOLAEVA doctorante à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

  • Delphine DIAZ maîtresse de conférence à l’Université de Reims-Champagne-Ardennes

  • Pierre-Marie DELPU ATER à l’Université d’Aix-Marseille

Les relations entre l’Italie et la France sont extrêmement denses au XIXe siècle. L’Italie est un territoire central dans l’Empire napoléonien, autant du point de vue des circulations que de l’intégration. Travaillée par la construction nationale et cet héritage démocratique et libéral, elle connait de brefs épisodes de régimes libéraux, qui ont longtemps été pensés comme des transferts de l’idée révolutionnaire de la France vers l’Italie. Dès 1820 à la suite de l’Espagne où les officiers obtiennent une constitution, Naples connait un mouvement insurrectionnel. Les généraux qui par carrière s’inscrivent dans un héritage de la période française avec l’appui des carbonari, obtiennent une constitution libérale du roi et la mise en place d’un parlement. En 1821, c’est au tour du Piémont de se soulever. Dans ces deux cas comme dans toutes les insurrections suivantes, celles de 1828, 1833 ou encore 1843, l’Autriche intervient au nom de la Sainte Alliance pour mater les rébellions. A chaque insurrection, les suspects arrêtés sont pendus ou contraints à l’exil. Se produit ainsi une dispersion des révolutionnaires dont les circulations s’inscrivent en Europe et au delà.

Dans le cadre du renouveau actuel de l’historiographie, les lectures nationales de ces évènements sont remises en question au profit de l’analyse des connexions et des mouvements circulatoires. Le renouvellement concerne également les Carbonaria. En Italie, ces dernières agrègent des personnes autant qu’elles en produisent. Si elles sont contre la Sainte Alliance, leurs discours, leurs projets comme leurss symboles sont très hétérogènes d’où la faiblesse du projet libéral. La diversité des acteurs, des logiques et jeux d’échelles et de leur enchevêtrement est donc également au centre des nouvelles études, qui s’attachent à l’existence d’un discours plus vaste dans l’aire des révolution.

Dans ce contre-monde, un monde qui se connait et qui a des convergences, bien qu’il n’existe pas de ligue internationale libérale, les espace de circulations qui ont des logiques internes.

1. Pierre Marie DELPU le moment 1820-21 « La circulations des héros et des martyrs révolutionnaires dans le contre-monde libéral»

Lorsque ces contre-mondes émergent en Italie, le modèle politique de la révolution est étranger. Les révolutionnaires font un double emprunt au pronunciamento, nom que l’on donne à la révolution d’Espagne de janvier 1820: les libéraux empruntent la manière de prononcer la volonté du peuple et la constitution de Cadix devient un modèle. Dans ce contexte, Pierre Marie DELPU s’intéresse aux figures symboliques qui vont légitimer les mouvements de ce premier « moment de libéralisme global » (Orazio De Attelis).

Dès 1820, la culture des martyrs se développe en Italie dans le domaine politique. Le contexte est favorable: l’Europe de la sainte Alliance, est marquée par le romantisme qui valorise le sentiment de sacrifice et donc la figure du martyr. S’il y a une analogie avec les figures de l’Antiquité et les martyrs chrétiens, c’est cependant dans l’histoire des guerres de religion de l’Epoque moderne qu’il faut rechercher le processus de formation sociale des martyrs et leurs usages dans les comportements politiques quotidiens. Ce processus se généralise au début du XIXe siècle avec un transfert de la figure du domaine religieux au domaine politique. Ce transfert est possible car il n’y a plus d’antagonisme entre les chrétiens et les libéraux. En outre, les insurrections en Italie s’ancrent dans une conception politique et juridique espagnole de la nation et dans une société marquée par le catholicisme. La signification sociale du martyr y est donc forte, ce qui facilite son utilisation dans le domaine politique.

Emprunté au domaine religieux, la martyrologe libérale se développe en tant que tradition littéraire en s’appuyant sur les mémoires des protagonistes. « Leonidas Pépé » nom d’emprunt de Guglielmo Pepe, ancien lieutenant général de Murat, membre de sociétés patriotiques espagnoles et leader du soulèvement de Naples dans ses Lettres sur la révolution de Naples, évoque les héros morts pour le peuple parmi lesquels le philosophe Mario Pagano. L’invocation de ces patriotes lui permet de présenter ces personnes comme des modèles que l’on peut imiter et de brosser le portrait d’une nation martyr, dans laquelle les Napolitains auraient oeuvrer de façon constante pour la liberté. Cette mémoire est également diffusée par les curés. Ces derniers très présents dans la Carbonaria, prédicateurs et enseignants en grande partie favorables aux insurrections, contribuent à faire de ces martyrs des réalités collectives.

Le regard étranger recompose l’espace social de la révolution napolitaine dans le contre-monde libéral. Le peuple napolitain est perçu à son tour par des libéraux espagnols comme un héros révolutionnaire mais collectif. Avec la dispersion des acteurs des insurrection vers l’Espagne, l’ Angleterre, Tunis ou plus simplement les Etats Pontificaux, les célébrités révolutionnaires en exil deviennent non seulement des modèles patriotiques, mais également des « martyrs vivants ». Autrement dit l’idée de martyr renforce celle de héros et de modèle à suivre. Guglielmo et d’autres bien que vivants, deviennent ainsi, en tant que figures politiques, des leviers de mobilisation et ce même lorsque leur identité politique est imprécise. Leur identité n’influence donc pas seulement les élites libérales puisque ces figures sont des supports de politisation.

La valeur des héros et martyrs révolutionnaires a donc été sous-évaluée par l’historiographie, qui les a réduit à un aspect parmi d’autres de la mémoire politique de la révolution. Pierre Marie Delpu démontre que ces héros et martyrs révolutionnaires, n’ont pas seulement influencé la pensée et l’action des élites libérales, mais qu’ils ont nourri une culture politique de la transgression capable de mobiliser les masses, qui explique qu’ils deviennent des pères fondateurs de l’Italie par la suite.

2. La Russie et les circulations révolutionnaires

Le sujet de recherche de Daria ERMOLAEVA semble étonnant car il n’y a pas à priori d’échanges réellement établies entre les Russes et les Italiens. Peut-on évoquer des connexions entre les forces révolutionnaires russes et les Italiens dans les années 1820 -1830?

Daria Ermolaeva démontre que de part et d’autres des frontières, les gouvernements respectifs supposent que des relations existent et en ont peur. Après le congrès de Vienne, les Carbonari en Italie sont perçus par le gouvernement russe comme une menace. Cette peur n’est pas sans fondement. Les carbonari et les révolutions d’Espagne et de Naples sont connues en Russie. Le mot « carbonari » rentre alors dans la langue russe et il traduit l’idée de « rebelle ». En retour les diplomates russes sont considérés comme une menace par Metternich. Ils sont soupçonnés de vouloir se rapprocher des sociétés secrètes italiennes. Après l’insurrection du 25 décembre, la suspicion des Autrichiens s’étend à tous les voyageurs russes en Europe, qui sont dès lors surveillés.

Au delà de la perception des gouvernements, de vrais liens existent. Des intellectuels quittent la Russie et lient des amitiés avec des Italiens. Réciproquement des Italiens comme le poète Silvio Pellico ont des rapports épistolaires avec les libéraux russes. Ces contacts s’ils sont tenus révèlent les intérêts réciproques des groupes contestataires en Europe et remettant en cause l’idée de la seule influence de la France sur l’expérience révolutionnaire russe. Lorsque sont arrêtés des contestataires en Russie, la question qui leur est posée, « est-ce que vous connaissez des révolutionnaires européens? », le montre bien.

Les connexions entre les Italiens et la Russie sont donc bien réelles. Les liens entre Italiens et Russes accélèrent le passage à l’acte des officiers, le 14 décembre 1825. Ce soulèvement des décembristes rappelle les révolutions de Madrid et Naples et Turin. Les forces révolutionnaires russes restent cependant immatures et la répression est particulièrement sévère.

3. Les Italiens sur les routes de l’exil

En introduction Delphine DIAZ rappelle que l’Italie présente la particularité de construire un Etat nation depuis l’étranger, ce qui conduit à se demander dans quelle mesure l’exil, cette institution, est un passage obligatoire dans l’Italie du Risorgimento.

Delphine Diaz évoque tout d’abord, les multiples modalités des départs en exil. Bien que ces migrations soient facilitées par les canaux consulaires, les Italiens utilisent les voies maritimes comme terrestres. En 1821, un des temps forts de ces migrations, par bateau, ils rejoignent souvent l’Espagne, qu’il faut également penser contrairement aux clichés, comme un terre d’exil. Les voies terrestres amènent les Piémontais parfois aidés de passeurs, à traverser les Alpes par la Suisse, à pied. Dans son livre, rédigé en anglais, Lorenzo BENONI précise même qu’il atteint le Var à la nage.

Ensuite, elle précise que l’accueil dans les pays de refuge est très variable. Sous Louis XVIII, qui envisage un temps la fermeture des frontières, les Italiens sont envoyés en résidence en province et placés sous la surveillance constante de la police, qui doit établir des rapports hebdomadaires sur leur conduite. Des formes de secours du ministère intérieur existent sous Louis Philippe, mais la société civile est peu enthousiaste à leur égard. A Mâcon, où les Italiens sont cantonnés dans un grand dépôt, un meurtre suffit pour que la figure de l’Italien soit immédiatement associé à celle du criminel. Les membres de l’élite qui se réfugient en France ont un sort plus enviable. Cristina Trivulzio, princesse lombarde, ouvre un salon à Paris qui sera fréquenté par Alfred de Musset et d’où elle continue à oeuvrer pour l’unité italienne. L’accueil en Grande Bretagne est plus favorable car les exilés ne sont pas contraint à une résidence assignée.

Enfin au gré des circonstances politiques, du hasard et des combats, les exilés sont engagés dans des espaces de circulation plus vastes. En Europe ils circulent entre plusieurs pays. Les Italiens réfugiés en Espagne, migrent à nouveau en 1823, chassés par la restauration. Le parcours de Santorre di Santarosa est significatif: d’abord assigné à résidence en France (ce dont il se plaint par une pétition au ministre de l’intérieur), il s’installe en Grande Bretagne avant de partir combattre en Grèce. L’Afrique du Nord devient également un espace de refuge recherché. En Algérie, nombreux sont les exilés qui s’engagent comme mercenaires de la légion étrangère. La vie de Claudio Linati de Parme qui introduit au Mexique la lithographie avant de s’installer à Bruxelles, montre qu’il existe des itinéraires transatlantiques, des circulations entre l’Europe et l’Amérique. Les exilés sont donc engagés dans des circulations bien plus complexes que ce que l’on peut le croire.

Les hommes circulent autant que leurs idéologies et leurs répertoires d’actions. La souscription se diffuse par exemple, de manière accélérée avec les exilés. L’exil est donc à l’origine de nouvelles formes d’action de la société civile et de mobilisations communes qui s’européanisent.

Questions

1. Pourquoi est-ce que les Français et les Européens s’impliquent dans les révolutions en Grèce et pas en Italie à la même époque?

Ces engagements reflètent des représentations très positives de la Grèce. Le philhellénisme rencontre les sympathies de personnalités politiques différentes de Chateaubriand à Lord Byron. La question de la chronologie est également à prendre en compte: les mouvements napolitains sont très brefs. En outre, il faut envisager la difficulté que représentent les voyages. Sans nier le poids du hasard, les départs vers la Grèce qui se font en comité, sont plus faciles à envisager que vers Naples.

2. Les mouvements libéraux et nationaux continuent à être liés dans les programmes. Qu’en pensez vous?

Avant 1830/40 il n’y a pas de construction de l’Etat nation en Italie. La construction nationale n’apparait qu’après les revendications de liberté économique et politique. La question du mouvement national est donc plus tardive. La nation n’est pas seulement construite par des Libéraux mais également par les Républicains (qui ne sont pas tous libéraux) et tous ceux qui ont un objectif plus social que l’on verra en 1848 en Allemagne.

Pour aller plus loin

Dans la cliothèque:

De nombreuses références ont été données durant cette conférence parmi lesquelles:

  • C Bayly, La Naissance du monde moderne (1780-1914), 2007.

  • Robert Fassier Les Decembristes Tomes 1 et 2, 2006

  • Maurizio Isabelle Risorgimento in Exile: Italian Émigrés and the Liberal International in the Post-Napoleonic Era. Oxford University Press. 2009

  • Jacques Godechot, Histoire de l’Italie moderne Tome 1. Le Risorgimento 1770/1870, Hachette, Paris, 1972

  • Jacques Godechot, Les Révolutions, Collection Nouvelle Clio, Puf, Paris, 1986.

  • Antoine LILTI Figures publiques. L’invention de la célébrité (1750-1850), Paris, Fayard, coll. « L’épreuve de l’histoire », 2014