Actualité polémique de 2010 de la ferme de Millevache en Picardie près d’Abbeville où un entrepreneur du BTP du Nord avait réussi à contrôler par un montage politique complexe plus de 3000 ha de terre. Symbole de l’industrialisation de l’agriculture ou moyen à bas coût pour nourrir les Français ?

Le marché des exploitations foncières en France est relativement régulé par rapport au reste du monde. Les exploitations sont de taille moyenne. Les prix fonciers y sont bas : 6000 euros l’hectare en France contre 60000/ha aux Pays Bas ou dans la Plaine du Po.

Le plan d’analyse suivi durant cette table ronde pour aborder la gestion des terres agricoles sera en emboîtement d’échelle : du monde, à la France jusqu’au Massif des Bauges dans les Alpes.

  • Pierre BLANC est enseignant chercheur de Géopolitique à Bordeaux Sciences Agro) et auteur de L’Atlas du Moyen-Orient (Autrement)
  • Carine PACHOUD est géographe et enseignante-chercheuse à l’INRAE, l’institut national des recherches pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement
  • Coline SOVRAN est chargée de plaidoyer à Terre de Liens

La table ronde est animée par Adrien BAYSSE LAINE, codirecteur scientifique du FIG

Une approche géohistorique de la pression foncière par Pierre BLANC

Recension sur la Cliothèque

On assiste à un phénomène de concentration foncière dans le monde à travers l’histoire :

  • L’élite économique devient l’élite politique au XIXe siècle dans diverses sociétés : phénomène endogène. C’est un embourgeoisement de la terre (Chine des Quing, Italie et Japon à partir de 1868)
  • Colonisation : cause exogène. Exemple : en Amérique latine avec l’Espagne et le Portugal, où il y a une appropriation foncière jusqu’à la cessation. Puis en Afrique australe, et 1912/1913 en Afrique du Sud + Algérie après 1873 avec le décret Warnier.
  • Les puissances coloniales vont créer un rapport de force interne : causes exogène + endogène. C’est le cas entre l’Inde Mongol et l’Empire Britannique, grandes propriétés foncières en Inde du Sud actuellement. Puis entre les Amérindiens et les colons : égalité foncière entre les WASP en Amérique mais pas envers les Indiens.

Les conséquences en sont l’instabilité politique avec un moment agropolitique dû à :

  • Des conditions démographiques : société très rurale et agricole.
  • Agrégation idéologique : nationalisme au Brésil/Espagne/ Portugal, ou a contrario marxisme ou mouvement religieux en Amérique latine.
  • Dictature : junte militaire en Amérique latine comme au Brésil avec le renversement de João Goulart en 1964. Ou en Italie en 1919/1920 avec la ligue fasciste. Ou en Espagne avec la réforme agraire voulue par le Front populaire français.
  • Révolution comme en Russie avec une révolution paysanne et pas que prolétaire. Ou dans la Chine de Mao, ou à Cuba ou dans l’Éthiopie de Mengistu.
  • Guérilla : reste aux portes du pouvoir avec le Hezbollah libanais ou le PKK au Kurdistan.

Le mouvement des paysans sans terre conduit à des réformes agraires mais derrière le pouvoir va tout de même collectiviser et transformer les paysans en ouvriers.

Problème de la sécurité alimentaire. L’URSS pendant 30ans n’a pas utilisé son potentiel agricole. Libéralisation en fait.

Dans les oligarchies avec une junte militaire, on essaye de donner aux paysans des terres nouvelles (des marécages aux Italiens, des friches aux Espagnols…)

  • Reconcentration de la terre face à l’urbanisation de la terre et au vieillissement de la population dans le monde rural après la chute de l’URSS. Exemple en Europe de l’Est avec la privatisation du foncier par l’Etat, grand domaine disloqué par Russie hyper autoritaire, au profit de l’oligarchie (1 million d’ha pour certaines exploitations détenues par des proches de Poutine)
  • Mondialisation foncière : depuis 2008 on a des émeutes de la faim. Les dépossession foncières en Afrique entraînent un risque de reconstruction foncière passe parfois
Questions :
  • En Afrique de l’Ouest et notamment en Côte d’Ivoire : conflit foncier car terre redistribuée à des Burkinabais dans le Nord, cela a créé en 2020 un discours anti étranger. Conflit entre pasteurs et agriculteurs même si la limite est floue entre les deux, ils peuvent être les deux et ce n’est pas que un conflit chrétiens/ musulman. Cela est renforcé par des aléas climatiques et la circulation des armes venues de Libye. La Russie y augmente l’instabilité en utilisant son aide alimentaire car c’est la première puissance exportatrice de blé, elle l’utilise comme soft power.

 

  • Landgrabbing : Après les émeutes de la faim en 2007 2008, la Chine et les Pays de Golfe ont mandaté des investisseurs publiques pour trouver de la terre en Afrique de l’Est et dans une partie de l’Asie car ils sont dépendants sur le plan alimentaire. Cependant la base de données de land matrix montre qu’entre les projets et la réalité d’acquisition des terres étrangères, on a un gouffre. Cela permet la sécurisation alimentaire de leur territoire, ils disent qu’ils construisent des routes et des écoles en façade…alors qu’on a un dépossession des terres dans la réalité mais parfois la société civile se mobilise pour stopper ce phénomène comme au Mozambique où il a eu un projet de suppression de 14 millions d’hectares qui n’a heureusement pas pu aboutir. Il faut les accompagner de politique agricole. Problème de changement climatique : anticipation.

 

  • La Révolution française n’a pas solutionné le problème foncier car c’est une révolution bourgeoise comme en Italie, au Portugal ou en Espagne. Ainsi en 1871 Gambetta a pu dire car les paysans avaient déserté la République car ils n’ont pas été servi par le Révolution « Nous devons faire chausser aux paysans les sabots de la République, car ils ont été marginalisés« . « Ceux qui sont les gardiens de leurs champs seront les meilleurs gardiens de la frontière« . Il faut donc reconnaitre les paysans comme propriétaires pour qu’ils gardent la République. Donc il met en place les crédits mutuels agricoles à ce moment. Mais il y a eu un accaparement des terres après la Première Guerre mondiale en France, donc pas de moment agropolitique au contraire de l’Italie, du  Portugal et de l’Espagne.

 

Une étude inédite sur la propriété agricole en France par Coline SOVRAN

Méthodologie : Croisement du cadastre (propriété) avec le Registre parcellaire graphique (activité agricole) pour « actualiser » le cadastre

Limites : Pas d’information sur les CSP des propriétaires, pas de compte propriétaire national, pas d’information sur le lien du propriétaire à l’activité agricole

Le statut de fermage a été créé en 1945/1946 car c’est mieux de louer la terre au niveau économique. Cela permet un accord avec une liberté culturelle où l’on protège le fermerie. C’est le moment où on instaure la SAFER.

35% des terres agricoles en France sont travaillées par des propriétaires directs.

Voir la base de données du cadastre, même si elle n’a pas été actualisée pour les terres agricoles.

Les entités publiques (État, régions, départements et collectivités) possèdent 5% des terres agricoles.

La majorité des propriétaires sont sur place mais ils sont âgés et héritent autour de 60ans.

En moyenne les agriculteurs possèdent 5 hectares. Mais 10% des plus gros propriétaires possèdent 50% de la SAUR.

La répartition des propriétaires est plus égalitaire entre les femmes et les hommes dans le Nord de la France.

En 2016 :

  • Les investisseurs chinois possèdent 2000 ha de terre agricole française. Les terres très fertiles sont souvent à des étrangers.
  • La société EURICOM produit du Riz en Camargue
  • Ce sont de sociétés qui possèdent majoritairement de grosse concentration mais elles ont une mauvaise visibilité.

Le marché des parts de société permet de devenir propriétaire ou contrôler des terres agricoles.
Les limites de la loi Sempastous :
• Seuils élevés
• Exemptions de contrôle
• Mesures compensatoires mal définies

La SAFER sert à réguler le marché de la vente des terres agricoles. On y retrouve plusieurs acteurs : chasseurs, collectivités, agriculteurs…

 

La gestion des terres agricoles dans le massif des Bauges dans les Alpes avec Carine PECHOUD

On a l’appellation « Cœur de Bauges » pour la partie centrale du massif qui comprend 100000 ha.

Les défis et changements agricoles dans le territoire des Bauges

On parle de territoire vécu ici et des « Baugeaux » pour les habitants et du « Grand Chambéry » depuis la loi NOTRe. On y retrouve surtout un élevage bovin extensif + GARC + AOP lait (coopérative + vente directe) avec des vaches limitées à 5500 litre/an. C’est faible.

Vulnérabilité face à la sécheresse qui entraîne la baisse du foie et qui entraîne l’importation de foin de l’extérieur.

Baisse démographique jusqu’aux années 1980 puis hausse de la population grâce aux aires urbaines proches avec un changement dans les pratiques agricoles vers des élevages de chèvres, plantes médicinales, agriculture biologique et locale et de la vente directe. On retrouve en parallèle des initiatives citoyennes comme l’épicerie collaboratrice « Croc’Bauges ». Augmentation de l’autonomie alimentaire du territoire. Autosuffisance, voir l’outil « Parcelle », plus pour les animaux que pour les légumes. Hausse de la demande en Tome des Bauges. Primes à l’hectare de la part du gouvernement et imaginaire pédoclimatique/historique.

L’élevage est devenu dominant avec le temps et remplace les jardins partagés et les pommeraies. Les alpages sont par contre plus abandonnés au profit de la forêt. Territoire verrouillé sur le foncier par des vieux propriétaires historiques alors qu’il y a une difficulté d’accès au foncier pour les jeunes agriculteurs. Il y a aussi un problème de qualité des terres qui sont juste parfois d’anciens terrains de foot…

Solutions :

  • Mieux partager le foncier entre société civile et institutionnelle. Mairie qui s’engage pour le foncier avec par exemple 8 ha de terre donné par la mairie à un éleveur de poules.
  • PNR avec nouvelle charte qui demande une diversification agricole (ex : mettre des pommiers dans les prairies contre la sécheresse et avoir plus de production)
  • SICC : Donner des fermes.
  • Partage foncier – Terre de lien. GFA Associat. Et maintenant pour des autoconsommateurs ils cherchent du foncier pour des jardins partagés.
  • Défiscalisation pour donner envie aux investisseurs mais comme les prix des terres sont trop bas cela a peu d’intérêt et cela entraîne un mouvement spéculatif. La terre agricole prenant plus de 2%/an, c’est une valeur sûre.
  • La PAC vient cristalliser ces conflits avec des primes à l’hectare. Conflit entre génération avec complément retraite pour des acteurs fictifs pour toucher la prime retraite (délégation intégrale, la PAC n’évolue pas ! Il y a trop à perdre !)

Vous trouverez ci-joint le diaporama de la table ronde :